Fyctia

Au réveil, une migraine m’accueille. Réveil est un bien grand mot pour celle qui n’a fermé l’œil que quelques modiques minutes. Encore une nuit blanche à me retourner dans mon lit. Cette fois-ci, la tasse de thé que j’ai prise tardivement combiné à ma manie de ressasser mon passé dans mon esprit, sont en cause. Je me traîne paresseusement hors du lit, tire les rideaux pour laisser s’infiltrer la lumière du jour. Mes yeux se plissent, attaqués par celle-ci. Il est bien plus tard que je ne le pensais. Un coup d’œil à mon écran m’indique qu’il est quinze heures passées de seize minutes. Flûte ! J’ai promis de faire les courses et d’amener Maa au temple de la ville. La prière hebdomadaire commence dans exactement quatorze minutes, ce qui veut dire qu’on aurait dû quitter la maison il y a déjà un bon quart d’heure. Les retardataires ne sont pas permis, une fois la prière commencer rien ne doit l’interrompre. Je me pince les lèvres, me maudissant intérieurement. Maa tient tellement à ces rencontres.

Cela lui rappelle l’ambiance d’Azbar. Les anciens intouchables qui ont migré du royaume vers Chicago s’y retrouvent régulièrement. C’est même eux qui nous ont aidés à nous intégrer. Ils nous ont supportés financièrement et moralement. Mon frère aîné et moi leur devons nos emplois respective. Et Hanna son inscription dans un lycée. Notre famille n’aurait pas eu l’appartement modeste que nous louons à un prix abordable, autrement.

Je me hâte sous la douche et en ressors aussitôt. Je passe un coup de brosse dans mes cheveux en bataille, enfile un jogging, un gros pull au hasard, récupère mon téléphone et mon sac à main de tous les jours, avant de sortir de ma chambre. Lily devait me prêter sa voiture, alors je l’appelle pour vérifier qu’elle l’avait bien amené, en me dirigeant vers la chambre de Maa.

Chambre vide, direction salon. Salon vide, direction cuisine. Cuisine vide…

—Allô ? Lily, la voiture ? Demandé-je dès qu’elle décroche.

—Lily, la voiture ? Je suis sûr que sur mon acte de naissance c’est Lily Avila.

Je passe devant la salle de bain, inocupée.

—Je suis en retard, s’il te plaît dit moi qu’elle est garée devant l’immeuble.

Apparemment il n’y a pas âme qui vive dans l’appartement. Intriguée, je continue sur le balcon, appelant Maa de vive voix.

—Relax, je suis là. Tu as encore besoin de la voiture ?

—Comment ça ? Bien sûr que oui, mais je ne retrouve pas ma mère. Je ne sais pas où elle est passé.

—Bah au temple, où veut tu qu’elle soit ? répondit la voix de Lily, étonnamment proche.

C’est quand je reçois une petite fessée de sa main, que je sus qu’elle était là. Dans mon dos.

—Sorcière ! Tu m’as fait peur.

Ma voix déformée par la surprise, devient aiguë. Elle rigole en me faisant la bise.

—J’ai déposé Maa. Quand j’ai amené la voiture, elle m’a dit que tu venais de trouver le sommeil, alors on ne voulait pas déranger la princesse, explique-t-elle.

Princesse. Prince. Jae Loe. Oh non. Je me suis promis de ne plus avoir son nom dans mes pensées. Plus jamais. Ça faisait bien trop mal. Du passé, balayé, oublié.

—Dieu soit loué. Tu me sauves la vie.

—Lily soit loué tu veux dire ? Pour ce qui est de te sauver, bof, rien de nouveau à l’horizon. Que serait Ary sans Lily ? Arly pour la vie, glousse –t-elle comme une adolescente.

—Arly pour la vie, repris-je en pouffant de rire.

