Fyctia

– Chaud devant ! lança Sydney avant de déposer sur le lit la pizza posée sur son emballage cartonné. Bordel c’est brûlant ce truc ! Elle soufflait sur ses doigts, espérant que cela changerait quelque chose à la situation.

Et je riais de sa bêtise.

Elle avait répondu à mon message en fin de matinée, pendant le déjeuner. De toute évidence, elle avait l’air encore plus excitée que moi à l’idée d’organiser cette soirée pyjama “tarot drama”.

Ce genre de soirée, c’était son truc. Tirer les cartes et les interpréter jusqu’au bout de la nuit, découvrir de nouvelles facettes religieuses, de nouvelles facettes du monde et de l’univers et des dieux. De la magie, du surnaturel, de l’inconscient et du spirituel.

Si je faisais appel à elle, ce n’était pas simplement parce que c’était ma meilleure amie et que j’avais une confiance aveugle envers son art, mais surtout parce qu’une part de moi, bien enfouie dans les abysses de mon esprit me disait qu’elle avait un don inné. Quelque chose de spécial, de mystique.

De magique.

Alors, quand je lui ai proposé cette folle soirée, je n’étais pas surprise de voir qu’elle était déjà toute excitée comme une puce !

Quoi qu’il en soit, nous étions assises l’une en face de l’autre sur le lit moelleux – recouvert d’une couette blanche – de ma chambre, une pizza hawaïenne posée entre nous.

L’odeur de poivrons m'enivrait les narines, tandis que l’ananas ajoutait une petite touche sucrée qui me donnait l’eau à la bouche.

C’était une explosion d’odeurs qui me rappelait la raison pour laquelle elle était ma préférée : le sucré et le salé qui se mariaient à merveille, et le poulet onctueux qui ajoutait son petit grain de délice, le tout orné d’un généreux filet de miel chauffé.

Je ne comprenais pas pourquoi on pouvait autant en vouloir à une pauvre pizza si délicieuse.

– Tu vas la regarder encore longtemps ta pizza ? ricana Sydney en m’arrachant à mes pensées.

– Ouais, t’as raison, répondis-je en riant avec elle.

Tandis que je piochais la part la plus recouverte de poivrons, je l’observais déposer un sac à main marron sur le lit.

– Alooors ! J’ai tout le matos ma belle crois-moi qu’on va décortiquer tout ce qu’il y a a savoir ! lança-t-elle en sortant divers accessoires de son sac.

Dévorant ma part de pizza comme une bête sauvage affamée, je regardais toutes ces bizarreries qu’elle sortait les unes après les autres, me demandant comment il était possible de pouvoir en faire entrer autant dans un sac aussi petit.

Si elle me la jouait à la Harry Potter, elle avait réussi à merveille.

– C’est quoi le programme ? demandais-je, perplexe. Je la voyais sortir une étrange planche boisée gravée des lettres de l'alphabet. Oh, oh attends ! On va quand même pas réveiller les morts, hein ?

– Tu crois qu’il y en a ici ? me lança-t-elle les yeux remplis de malice et de ce que j’imaginais être un soupçon de défi.

Je déglutis. Malgré son air joueur, j’observais les recoins de ma chambre, me demandant s’il était possible qu’un petit esprit à la recherche de chaleur y avait fait son nid.

Mes yeux se posèrent sur la baie vitrée qui donnait ouvrait les portes sur un petit balcon, puis dévièrent sur le bureau immaculé, recouvert d’un ordinateur portable, de crayons en tout genre, d’un tas de carnets de toutes les couleurs, d’un petit buste de mannequin portant fièrement un début de robe inachevé aux couleurs azur et sang. Sur le mur étaient collées diverses affiches vintages des plus grands créateurs de mode, d’autres avec seulement certaines palettes de couleurs aux teintes beiges et brunes ainsi que des pages de livres jaunies par le temps, recouvertes de croquis inspirants. Je continuais mon petit tour rapide en observant les étagères de la grande bibliothèque située près du bureau.

Oh non, il était sûr qu’aucun petit esprit farceur n’oserait s'aventurer entre ces gros bouquins se science-fiction, de mode et de fantaisie.

Ni sur le gros pouf au coin de la chambre, qui tirait la tête. Par contre, Grizouille, mon chat lui, n’avait pas hésité à le revendiquer comme étant son propre lit douillé.

– Ah ! Prim, prim ! s’écria Sydney, me faisant sursauter si haut que j’en rebondissait sur le lit.

– Bordel mais ça va pas ? Tu veux me tuer avant d’avoir raconté ma vie aux morts de l’au delà ?

Elle me lança un regard et explosa de rire, tandis que mon cœur se calma d’un coup.

– Mais non, on va pas raconter ta vie aux morts, idiote ! Je vais te tirer les cartes, ça te tente ? répondit-elle en s’asseyant enfin sur le lit.

Evidemment, elle avait choisi la seconde part la plus garnie.

– Et comment ? Tu sais faire ça ?

Je m’essuyais les mains de toute la farine et du gras qui s’y étaient incrustés.

– Ok alors, c’est assez simple, lança-t-elle en posant sa part de pizza sur le carton. Je vais mélanger les cartes et couper le jeu en deux. Je vais te montrer les cartes face retournée et toi, tu vas en choisir treize, ok ?

– Ouaip.

Jusque là, je la suivais.

– Je vais les aligner les une à côté des autres, six en haut, si en bas, et la treizième sous la seconde ligne, me dit-elle en commençant à mélanger les cartes entre elles aussi vite qu’elle le pouvait. T’es prête ?

L’étais-je ? Bien que je faisais entièrement confiance aux dons de Sydney, que me révèleraient ses cartes ? Quel avenir verrait-elle pour moi, au travers de son jeu ? D’une certaine manière, ce n’était pas vraiment une décision à prendre à la légère, et j’imaginais qu’elle le savait déjà, puisqu’elle ne tirait pas son jeu à n’importe qui.

Avais-je envie de voir le futur qui m'était réservé ?

– Les cartes, elles ont déjà menti ?

Elle me lança un regard rempli d’incompréhension. Comme si ma question était bête et la réponse évidente.

– Bien sûr que oui. Je ne suis pas experte en cartomancie ! rie-t-elle.

Je ne savais pas si cela devait me rassurer, on ne savait jamais vraiment si les cartes disaient la vérité ou non, ni même quand leur prédiction se réalisait. Mais si je voulais avoir une idée claire sur ce qui se passait au fond de mon âme, alors je me devais de prendre les devants, de gonfler mes poumons aussi puissamment que je le pouvais et de prendre mon courage en main.

– Je suis prête. Vas-y !

Elle sépara alors son jeu en deux parties quasi égales puis me présenta ce qu’il lui restait face cachée.

– Choisis-en treize. N’importe lesquelles, celles qui te font le plus envie, celles qui t’intriguent le plus, au pif, peu importe.

Je ne voyais que le pentacle des cartes violettes qu'elle tenait. Lesquelles devais-je choisir ? Et si je tombais sur une carte négative, ou pire que cela ? Si mon destin était déjà tout tracé et s’avérait être mauvais ?

“Le mal ne vient que si tu lui ouvres la porte.”