Fyctia
Prologue 3
— Mère ! j'halète.
Telle une apparition fantomatique, Mère sort des ombres, aussi silencieuse que la faucheuse. Ses iris froides glissent jusqu'au croissant de lune que forme la cote.
Elle lâche un grognement dégoûté. Le bas de sa robe blanche lèche le bois du pont. Le mélange de sel et de Syr teinte le tissu d'une couleur pourpre.
Celle du sang. Le signe de mauvais augure me tire un frisson.
— Regarde bien, Sarai.
Sa main squelettique s'enroule autour de ma nuque. Pour quelqu’un d’aussi maigre, Mère est forte. Assez forte pour me forcer à fixer les yeux sur le château luminescent qui se rapproche a chaque vague. Ses ongles éraflent la base de mon crâne.
Mes épaules se creusent pour lui échapper, sauf qu'elle tient bon, arrimée à ma chair avec ses griffes comme une harpie déchaînée.
— Regarde ce que ce bâtard de Veil nous a pris.
J'ai envie de lui cracher que je ne fais que ça, regarder. Je ne suis qu'une marionnette dont elle tire les ficelles depuis que je suis en âge de marcher.
Ma vie n'est pas la mienne, je ne suis qu'une spectatrice. L'envie de pleurer me pique les yeux, tout a coup. Au lieu de me laisser aller a pleurer, je carre les épaules, et repousse chaque larme.
Une Sopretis ne pleure jamais.
C’est la première règle que mère m’a forcée a apprendre
A la place, je me concentre sur cette terre qui a vu couler tant de sang innocent.
Cette terre pour laquelle je vais être sacrifié.
oMon palpitant se met à tambouriner contre ma cage thoracique, si fort que je sais que Mère l'entend, mais elle ne dit rien. Pas le moindre mot ni pour me traiter de faible ni pour me rassurer.
Elle l'ignore, comme elle a ignoré les suppliques de Bowen de m'accorder encore une année. Rien ne sert de supplier Mère. Elle a le coeur aussi dure que le golem de pierre qui monte la garde sur le port.
Ou peut être, elle n’en a jamais eu.
— Vois ce qu’il nous a volé, Sarai.
Lassair semble briller de mille feux, concurrençant les étoiles qui illuminent le ciel. Sauf que c'est sa capitale, Va'tri, la ville d'or et de pierre, qui me vole mon souffle.
Même de nuit, les rues et le château ont l'air de grouiller de vie. Des torches brûlent en silence, et j’aperçois leurs flammes orangées danser au gré du vent.
Je sais que si je m'approchais, je pourrais entendre le crépitement, ou bien les rires des villageois. Sauf que le bateau reste à l'arrêt, glissant sur les eaux mortelles de la dernière défense d'Ad'Harc Torry.
Les vagues font craquer la coque. Je suis ballottée, de gauche a droit, puis de droite à gauche, sans parvenir à quitter des yeux l'immensité de mon héritage.
Même de loin, le royaume de mes ancêtres est encore plus beau en vrai que sur les vieux dessins que Mere et les conseils de Pyke m'ont montrés pour me motiver à accomplir ma destinée.
Mais une partie de moi se demande si il vaut la peine de se battre.
Ces terres gorgées de sang semblent maudites, après tout. Mère n’en démord pas. La voix grondante, couvrant le bruit des vagues, elle répète :
— Regarde ce que tu vas lui reprendre, ma petite.
Sa poigne se durcit. J'étouffe un glapissement dolent de douleur. Mère laisse errer ses yeux sur mon corps fluet.
Je n’ai rien d’une guerrière, ou encore moins d’une reine.
L'espace d'une seconde, j'espère qu'elle ne change d'avis, mais la réalité ne tarde pas à me revenir droit dans la figure à la manière d'un seau d’eau glacé.
Elle n'en a rien à faire de moi. Je ne suis qu'un pion et bientôt, je serais sa reine.
Son cheval de Troie.
— Quoi qu'il t'en coute, ajoute-t-elle.
— Quoi qu'il m'en coute, je répète, les lèvres sèches.
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Yamaha_.ftr
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Il y a 3 ans
Ma0rie
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Il y a 3 ans
Laureline Maumelat
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Il y a 3 ans
Dystopia_Girl
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Il y a 3 ans
romycole_
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Il y a 3 ans
etoile.filante
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Il y a 3 ans
imagineyourreading_
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Il y a 3 ans