Fyctia
Chapitre 2.1
La fille dans le miroir a l’air tellement assurée, tellement prête à affronter ce qui l’attend.
Tout ce qui l’attend.
Le menton levé, elle semble capable de subir chaque crasse, chaque brimade que l’usurpateur lui réserve sans flancher. Mieux encore, dans sa robe d’un rouge flamboyante, elle incarne la résistance, et la force.
J’aimerais ressentir intérieurement ce qu’elle dégage en surface.
Mais je n’y arrive pas, j’ai cette peur tenace qui me dévore de l’intérieur tel une maladie incurable. Une bestiole immonde qui me grignote le cœur, envahit mes poumons et me vole mon souffle.
Aujourd’hui, je vais devenir l’épouse d’un monstre.
Hier j’étais celle qu’on formait pour le tuer, et demain je serais celle qui l’aura assassiné et mourra sans doute pour l’avoir exécuter.
Mais ma disparition à moi, elle ne comptera pas.
Dans le fond, je ne suis pas plus femme que je suis épouse.
Je suis juste l’arme d’un coup d’État à venir.
Je prends une grande inspiration en lissant la robe rouge sertie de rubis que je porte à la manière d’une armure.
Elle ne cache presque rien de mon corps, parce que pour mon futur mari, je ne suis qu’un jouet sexuel doté d’une conscience qu’il prévoit de m’enlever.
Un rictus mauvais étire ma bouche.
Je ressemble à une prostituée royale. Sans doute le suis-je, finalement. Mon regard accroche mon sein rehaussé par les chaînes d’or.
Oui, je le suis.
Un ventre sur patte qu’Ad’Harc Torry compte bien remplir si je lui en laisse le temps.
Sauf que je préférais mourir pendu par les pieds ou écorché vive par une meute de chiens affamés plutôt que de porter son héritier.
Un sursaut m’assaille quand la lourde porte en bois s’ouvre en claquant dans mon dos.
— Disposez ! ordonne un ouragan furibond en passant le seuil de ma minuscule chambre.
Mère garde le regard braqué sur moi, encore plus en colère que d’habitude. Les servantes filent sans demander leur reste, leurs mains serrées sur leurs jupons.
Moi aussi j’aimerais tellement pouvoir fuir, prendre mes jambes à mon cou et échapper à ma destinée funeste.
Mais je n’en ai pas le droit.
Je demeure immobile, le dos droit, la tête haute, à fixer mon reflet comme si la femme forte qui me fait face avait le moindre pouvoir sur la marâtre qui me fonce dessus.
Je me prépare a subir sa rage.
Je me drape dans les vestiges de ma dignité. Après tout ma fierté, c’est tout ce qu’il me reste.
Je suis leur marionnette, mais ils peuvent courir pour que je leur cède une once de ma dignité.
Mère s’arrête au milieu de la pièce, une grimace de dégoût sur son visage.
J’ai toujours pensé qu’elle était incrustée dans ses traits, sauf qu’elle n’apparaît vraiment que quand elle me regarde.
J’ai fini par accepter qu’elle me déteste, ou qu’elle ne m’ait enfanté que par profit.
— Qu’elle est cette robe ? Tu devais porter du noir !
— Notre bon roi a changé d’avis, mère. Ne suis-je pas outrageusement attirant habillée comme il le souhaite ?
Mon rire acerbe a tendance à rendre la fille dans le miroir tout à coup triste à mourir.
Ma génitrice creuse l’espace entre nous et se plante dans mon dos, sa rage drapant ses épaules à la manière d’un linceul.
Le mien.
Sa robe blanche claque contre ses chevilles. Elle est magnifique, faussement virginal.
D’un geste empli de colère, elle m’attrape par les cheveux qu’elle tire en arrière. Ma nuque me fait un mal de chien, sous la pression.
Je serre les mâchoires, les poings serrés. La douleur n’est rien, comparée à la haine qui brûle dans mon ventre. Je la sens bouillonner, prête a imploser.
