Fyctia
TOI ~6
Je souffle un bon coup avant de m’installer en face de mon client. Je connecte mon ordinateur au vidéo projecteur, termine de mettre en place la présentation, prend une gorgée d’eau avant de commencer mon speech. Je prends bien soin d’éviter son regard, que je sens pourtant posé sur moi. Parler de mon sujet de prédilection me plonge dans une bulle de confiance en moi. J’en oublie presque que j’ai en face de moi Mon inconnu. La présentation est ponctuée d’échanges, de questions - réponses. Je suis si lancée dans cette dynamique que je ne vois pas l’heure passer. Le temps imparti au rendez-vous est dépassé, pour autant je n’ai pas fini la présentation. Je suis coupée dans ma réflexion quand mon client propose :
« Est-ce que je peux me permettre de vous inviter au restaurant afin que nous continuions de parler du projet de mon cabinet ? »
J’incline la tête, me cache derrière un rideau de cheveux afin de me soustraire à son regard. Je lui réponds que cela serait avec plaisir. Mon envie de passer plus de temps en sa compagnie prend le dessus sur ma raison. Mes joues rosissent de manière incontrôlable, je m’éclipse alors dans mon bureau afin de récupérer mes affaires, mais aussi pour essayer de me remettre les idées au clair. Il s’agit d’un rendez-vous professionnel. Je ne dois pas l’oublier.
Il m’attend poliment dans à l’entrée du lobby, avant que je lui indique que nous pouvons y aller. Je lui ouvre la porte, puis nous descendons en direction du centre-ville. L’heure du déjeuner est relativement avancée, il fait chaud, mais cela n’a pas dissuadé les clients qui sont en terrasses. La plupart des restaurants affichent complets ou ne servent plus à cette heure-ci.
« Si je peux me permettre, j’ai une adresse pas très loin de mon cabinet, au frais et qui me garde toujours une petite place. »
Je sursaute au son de sa voix, j’étais un peu contrariée de ne pas savoir où l’emmener déjeuner, d’autant plus que nous n’avons que très peu parler durant le trajet.
Un sourire se dessine sur mes lèvres alors que je lui réponds : « Je vous en prie, je vous suis. ». Je me laisse guider dans les petites rues du centre historique, non loin des halles. Arrivés à destination, il m’ouvre la porte du restaurant et pose furtivement sa main au creux de mon dos afin de me faire avancer légèrement pour qu’il puisse refermer la porte. Malgré la fraicheur ambiante conservée grâce aux vieilles pierres, je ne peux m’empêcher de me raidir subtilement, et de me laisser envahir par une douce chaleur, qui fait se contracter mon ventre.
Merde ! Il faut que je me ressaisisse. Il ne doit même pas se rappeler de cette soirée. Et puis, où est ma déontologie professionnelle ? Il s’agit d’un client !
Un client somme toute galant, quand il me devance afin de tirer ma chaise. Je le remercie dans un souffle, surprise de cette attention perdue de nos jours par la gente masculine. Il faut croire, non j’en suis certaine, que je suis vieux jeu en ce qui concerne ce genre de chose.
Pendant le repas, j’essaie de me détendre, d’être un peu moins coincée dans mon rôle de conseillère. Bien sûr, la conversation reste accès sur nos univers professionnels respectifs, mais le ton employé n’est plus aussi formel. J’en viens même à détacher mes cheveux pour les libérer de leur emprise.
Et c’est là que le drame se produit, je vois littéralement mon client s’étouffer en buvant son verre d’eau. Je le regarde un peu paniquée, lui saisis la main pour m’assurer que tout va bien malgré ce petit incident. Aussitôt, il la presse et me sourit. Je me consume intérieurement, resserre instinctivement les cuisses. Je retire ma main rapidement, brûlée à vif une fois de plus par son contact. Maintenant, j’en suis certaine. Il s’agit bien de Mon inconnu. Incertaine de savoir s’il se souvient de moi ou non, je me barricade instinctivement. Je vais même jusqu’à reprendre mon ton le plus professionnel possible. Prendre de la distance, se protéger.
Fort heureusement pour moi, le repas touchant à sa fin, je m’empresse aussitôt de me lever pour aller régler la note :
« C’est pour le cabinet, je le ferai passer en note de frais. Le l’ajouterai à votre facture bien sûr ! je rajoute tout sourire. »
Il s’agit d’une blague, enfin en partie, car oui, cela passera bien en note de frais pour rendez-vous professionnel. C’est bien ce que c’est non ?
De retour au cabinet, la salle de réunion étant prise, nous poursuivons le reste du rendez-vous dans mon bureau. Heureusement que j’avais eu l’idée de le ranger un peu. Je le laisse s’installer en face de moi, pendant que je tourne suffisamment l’écran afin de pouvoir reprendre la présentation. Je me rattache les cheveux, Mon inconnu quant à lui remonte les manches de sa chemise sur ses avant-bras qu’il ne faut absolument pas que je regarde. Reconcentre-toi voyons ! Une inspiration, puis deux et me voilà repartie. Il ne restait plus grand-chose à développer, si ce n’est les prestations que nous pouvons offrir à son cabinet d’architecture. Il pourrait très bien se satisfaire de la mini-formation d’aujourd’hui …
« J’ai, pardon, nous avons besoin d’un accompagnement maximal. Je ne suis vraiment pas certain d’avoir retenu suffisamment d’éléments juridiques pour me lancer dans cette aventure, seul. »
Oh joie, je vais le revoir … mais du calme. Il faut rester professionnelle. Alors, je lui adresse un sourire poli :
« C’est avec plaisir que mon équipe vous accompagnera en fonction de vos besoins. Voyez avec Côme, notre assistant, il s’occupera de faire un devis ; dis-je en me relevant de ma chaise afin de lui signifier, que cette fois-ci, c’est la fin du rendez-vous.
- Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé aujourd’hui, ainsi que pour le repas en votre compagnie, répond-il en me tendant sa main que je serre brièvement.
- Je vous en prie, je n’ai fait que mon travail …
- Avec passion, me coupe-t-il.
- Avec passion, j’acquiesce en rougissant ».
Je suis sauvée par le gong de cet interlude quand la sonnerie du téléphone de Mon inconnu retentit.
6 commentaires
Patricia Eckert Eschenbrenner
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Il y a 2 ans
Philippe Sebbagh
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Il y a 2 ans
N. DGarcia
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Il y a 2 ans