Fyctia

Ces yeux rouges vifs me traversèrent l’esprit. C’était la seule chose que je gardais bien distinctement de ce diable tentateur. De gros yeux braqués sur moi, aussi rond qu’une pleine lune sanglante qui se reflétait sur l’océan glacé. Des yeux remplis de malice et de désir.

Des yeux affamés.

– Ça mord, ça mord ! hurla mon petit frère, me faisant sursauter de terreur.

Ma seconde mère, Angélique, attrapa la canne à deux mains et tira de toutes ses forces pour récupérer le poisson. Il s’agita et gigota dans les airs comme une proie prise au piège essayant d'échapper à la mort qui lui pendait au cou.

Enfin, c’est ce qu’il était, de toute façon. Et.. c’était lui qui était pendu.

– Tout comme toi, Priméla.

Je me tournais d’un coup, si fort que ma tête se mit légèrement à cogner.

Ce chuchotement accompagné de milliers de frissons qui me glaçaient le dos me terrifièrent. Cette sensation… c’était comme si quelqu’un venait de passer derrière moi à une proximité si faible que mon corps y réagissait avec détresse.

Ce qui me glaçait encore plus le sang, c’était cette idée qui se faisait dans l’esprit de tous le monde et ce, déjà bien petits : “les frissons dans le dos sont le signe qu’un esprit passe derrière toi”

Je ne savais pas qui était l’idiot qui avait inventé cela, mais là, tout de suite, des milliers de questions emergèrent, venant s’entasser sur toutes les autres, ne formant plus qu’une pile de plusieurs milliers de mètres de haut.

Cette voix, je la connaissais. J’en étais persuadée.

C’était la sienne.

Je respirais puissamment, essayant de contenir l’angoisse qui me martelait le cœur et l’adrénaline qui pulsait dans mes veines.

Soudain, cette sensation de mort imminente m'enveloppa toute entière et un poids énorme se posa sur ma poitrine, m’empêchant presque de respirer. Bien que je ne sentais plus ces frissons me parcourir les dos comme des milliers de petites araignées, quelque chose, d’instinct, me criait que ce n’était pas terminé.

Je ne sentais plus la douce chaleur matinale de l’été, mais simplement la mort glacée qui m’avait chuchotée à l’oreille.

– Whooo! Prim regarde ce qu’on a attraper !

Sursautant à nouveau, ce voile sombre qui me donnait le tournis s'évapora laissant place au ciel bleu et au lac entouré d’une forêt de milliers de sapins verdâtres tous aussi imposants les uns que les autres.

La chaleur estival m’enlaça de nouveau, mais cette peur qui grinçait au creux de mon estomac n’était pas encore partie, il y avait pris racine et n’avait pas l’intention de quitter son nid. Il me grignotait encore les entrailles.

J’affichais un sourire, malgré moi, tandis que mon petit frère se débattait avec le gros poisson, essayant de le déposer dans un seau sans qu’il ne puisse s’échapper et retrouver sa liberté.

– Je crois que c’est une carpe ! On le ramène pour le manger ? lança-t-il à ma mère, les yeux remplis d’étoiles scintillantes.

De toute évidence, il aimait les fruits de mer encore plus que moi.

– Bah non, répondit-elle simplement en soupirant, on le relâche, on va pas garder ces poissons.

– Roh… souffla-t-il en vidant le seau dans l’eau, observant le poisson filer à vive allure.

A l’aspect anodine, c’était cette scène familiale qui se jouait sous mes yeux qui peu à peu, réchauffait mon cœur et chassait l’angoisse qui s’était nichée au cœur de mon esprit.

J’essayais de mettre tout cela de côté, profitant du calme et du bien être que me procurait ce moment en présence de ma famille.

Même si j’avais encore un peu de mal à me l’avouer, j’essayais tant bien que mal de fermer les yeux sur mes problèmes. Problèmes qui, si je fermais les yeux trop longtemps, risqueraient sûrement de me dévorer le cœur et ce sans même que je ne m’en rende compte.

Et plus je repensais aux avertissements de Sydney, plus j’avais envie de faire quelque chose. Parce que c’était mal.