Fyctia

Il pleut si fort au-dehors. L’averse a commencé au crépuscule, et continue encore alors que minuit va bientôt sonner. Le vent furieux frappe les branches des arbres, en arrachant certaines. J’entends de grosses gouttes s’écraser violemment sur les toits des maisons, offrant une musique discordante, accompagné des grondements de tonnerre assourdissants. Les éclairs traversent le ciel, de leur lumière aveuglante. Ce boucan, me rappelle la tempête intérieure en moi depuis le départ de la reine. Je ne pouvais rester assis, coucher ou debout. Nerveux, j’arpente le sol de ma chambre, ne sachant que faire. Qu’est-ce qui ma pris de lui mentir ? À elle, qui ne mérite que mon respect et mon amour. Il y a sûrement du vrai dans ce qu’elle a dit. Je deviens fou. Je lui ai fait montre de si peu de confiance que j’en ai honte à présent. Certes elle est la reine, mais elle est aussi une mère. Un fils doit pouvoir se confier à celle qui l’a mise au monde, l’a vue grandir et faire ses premiers pas dans cette vie. C’est elle qui m’a appris à aimer. Être capable d’ouvrir la bouche pour ne dire que la vérité est la première preuve d’amour. J’y ai manqué. Je sais que je n’en dormirais pas. Ma raison me pousse à aller lui présenter mes excuses. Mais il est bien trop tard, elle doit dormir. Comme tout le palais d’ailleurs. Je me promets de le faire dès l’aube demain, quand elle se lèvera pour la prière.

—Ary, qu’est-ce que tu me fais faire, murmuré-je. Reviens. J’ai besoin de toi, ne le sais-tu pas.

J’ai besoin de sa chaleur, de son odeur, de ses baisers, de son regard. De tous d’elle. Je ferme les yeux et répète doucement son prénom. Comme si cela allait la faire apparaître par magie devant moi. Où est -t-elle ?

Pense -t-elle vraiment pouvoir m’échapper ? C’est bien trop facile de s’enfuir ! Certes, Aké l’a chassé, mais si elle le voulait vraiment, elle m’aurait contacté depuis tout ce temps. Je comprends que notre liaison soit mal vue. Mon cerveau sait que je ne dois pas la poursuivre, mais mon cœur ne bat que pour ça désormais. L’espoir de la revoir m’aide à sortir du lit chaque matin. Je n’ai pas choisi d’être prince, j’ai choisi d’être avec elle. Rien ni personne n’a le droit de mettre fin à cette union, si ce n’est nous-même. Je ne veux pas commencer ma vie de roi, avec une main invisible sur ma tête qui décide ce que j’en fais. Je supporte mal qu'un autre prenne des décisions concernant ma vie, mon avenir, à ma place. Aké dit que c’est mon égoïsme qui me porte préjudice. Il confond l’amour de soi à cet autre mot. Je ne privilégie aucunement mon intérêt aux dépens de ceux des autres, je cherche juste à être heureux. S’il c’était avéré, par des faits irréfutables, que ma désobéissance aux dieux aurait des conséquences néfastes sur l’empire, j’aurais peut-être reconsidéré ma position.

Mais il n’y a pas de preuves concrètes, c’est là tout mon problème. Ces règles, j’en mettrai ma main à couper, ont été écrites par des hommes. Pour des raisons que j’ignore. Des divinités ne pouvaient pas être aussi mesquines !

Je me mets sur le dos dans mon lit, regardant la pluie tomber par la fenêtre et ne quitte cette position que des heures plus tard, à l'aube. Je me dirige vers la salle de prière, sûr d’y trouver ma mère, mon père et mon frère. J’aperçois effectivement les silhouettes d’Aké et de la reine en m’approchant. Ils semblent plongés dans une conversation mouvementée. Les mains de la reine font de grand geste. Je m’immobilise sur place en entendant Aké prononcé le nom d’Araya. Je reste derrière la porte, essayant d’entendre le reste de leur conversation, sans me faire voir.

—Sur ma parole ! Je savais ton frère fleur bleue, mais je m’attendais à plus de ta part. Qu’a cette fille de si spéciale, pour vous avoir retourné le cerveau à tous les deux ?

—Mère, je ne la connais que très peu. Mais je sais l’attachement profond entre mon frère et elle. Si tu fais cela, il ne te le pardonnera jamais.

—Avant, tu ne discutais pas mes ordres. Et pour une inconnue, tu es soudain prêt à t’opposer à moi ? S’emporte la reine, sa voix devenant plus colérique.

Aké semblable à un petit garçon qui se fait gronder, regarde par terre.

—Je ne peux vraiment pas mère. Il m’en veut déjà d’avoir éloigné Araya et de tenir secret son lieu de séjour. Ce que tu me demandes, va briser à jamais nos liens fraternels. Il vaut mieux laisser les choses comme tel, il ne va pas la retrouver, je t’assure. J’ai une personne pour la surveiller. Si Jae réussit à entrer en contact avec elle, je le saurais à la seconde près, et je m’occuperais de la faire déplacer aussitôt.

Cela ne satisfait pas la reine, elle persiste à vouloir faire appliquer son plan à elle.

—Aké, mon fils. Tu sais que je ne baisse jamais les bras. Surtout quand il s’agit de l’honneur de ma famille. Je retrouvais cette Araya, que tu le veuilles ou non. Je prendrais soin de ce problème, de mes propres mains s’il le faut.

Elle sort de la pièce en furie, me dépasse sans se douter de ma présence. Je la laisse s’éloigner et me précipite dans la salle.

—Jae ! fait Aké, surpris de me voir entrée.

Il y a dans son regard outre cette surprise, de la crainte. Il redoute visiblement que je n’aie entendu leurs discussions. Mon visage sidéré mets fin à son doute. J’ai eu raison de me méfier de la reine. Elle prévoit quelque chose. Quelque chose de mauvais pour Araya. L’idée qu’elle puisse lui vouloir du mal me rend malade. Les deux femmes que je chéris le plus…

—Que veut –t-elle faire ? Questionné je Aké.

—Rien, répond –t-il, en se dirigeant vers la porte.

Je l’attrape par le bras et l’oblige à me regarder :

—Par le lien de sang qui nous unie, parle ! Je dois savoir.

—Je ne peux pas te le dire. Mais je te promets d’assurer la sécurité d’Araya, si elle tente quoique ce soit.

—La sécurité ? Tu veux dire…qu’elle est en danger ? Aké qu’est-ce qu’elle risque ? Dis-moi quelle menace plane sur sa tête !

Pour toute réponse, il plante ses yeux noir dans les mien, puis se détache de mon emprise. Il sort de la salle de prière, me laissant seule face aux statuettes des dieux. Je reste là, figé, incapable de pensée. La certitude qu’il allait arriver quelque chose de mal à Araya m’étreint le cœur. L’expression déterminé, que j’ai vu sur le visage de la reine, ne laisse pas de place au doute. Elle allait la rechercher et ma mère n’est pas de ceux qui échouent. Il faut absolument que je la retrouve en premier. Mon cœur est un champ de bataille entre les émotions. Quand je tourne le dos aux dieux, pour quitter à mon tour la salle, une des statuettes tombe par terre, dans un bruit sonore. Il rebondit juste à mes pieds. Vishnou. Le dieu protecteur. Un homme bleu à quatre bras, entouré de sa parure royale. Mes yeux se portent sur la place vide qu'il a laissée entre Shiva , le destructeur, et Brahma, le créateur. La pluie au-dehors s'est arrêtée, mais en moi, c'est une tornade qui commence. J'ai froid dans le cœur.