Ses doigts squelettiques me raflent le crâne. Je courbe le dos vers elle, pour épargner les mèches qu’elle tire avec tant de haine.
— Tu t’habilleras comme il le désire, sans jamais grimacer ou te rebiffer. Tu deviendras sa trainée, s’il te le demande, tu écarteras les jambes chaque fois qu’il aura envie de se soulager. Tu le laisseras t’engrosser. Tu m’entends, Sairai ?
Pour l’entendre, je l’entends. Chacun de ses mots sont des lames qui me lacèrent de l’intérieur.
Comment une mère peut détester à ce point le fruit de ses entrailles ? C’est ce que je me demande à chaque fois qu’elle apparaît pour me réprimander.
Rien n’est jamais assez bien pour Lucianna Sopreti. Rien. Même moi quand j’ai accepté de devenir la main armée de son projet funeste.
Son cheval de Troie.
— Tu laisseras son armée de traître te passer dessus s’il te le demande. Tu les accueilleras avec avidité, sans geindre ni te plaindre. Tu attendras mon ordre, avant de tenter quoi que ce soit, même si tu dois te faire passer dessus par toute sa korolevskaya gvardiya. Tout cela importe peu, c’est compris ? Souviens-toi de ton destin, de la mission qui t’incombe, ma fille !
Je glapis.
Une putain royale.
Voilà ce qu’elle m’ordonne de venir. Pas seulement la femme d’un monstre, mais une fille juste assez bonne pour écarter les jambes pour chaque queue que le roi désignera digne de mon vagin royal.
Une main glacée me touille les tripes.
Une catin. Je la déteste encore plus que jamais, tout a coup.
— Ta réussite est notre seul objectif. Si tu échoues, ce sera moi qui te jetterai aux lépreux pour qu’ils te souillent jusque dans ton âme ! Tu m’as bien compris, petite sotte ?
Ma mission, comment l’oublier. J’ai été formée pour tuer le roi. On m’a mise au monde pour ça, et Mère ne m’a jamais laisser l’oublier.
Malgré l’élan de souffrance qui me vrille la nuque, je hoche lentement la tête.
— J’attends une réponse, Sarai ! insiste-t-elle en tirant un peu plus sur mes cheveux.
— Oui, mère. Je ferai tout ce qu’il faut pour lui plaire…
Même laisser son armée de traitre souiller mon ventre, s’il l’exige.
Elle me libère au moment où un garde royal franchit la porte, reprenant son masque de mère aimante.
D’une main faussement tendre, elle replace une mèche de mon chignon derrière mon oreille pour effleurer ma joue.
Une insulte bien sentie me pique la langue, je la ravale, comme toutes les autres.
Le garde se racle la gorge, pendant que mère se tourne vers lui, souriant, l’incarnation même de la douceur. J’en profite pour m’éloigner d’un pas. Une fois loin d’elle, ma poitrine se délie.
Enfin l’air revient dans mes poumons.
— Toutes mes excuses ! Nous ne vous avions pas vu.
Le garde se contente de hocher respectueusement la tête, avant de se tourner vers moi.
Son torse volumineux caché par une pièce d’amure étincelante ou le symbole des Torry brille à la lueur des torches, le nouveau venu me dévisage, comme si une deuxième tête venait de me pousser. Mutique, je me concentre sur le symbole de mon époux.
Une couronne brisée, où se plante une dague souillée de sang. Ou plutôt de ce que je suppose être du sang.
Ses yeux descendent sur mes seins dénudés et je réprime une envie de me planquer dans un trou de souris. Je déteste sentir son regard lécher ma peau. Je hais encore plus d’avoir à le supporter sans avoir le droit de m’insurger.
4 commentaires
Fati-titi
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Il y a 3 ans
cathpica
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Il y a 3 ans
blondie.chfl
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Il y a 3 ans
Amphitrite
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Il y a 3 ans