Fyctia

Accoudée sur la balustrade en pierre nacrée du large balcon, j'observais, le cœur pris dans les filets de l'angoisse, les derniers instants de la beauté de l'immensité bleue qui me faisait face. Mes yeux déjà humides de larmes salées qui menaçaient de couler, dessinaient les courbes gracieuses de la Terre, en me répétant intérieurement le nom de chaque pays dont j'avais connaissance.

La noirceur de cette dernière était d'une beauté si saisissante qu'il m'était presque impossible d'en détourner le regard. Je pensais à la nuit nocturne et aux âmes survivantes qui, dans le clair obscur, devaient sans doute eux aussi observer les courbures lointaines de la lune.

A quoi songeaient-ils ?

Je pensais aux gazouillements des oiseaux par milliers, aux douces – mais agaçantes – stridulations des criquets, au vent gracieux caressant avec délicatesse les branches d'arbres tantôt nues, tantôt vêtues, à la pluie ruisselant sur les fenêtres et aux âmes amoureuses qui s'unissaient dans la douceur de la nuit étoilée.

Ici, il n'y avait aucun bruit. Pas d'oiseaux bavards et chanteurs, seulement les vas et viens d'un léger vent amical qui ne laissait aucun son dans son sillage.

C'était un calme plat qui forçait mes songes et pensées les plus profondes à ressortir répandre dans mon esprit le chaos du doute et de la culpabilité.

Soudain, une voix familière brisa ce silence de plomb et mes pensées échappées regagnèrent leur prison aux barreaux acérés.

– Votre Divine Majesté, la barrière anti gravitationnelle s'apprête à être posée. L'opération va pouvoir commencer.

Je lâchais un long soupir d'inquiétude enchevêtré à de profonds remords, à de la tristesse et à une grande culpabilité.

J'eus à peine le temps de fermer les yeux qu'une fine barrière blanche semi transparente à peine perceptible se forma sous mes yeux. C'était une grande sphère qui s'établissait autour de mon chez moi.

Je savais maintenant qu'il était temps et que je ne pouvais plus faire marche arrière. Le cœur battant à vive allure, je sentis une perle glacée couler entre mes omoplates, me rappelant toujours plus que tout cela était bien réel.

Je tournais entre mes doigts la petite boîte dans laquelle se tenait un bouton rouge, celui qui scellerait le sort de l’immensité bleue que j'avais sous les yeux. J'avais l'impression qu'elle me fusillait du regard, me suppliant de ne pas appuyer sur ce déclencheur et de lui laisser la vie sauve. C'était une impression cauchemardesque qui me terrifiait encore plus.

Je n'étais pas prête.

Mais je n'avais pas le choix.

Soupirant encore, et après avoir hésité plusieurs centaines de fois, je pris mon courage à deux mains, ferma les yeux et ouvrit rapidement la boite pour venir appuyer sur le bouton en son centre.

Un geste simple que j'avais l'impression d'avoir effectué en l'espace d'une micro seconde.

Un léger "bip" résonna et lorsque je rouvris les yeux, un compte à rebours holographique s'afficha au-dessus de la boîte.

Cinq secondes.

C'était cinq petites secondes qui ne laissaient même pas le temps de prendre conscience de l'énormité que j'avais commise. C'était comme si je...

Trois, Deux.

Un.

Le bruit d'une explosion énormissime retentit au loin et vint se loger dans mes oreilles, accompagné d'un "biiiip" qui résonnait si fort que cela m'obligeait à m'en boucher une.

Une effluve de magma en fusion m'aveugla un instant puis se dispersa dans les entrailles de la galaxie et s'éteignit comme le dernier souffle de l'humanité. L'eau se transforma en fumée et les imposants débris rocheux s'éparpillèrent si vite qu'il m'était impossible de suivre du regard ne serait-ce que les plus gros.

Mon cœur se compressa au creux de ma poitrine, obligeant mon corps à se tordre de douleur. C'était une vision atroce qui resterait gravée à tout jamais dans mon esprit, telle une marque maudite par les étoiles.

Une soudaine pression m'envahit, si forte que je me retenais au garde corps du balcon. Le sol trembla un long instant dans lequel les arbres toujours vêtus se virent ôtés de leur feuillage aux teintes immaculées nuancées de bleu. Elles s'envolèrent au loin, emportées par la tempête – que formait le choc des débris de la Terre venant s'abattre sur la barrière – telles les âmes survivantes que je venais d'ôter.

Subitement prise de nausée, je lâchais la balustrade, me pliant en deux et dégobillant à même le sol de pierre, tachant de part et d'autre le bas de ma longue robe. Un goût amer me restait dans la gorge, était-ce celui du liquide pâle que je venais de vomir, ou était-ce le goût de la mort que je venais de répandre ?

Mon coeur se compressa de nouveau.

Je me relevais en grinçant des dents, une main posée sur mon bas ventre, l'autre essuyant du revers de l'index les creux de mes lèvres.

Lançant un dernier regard au vide sidéral qui avait remplacé la Planète Bleue, je soupirais une toute dernière fois, versant une larme empli d'un regret qui ne s'effacerait plus et qui me hanterais à tout jamais.

    Et tandis que je fermais les yeux sur ce monde que j'ai chéri, je me maudissais d'être celle qui l'ai détruit.