Fyctia
Prologue 2
Parce que toutes les leçons du monde n'auraient pu me préparer à ça... ce monstre aux dents pointues et à la violence si exacerbée qu'il semble ne vivre que pour elle.
Pour en venir à bout, je vais devoir travailler dur. Non, plus que ça. J'allais devoir me démener rien que pour espérer m'en sortir.
Je ne sais pas si l'artiste s'est inspiré de l'une des guerres que le bâtard a menées, ou s'il a laissé son imagination prendre le pas sur la réalité.
Après tout, comment pourrais-je le savoir ?
Je n'ai jamais vu Ad'Harc Torry de près.
Je n'ai jamais été dans la même pièce, je n'ai jamais senti la puissance de son aura funeste, ni le froid de son épée contre ma gorge, ou encore la chaleur de ses baisers sur ma peau.
Et pourtant, dès demain, il sera mon époux.
Une lame glacée touille mes organes. Je ne veux pas avoir à faire ça, à m'abaisser à épouser une bête tout juste humaine, mais Pyke compte sur moi.
Mère compte sur moi.
— Princesse ?
Prise sur le fait, je manque de m'effondrer, les joues rouges de honte. Par réflexe, je repousse le livre sous une pile de papier, loin du regard curieux du garde roux posté à l'entrée de la chambrette. Je ne l'ai pas entendu arriver, malgré sa carrure athlétique.
Même au milieu de la nuit, et de l'eau, Mouse semble sur ses gardes, l'une de ses mains posées nonchalamment sur le pommeau de son épée.
Qu'est-ce qu'il attend ? Qu'une sirène saute par-dessus le bastingage pour m'emporter dans les profondeurs de l'océan avec elle ?
Même ces femmes poissons avides de sang n'auraient pas le courage de se mesurer à Ad'Harc, pas alors que les mythes racontent comment l'usurpateur a brisé leurs hordes et les a exilés dans ce minuscule bout de mer sombre.
Mouse se penche vers moi, zieutant vers ma cachette.
La flamme de la chandelle fait briller son armure surmontée du blason de Pyke.
Je me passe la langue sur les lèvres, goûte le sel qui les poisse et force mon cœur à arrêter de battre contre mes côtes. Sois digne, Sarai.
Le jeune homme baisse les yeux sur ses pieds bottés, en pinçant la bouche, tel un enfant pris en faute.
— Toutes mes excuses, Princesse, je ne voulais pas vous effrayer...
Je secoue la tête.
— Ce n'est pas le cas, j'étais simplement en train de...
En train de quoi ?
De renier chacun de mes devoirs, en priant Onyx pour que mère change d'avis ? Mon visage se met à brûler. Le garde royal relève le menton bien haut :
— Votre Mère me fait vous prévenir qu'elle vous attend sur le pont sans tarder. Nous venons de passer Siren's Gates et elle souhaite s'entretenir avec vous avant que nous accostions à Vat'ri.
— Déjà ?
Ma voix sonne aussi pathétique que les battements frénétiques de mon palpitant. Le chevalier se contente de hocher la tête, en silence.
Mouse a toujours été un homme de peu de mots, je crois que je l'aime bien plus que les autres, juste pour ça. Je déglutis.
Bien sûr. Le trajet n'allait pas durer l'éternité, après tout. Retarder l'inévitable n'aurait servi à rien, de toute manière. Mon destin est tracé depuis des siècles et il n'attend que moi.
J'imagine même que Mère a dû presser le capitaine pour arriver plus vite, sans se soucier de la peur qui me déchire le ventre comme des serres.
— J'arrive dans une minute.
Le garde acquiesce et disparaît, alors que j'enfonce mes doigts dans le plateau en bois de la table. Les yeux fermés, je rassemble les vestiges de mon courage.
Tu parles !
Ma hardiesse s'est fait la malle à la seconde où nous sommes montés sur ce maudit bateau. J'inspire profondément.
L'air marin s'engouffre dans mes poumons. L'odeur du sel me pique le nez. Plus lentement, j'expire, avant de me remettre sur mes jambes tremblantes.
Le caftan cobalt paré d'or retombe sur mes pieds nus. Une fois certaine d'avoir assez de force pour affronter Mère, je quitte le cocon protecteur de ma chambre pour me jeter à corps perdu dans l'accomplissement de mon devoir.
Dès que je sors de la cale et remonte les marches, l'odeur de sel se fait plus oppressante. Je pince le nez. Qu'importe le nombre de jours, passé sur l'eau, l'effluve particulier de Syr continue de me retourner l'estomac.
Pas autant que mon futur. Rien ne peut être pire que lui.
Le vent agresse ma peau, quand, les bras resserrés autour de moi, je traverse le pont. La houle des vagues me ballote. Des yeux, je me mets à chercher mère. Pas la moindre trace de l'horrible mégère.
Une partie de mon appréhension s'envole et j'en profite pour me concentrer sur la côte, en tentant de prendre le contrôle de mon angoisse.
Syt’ ! Un hoquet m'échappe quand j'aperçois pour la première fois les célèbres statues de la Rớyal gvărdĭya.
La garde royale.
Les neuf statues surveillent l'entrée de Siren's Gates, leurs lances immenses et faites de pierre braquées sur les bateaux qui oseraient franchir les portes de Lassair.
D'instinct, mes yeux cherchent le palais royal. On dit qu'il est fait d'or et de marbre et que sa beauté égale celui de Veil, le royaume déchu.
Le regard aimanté par la haute silhouette qui donne l'impression de toucher le ciel céleste de la pointe de son dôme, je m'avance jusqu'au bastingage.
La terre de mes ancêtres, celle pour laquelle mère m'a formé pour me battre.
Mon royaume.
Le royaume de l'usurpateur.
Les doigts serrés autour de la rondelle immense, je me penche vers l'avant, pour avoir un meilleur aperçu de mon héritage, m'attendant à ressentir autre chose que de la terreur.
Mais il n'y a rien.
Rien qu'un vide qui me laisse à bout de souffle.
— Magnifique, n'est-ce pas ?
Je sursaute, en vacillant, à tout juste un cheveu de passer par-dessus bord. Je ne dois mon salut qu'au morceau de bois rongé par le sel.
Des échardes s'enfoncent dans mes doigts lorsque je m'y accroche pour ne pas perdre pied et plonger tête la première dans les tréfonds de Siren's Gates.
Ce serait bête de mourir maintenant, surtout alors que je touche du bout des doigts le but ultime de mon existence.
De son existence.
7 commentaires
Yamaha_.ftr
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Il y a 3 ans
Ma0rie
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Il y a 3 ans
Dystopia_Girl
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Il y a 3 ans
Hanaisuru
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Il y a 3 ans
imagineyourreading_
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Il y a 3 ans