Fyctia

— Mina, ne reste pas là les yeux ronds, espèce d’empoté ! Viens m’aider !

Les bruits de pas de la jeune servante enamourée rajoutent une couche à mon angoisse.

Je suis entourée de rouge, cernée par des traîtres et bientôt ce sera mon sang qui teintera les dalles sous mes pieds.

Pourtant, je reste immobile tel un pantin désarticulé, je les laisse enfoncer mes bras dans les bretelles fines de la robe, replacer mes seins dans le décolleté plongeant.

Les cheveux devant les yeux, je soutiens le regard de l’étrangère dans le miroir.

Ce simulacre de robe de mariée me donne envie de vomir. Je suis exposée, à peine couverte par les couches de tissu.

J’ai plus l’air d’une catin que d’une épouse. Je soupçonne l’usurpateur de me faire passer un message.

La mégère resserre le corset autour de ma poitrine et je glapis quand le bout rond des diamants de la chaîne se plante encore plus durement dans ma chair. Je peux les sentir déchirer mes flancs comme des millions de lames.

À l’extérieur de la chambrette, les cloches se mettent à tinter. Au premier coup, mon cœur s’arrête, au second, il se met à battre la chamade, au troisième, la sueur couvre mon front. Le moment est venu.

Je devrais être heureuse, je voudrais l’être, après tout je vais bientôt être en mesure d’accomplir ma destinée. Mais je ne ressens pas la moindre once de bonheur. Pas la moindre.

La vieille folle jure à voix basse avant de claquer des doigts et les choses s’activent. Les servantes se remettent à graviter autour de moi, comme un essaim d’abeilles énervées.

Elles frôlent mes bras, replacent les mèches de mes cheveux sur mon visage, enfoncent une broche piquetée de rubis dans mes boucles blanche comme la plus pure des neiges, ou ajoutent une couche de rose sur mes joues blafardes, afin d’éviter que j’aie l’air d’un cadavre à mon propre mariage.

L’une d’elles redessine mes yeux avec une touche de khôl, pendant que l’autre ajoute du rouge sur mes lèvres exsangues et qu’une autre resserre les laçages de mon corsage jusqu’à ce que je suffoque.

Leurs mouvements se floutent, sous mes yeux hagards, je sens à peine quand Mina badigeonne ma bouche avec un rouge à lèvres bordeaux.

Ni quand elle pose sa main sur son épaule, pour attirer mon attention.

— Vous êtes ravissante, Dame Sarai.

Ravissante. Je suis ravissante. Non. Je suis létale. La cloche sonne un dernier coup. J’inspire profondément. Le calme se fait dans ma tête. Je m’enfonce dans une sorte de torpeur terrifiante.

La mascarade peut commencer, la catin du roi est prête.