Elle a raison sur toute la ligne. Cette jeune femme est mon roc sur lequel je peux toujours m’appuyer. Une vraie bénédiction dans ma vie. Je l'ai rencontré au travail, le coup de foudre amicale fut imminent. Surement un cadeau des ancêtres, pour me remercier d’avoir obéi à Aké.

Aké. Jae Loe. Merde.

Ma sauveuse tire une bouteille d’eau et une tranche de fromage du frigo. C’est tout ce qu’il y restait, avec du citron et des légumes.

—Je vais faire les courses, me défendis-je, avant qu’elle ne me fasse de remarque.

—Rappel moi, tu sers à quoi dans cette maison ? Les achats se font avant que les gens ne crèvent de faim, préférablement.

—Ce n’est pas encore arrivé, alors tout va bien.

Elle lève les mains au ciel, l’air complètement excédé. Puis pointe ses doigts en sa direction. J’ai compris. Elle a faim. Je lui indique le placard qui renferme le reste de vivre dans toutes les maisons. Des chips, du pain de mie et...et c’est tout.

— Viens avec moi, on pourra déjeuner ensemble, dans les petits restos du supermarché.

—Si je survis d’ici là, peste -t-elle.

Je me suis trompé. Elle est affamée. La Lily de tous les jours aurait rejeté cette offre. Petit resto ne rime pas avec son nom.

—Allons-y, fais-je, en avançant vers la porte.

Elle me fixe sans bouger, alors je m’arrête dans mon mouvement.

—Tu comptes sortir comme ça ?

—Oui madame. C’est un centre commercial.

Rien qu’à son expression de visage, je sens qu’elle va me faire son Coco Channel.

—Peu importe. « Habille-toi comme si tu allais rencontrer l’amour de ta vie, ton ex et ta pire ennemie » me cite –t-elle.

Amour. Jae Loe. Ex. Jae Loe. Silence !

—Laisse-moi deviner. Je l’ai sur le bout de la langue…Hmmm... ça commence par Coco et finit par Channel ?

Ce n’est pas comme si toutes les citations de mode dont elle me rabâche les oreilles à longueur de journée, ne venaient pas de cette grande créatrice.

—Je devrais garder mes conseils pour moi, tu ne les mérites pas, se désespère –t-elle en m’emboîtant les pas.

Enfin, on quitte l’immeuble. Deux jeunes femmes, d’âges proches, et de style vestimentaires complètement à l’opposé. Lily sait s’habiller. C’est un don que personne ne pourrait lui enlever. Elle choisit toujours des ensembles qui mettent son corps en valeur. En même temps, sa silhouette de sirène lui rend la tâche plus facile. Sa toilette lui sied à merveille.

Je ne peux m’empêcher de jalouser sa petite jupe noire et la jaquette de même couleur surmontant son haut d’un beige clair. Rien de spéciale, pourtant sur elle ça attire inévitablement le regard. Ou peut-être ce sont ses bottes en cuire ? Ses lunettes remontées sur ces cheveux ? Ses bracelets aux couleurs chatoyantes ? Le verni noir de ses ongles ? Ses accessoires, séparément, sont bateaux. Mais elle les a assortis comme s’ils étaient créés pour se rencontrer. Il est vrai qu’à côté d’elle, je suis tout à fait ridicule. Négligée, d’après elle.

C’est qu’elle n’a jamais été une intouchable. Cela vous façonne, vous marque au plus profond de vous. Je ne me prends la tête pour éviter de mélanger les formes et les couleurs quand je m’habille. Depuis mon arrivée, je me vêts à l’arrache. Heureusement qu’un uniforme est imposé sur notre lieu de travail.

—Tu gardes Luxe ce soir. J'ai un rendez vous en centre ville, me dit -elle , une fois au volant.

Le trafic dans cette zone est terrible. Les habitués préfèrent largement emprunté les transports en commun ou même marcher. Et Luxe, c'est le nom qu'elle a choisi pour son véhicule.

—Avec ton copain ? Ou plutôt avec lequel de tes copains ?

Elle me fait un clin d’œil moqueur et démarre en trombe.