Fyctia

Je lâchais un long soupir empli de frustration.

J’attrapais mon téléphone, tapis au fond d’un petit sac jaune que j’avais emporté.

Une fois déverrouillé, j’envoyais un message à la seule personne capable de m’aider.

“Bestie <33”

– Soirée pyj chez moi ce soir?

Puis je le rangeais sachant qu’elle ne me répondrait pas dans l’immédiat. Et puis, ce n’était que le début de la journée, j’avais encore le temps d’attendre sa réponse. Je me levais et allais aider mes parents à sortir la nourriture du pique nique qui approchait au fur et à mesure que les grondements de mon ventre s’intensifiaient.

Qu’est-ce que j’avais envie de manger ce sandwich aux oeufs brouillés que nous avions préparé la veille !

J’aidais ma mère à sortir d’un grand sac isotherme le paquet de chips au format familial, les sandwich, une boîte de champignons crus fourrés au fromage à tartiner aux noix, deux grandes boissons et des verres en plastique.

Il fallait quand même l’avouer, les pic-niques en famille l’été étaient vraiment l’un des meilleurs moments qu’on pouvait passer avec ceux que l’on chérissait.

– Moi aussi je veux qu’on me prenne en photo ! s’écria ma petite sœur. Juste là, sur le ponton, Prim tu viens?

– Tu veux que je te prenne en photo ?

– Bah non, je veux qu’on nous prenne ensemble, réfléchis, me répondit-elle en ajustant ses cheveux vénitiens comme si en l’espace d’un instant elle était devenue la star la plus populaire au monde braquée sous les feux des projecteurs.

Et elle pouvait se vanter de sa beauté, celle-là ! La nature l’avait bien gâtée. Son visage fin aux teintes de porcelaine était constellé de petites tâches de rousseurs qu’on ne percevait que si on s’approchait de trop près d’elle. Ses yeux azur, dont elle avait hérité de notre père, brillaient comme le plus scintillant des saphirs que ce monde n’avait jamais connus.

Je me positionnais à ses côtés, souriant timidement à l’appareil téléphonique que mon autre mère, biologique, Aline, tenait entre ses deux mains. Je l’entendais prendre plusieurs photos les unes après les autres, sans ne jamais s’arrêter. Une fois avec l’appareil à la verticale, puis à l’horizontale…

– C’est bon ! Wow de vraies stars ! s’écria-t-elle avec enthousiasme.

– Montre ! Faut que je vois ça !

Et Olympe parti admirer son reflet photographié, sautillant en balançant ses cheveux de droite à gauche comme une enfant gâtée.

– On est trop belle, faut que je la poste sur Instagram, lança-t-elle en arrachant presque le smartphone des mains de ma mère. Ouais, c’est clair, on est vachement belle, lâcha-t-elle à nouveau. Merci maman!

J’observais la photo, désormais entre les mains d’Oly.

Elle était plus petite que moi d’une tête environ, ses cheveux étaient beaucoup moins roux que les miens, ils tournaient plus au blond et ses yeux étaient à l’opposé des miens ; ses deux iris saphir brillaient comme deux étoiles, en comparaison de mes jades ternies. Mais nous avions la même peau pâle et ces mêmes petites fossettes qui creusaient de peu nos joues et qui mettaient en valeur la forme marquée de nos pommettes.

J’aimais cette photo, avec le grand lac en fond.

C’était un doux souvenir immortalisé, et c’était l’avantage avec les appareils photos : notre esprit pouvait changer, mais la photo, elle, restait pétrifiée dans le temps.

– Tu me l’enverras ? lui demandai-je.

– Yep, me répondit-elle en piochant dans le paquet de chips au barbecue.

Dès lors, nous nous asseyons tous sur les bancs qui trônaient fièrement autour de la table en bois abîmée par le temps, puis commencèrent à dévorer notre repas tout en échangeant des anecdotes farfelues et en discutant du quotidien, de tout, de rien, et de n’importe quoi.

Et c’était ces moments merveilleux qui me faisaient oublier l’existence même de la racine de mes problèmes.

Mon téléphone sonna une quarantaine de minutes plus tard.

C’était Sydney.