Fyctia

Le temps est censé soigner les cœurs. Pourtant trois mois après, ma blessure est fraîche. Je suis déchiré entre mon devoir et mes désirs. Entre mon peuple et la femme que j’aime. Est-ce ma faute si elle me rend heureux, si je me sens comme en enfer en son absence. Pourquoi prier, si les dieux s’opposent à la réalisation de mes prières ? Je me suis détournée d’eux, il y’a bien longtemps. Mais je n’étais pas en colère contre eux avant ce jour.

—Jae ! Allons, il faut finir le rituel, me presse ma mère.

Ces yeux brillent avec amour. Enchanté de voir son fils ainé prendre femme. Mon regard enveloppe la grande salle bondée. La famille et les invités qui étaient venues d’un peu partout pour assisté à la cérémonie de choix. La boisson coule à flots. Des mets délicieux sont servis à profusion. Les jeunes femmes de bonnes familles, qu’on estime dignes de moi, sont alignées le long d’une grande table, dont j’occupe la tête, aux côtés de mes deux parents.

La musique s’est arrêtée. On attend que je parle. Que je décide avec laquelle de ses inconnues je souhaitais vivre pour le restant de mes jours. C’est pathétique. Insultant pour elle, et pour moi. Mais les dieux seront contents qu’on suive le rituel. S’ils sont contents, Azbar pourra continuer à prospérer. Azbar triomphera toujours de ses ennemies. L’empire restera le plus grand, le plus beau d’après le peuple. Ou plutôt d'après les favoriser. Les démunies, restent miséreux indépendamment de l’humeur des dieux.

—Mon fils a -t-il l’embarras du choix ? Fait la grosse voix amusée du roi.

Cher, si tu savais ! Le choix de ton fils s’est fait il y’a des lustres. Kainan croit aveuglément aux paroles des dieux. Aussi je n’ai jamais essayé de le gagner à ma cause. Seul mon frère Akè est au courant de ma liaison dans tout le quartier royale. Je le croyais digne de confiance, il s’est révélé endoctriné et vil. Son acte à transformer mes journées et mes nuits en une effroyable suite de moments vide de sens. Maintenant, la solitude est mon meilleur ami. Même au milieu de cette foule pourtant charmante, je me sens seule au monde. Seul sans elle.

C'est donc dans un parfait secret, que je mène mes investigations pour retrouver Araya. Mon serviteur me servait d’oreille et d’yeux dans les autres quartiers, pour me rapporter toutes les rumeurs qui concernaient ma dulcinée et sa famille. Si elle avait gardé contact avec quelqu’un dans le royaume, je le saurais tôt ou tard. Et de fil en aiguille, j’espère arriver à mes fins. Malheureusement, mon envoyé revenait bredouille chaque jour. Alors je patiente, je joue le bon prince héritier, le pantin des dieux.

—Père, elles sont toutes magnifiques, dis-je sans mentir.

Elles sont vraiment d’excellente allure. Belles, charmeuses, respectueuses, apparemment bien éduqués. Mère a déjà fait vérifier leurs aptitudes à remplir le rôle de conjointe royale. Je ne peux rien reprocher à aucune d’entre elles. Sauf un fait indélébile, qui les disqualifient toutes. Un défaut que je ne peux pas tolérer : elles ne sont pas Araya. C’est elle qui est ancré en moi. Elle qui détient mon cœur, que réclame mon âme, elle qui habite mes pensées à toute heure. Sans Araya, Jae est incomplet. Je ne suis que le fantôme de moi-même ces derniers temps. Mes insomnies sont récurrentes. La nourriture m’est fade. La seule chose que je tolère, c’est la boisson, m'aidant à oublier son absence. J’en arrive à l’imaginer aux cotés de moi, soirs après soirs. Chaque matin, ma compagne s’évanouit, et je retombe à nouveau dans la misère. Ce n’est pas une vie ! Mon mal-être se ressent de plus en plus dans mes rapports avec les affaires souveraines. Je délègue mes taches aux conseillers qui veulent être dans les bonnes grâces du prince. Ils s’exécutent en silence, sans piper mot au roi. Me laissant ainsi tout le loisir de m’investir dans mes recherches. J’ai des contacts, des hommes qui opèrent en douce. Ce n’est qu’une question de temps.

—Jae Loe, nous manquons de temps, l’heure de la prière approche. Nous n’attendons que tes mots pour clore la cérémonie, reprends Kainan.

—Père, je ne peux pas. Je suis dans un doute terrible. J’ai bien peur de commettre une injustice en choisissant maintenant.

Il me lance un regard d’incompréhension.

—Tu sais bien que cela ne peut plus être retardé, soupire -t-il.

—Donnez-moi un délai de réflexion, soyez clément pour votre pauvre fils. Et pour ces demoiselles. Je ne veux pas passer à côté de la perle rare, dans la précipitation je pourrais facilement être séduit par un vulgaire caillou, fais-je à voix basse à l’oreille de Kainan.

Son front se plisse, il réfléchit quelque temps, se demandant sans doute d’où me venait ce besoin de prendre mon temps. Surtout que l’intronisation était prévue pour la semaine même.

Il craignait de bouleverser tout le programme en cédant à ma demande. Je m’empresse de le rassurer.

—Cela ne dérange en rien vos prévisions.

—Mais si ! Il faut que vous soyez tous les deux béni par les dieux et présenter au peuple pour la suite.

—Les dieux n’ont jamais dit que je ne pouvais pas momentanément avoir plusieurs femmes potentielles.

—Oh le coquin ! Je te vois venir, s’esclaffe –t-il. C’est peu commun…je n’ai jamais vu cela.

Il me dévisage, comme s’il venait de découvrir un secret sur son fils. Je ne le sors pas de sa mégarde, prêt à tout pour repousser le moment inévitable.

—Je vais en discuter avec les prêtres. On se réunira après la prière, pour voir ce qu’il en ait, dit-il.

Sa main se referme sur le pied d’une coupe de champagne. Il en avale le contenu, prends une autre vide sur la table pour les entrechoquer et attirer l’attention de l’assistance.

Les murmures cessèrent dans l’assemblée. Il leur annonce que la cérémonie sera prolongée après la prière. Les demoiselles sont conviées à retrouver la reine dans ses appartements après. L’audience est à présent levée. Je souris. Une mini victoire en vue. Le plus dur était de convaincre Kainan, je ne doute pas une seule seconde que les autres vont suivre. Si j’arrive à tricher les dieux quelque temps, ma vie s’en portera mieux.

Akè, assis une table plus loin, me fixe. Que les dieux le protègent, s’il se permet encore de se mêler de mes histoires de cœur ou de mariage.

—Tu défies un pouvoir qui te dépasse frère, me lance -t-il, alors que je passe auprès de lui.

Je reviens sur mes pas, me penche pour être à sa hauteur.

—Certaines personnes ont besoin d’un cœur pour vivre Akè, articule ma voix froide. Si les dieux et leurs adeptes ne peuvent pas comprendre cela, c’est leurs problèmes.

—Leurs adeptes ? Tu parles comme un hérétique ! S’indigne –t-il. Ton sort m’inquiète.

—Un conseil frère. Reste loin de tout ce qui me concerne. Ou bien je risque de te donner de vraies raisons de t’en faire.

Je le laisse sur cette menace. Il n’a pas peur de moi, je sais. J'ai toujours été le gentil et lui le diabolique. Inverser les rôles, me conviendra parfaitement aujourd’hui.