Fyctia

Mon rendez-vous arrive quelques minutes plus tard. Nous nous serrons la main poliment, puis elle m’invite à m’assoir pendant qu’elle effectue quelques réglages afin de projeter sa présentation. Durant tout ce temps, je sens bien que son regard m’évite. Elle se cache derrière quelques mèches de cheveux échappées de son chignon et tombant devant son visage, mais la transformation s’opère bien vite quand elle commence à me parler du vif du sujet. J’essaie de prendre quelques notes, d’être en quelque sorte l’élève modèle. Je lui pose aussi des questions, auxquelles elle répond sans une once d’hésitation. Elle m’interroge également sur les détails de notre activité pour rendre son discours le plus juste possible.

Je ne vois pas le temps filer, et c’est mon estomac qui me rappelle à l’ordre. C’est alors que je prends mon courage à demain en m’entendant lui proposer de poursuivre la discussion autour d’un repas. Elle semble sortir de sa bulle, sa tête s’incline légèrement, elle dissimule son regard de nouveau derrière ses cheveux, avant d’accepter. Je suis obligé de desserrer le nœud de ma cravate quand une douce chaleur monte en moi, après avoir vu ses joues rosir.

Sur le trajet silencieux vers le restaurant qui voudra bien nous accueillir (ils sont décidemment tous pleins ), je fais tout mon possible pour me tenir à distance. Distance que je ne peux m’empêcher de réduire quand je lui ouvre la porte du restaurant qui me garde toujours une place. C’est plus fort que moi et assez naturellement que ma main vient se poser au creux de son dos. Je la sens se raidir légèrement et regrette aussitôt mon geste. Si je le pouvais, je me giflerais sur le champ. Il faut que je reprenne mes esprits. Le gérant m’indique ma table habituelle d’un signe de la tête, et je la devance afin de tirer sa chaise. Je l’entends dans un souffle me murmurer un « merci ».

Au cours du repas, où notre hôte se fait le plus discret possible, je la vois se détendre un peu, même si le sujet de la conversation demeure autour de nos environnements professionnels. Je me surprends à dévorer des yeux le sourire qu’elle esquisse quand on nous sert le repas. Puis soudain, je suis dépassé par mes émotions. Que fait-elle si ce n’est me rendre fou alors qu’elle se contente de libérer sa chevelure de son chignon négligé ? Je tente de me calmer en buvant une gorgée d'eau, qui manque aussitôt de m’étouffer. Aussitôt, elle saisit ma main, inquiète, et je m’empresse de serrer la sienne pour lui faire comprendre que tout va bien. Apparemment, mon geste ne la rassure pas vraiment car elle retire immédiatement sa main. J’aurais voulu la retenir, maintenir son contact, sa peau contre ma peau, ce contact qui me brûle. Comme ce fameux soir. Elle prend ses distances, je ne sais pour qu’elle raison. Je ne pensais pas mon geste déplacé, pourtant elle met fin au repas en se levant pour aller régler l’addition.

Elle ne manque pas de souligner en souriant : « C’est pour le cabinet, je le ferai passer en note de frais. Je l’ajouterai à votre facture bien sûr !»

Je lui souris en retour, mais je suis perturbé par son changement d’attitude, sa prise de distance. Je ne veux pas l’effrayer. Je ne veux pas qu’elle me fuit. Je ne veux pas tout simplement la perdre, moi, qui ne croyais pas au coup de foudre, qui riais bien fasse à cette théorie, je crois pourtant que j’ai été foudroyé ce soir-là. Le plus douloureux n’est pas ce coup de foudre, le plus douloureux c’est d’être sur ce fil, à jouer l’équilibriste pour essayer par tout moyen de la faire entrer dans ma vie et qu’elle y reste.

Bien silencieux sur le trajet, je reprends mes esprits afin de me concentrer le plus possible alors que nous poursuivons la présentation dans son bureau. Quand je la vois rattacher ses cheveux, je sais que c’est le top départ. Elle se renferme définitivement dans sa bulle et termine cette mini formation de façon très professionnelle et me demande si mon collaborateur, Tom, et moi avons besoin d’être accompagnés à plus long terme.

« J’ai, pardon, nous avons besoin d’un accompagnement maximal. Je ne suis vraiment pas certain d’avoir retenu suffisamment d’éléments juridiques pour me lancer dans cette aventure, seul. » Il faut que je puisse la revoir et le contexte professionnel me semble le plus opportun pour le moment. Ne pas la brusquer. La laisser dans son élément. Cela n’est pas une fragilité que je perçois, au contraire, son univers professionnel est sa force. Celle qui lui donne confiance en elle et je veux la voir rayonner.

« C’est avec plaisir que mon équipe vous accompagnera en fonction de vos besoins. Voyez avec Côme, notre assistant, il s’occupera de faire un devis ; me répond-elle en se relevant de sa chaise afin de me signifier la fin du rendez-vous.

- Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé aujourd’hui, ainsi que pour le repas en votre compagnie, je lui dis en lui tendant la main.

- Je vous en prie, je n’ai fait que mon travail …

- Avec passion, je la coupe.

- Avec passion, acquiesce-t-elle en rougissant ».

Elle rougit, je ne sais si c’est au contact de ma main, ou bien serait-ce à l’évocation du mot « passion » ? Non, je dois me faire des idées voyons. Mais bon sang, ça me fait vraiment quelque chose de la voir rougir à chaque fois.

Malheureusement, nous sommes coupés de cette parenthèse hors du temps par la sonnerie stridente de mon téléphone professionnel. Je prends l’appel et au vu des éléments énoncés par mon interlocuteur, je ne réfléchis pas. Il faut que je fonce, un défaut de conception de l’une des pièces maîtresses peut mettre en danger le personnel présent sur le chantier. Je ne tolèrerai pas qu’il arrive quelque chose à qui que ce soit. Je récupère à la va vite mes affaires et file sans demander mon reste. Tant pis pour les “au revoir”. J’ai désormais ses coordonnées, je prendrai le temps de m’excuser de ce départ précipité un peu plus tard.