Fyctia
CHAPITRE 9.3 : Emrys.
J’avais toujours détesté le donjon de Catarrias. Sa hauteur étourdissante et son intérieur insalubre ne m'évoquaient que de mauvais souvenirs. À l’époque la plus sombre de Khilan, cet édifice carcéral avait abrité bien des horreurs. Ses cellules lugubres étaient destinées aux détenus les plus dangereux. Avant la signature du traité de paix, les otages cidiens y étaient torturés sans la moindre miséricorde. Compte tenu des circonstances actuelles, je n’avais aucun mal à imaginer l’histoire se répéter.
Une odeur nauséabonde me fit plisser le nez à l’entrée des cachots. La torche de Hero diffusait une lueur vacillante autour de nous.
— Il est dans la cellule du fond, sire, murmura le garde d’un air tendu.
Les traits figés, j'agrippais le pommeau de mon épée si fort que ma main m’élançait. J’essayais tant bien que mal d’imiter la posture du roi Damian en situation de crise. Les pieds solidement campés au sol et le regard rivé droit devant lui. D’un moment à l’autre, j’allais me retrouver confronté à un criminel de taille. Le pire auquel j’avais eu affaire en deux ans de règne. Toute cette histoire avait des relents de mise à l’épreuve. J’avançai en silence dans le couloir désert, aux murs maculés de taches de sang séché. Nos prisonniers habituels étaient enfermés dans une aile différente. Les voleurs et assassins de Khilan représentaient un moindre fléau comparés aux sorciers.
Des sanglots et supplications me parvinrent bientôt aux oreilles. Les dents serrées, je convoquai tout mon courage pour ne pas faire demi-tour. Deux gardes lourdement armés m’offrirent un salut militaire en m’apercevant.
— Vous devriez rester à bonne distance des barreaux, Votre Majesté, me conseilla l’un d’eux.
Je balayai sa carrure massive du regard, et mes lèvres s’étirèrent en un rictus.
— Je ne suis pas un pleutre, rétorquai-je. C’est à moi de montrer l’exemple. Je ne fuirai pas face à un hérétique.
Son expression troublée trahissait son envie de protester, mais il s’écarta en inclinant la tête. Mes pas me conduisirent jusqu’à la cellule exiguë. Les muscles bandés, je m’arrêtai face aux barreaux rouillés. En plissant les paupières, je distinguai une silhouette prostrée sur le sol crasseux. Le prisonnier se balançait d’avant en arrière en gémissant. Avec une grimace dégoûtée, je fis signe à Hero d’approcher sa torche.
— Debout ! ordonna-t-il d’une voix forte à l’intention du Cidien. Vous êtes en présence du roi Emrys de Khilan. N’aggravez pas votre cas en lui manquant de respect.
Le détenu cessa ses mouvements et resta immobile pendant plusieurs secondes. Un rire tremblant émana alors de lui.
— Je pourrais lui baiser les pieds que cela ne l’empêcherait pas de m’envoyer au bûcher, riposta sa voix éraillée.
Il ponctua ses paroles d’un crachat par-dessus son épaule. Les gardes derrière moi poussèrent une exclamation furieuse en faisant mine d’avancer dans ma direction. Je les en dissuadai d’un geste autoritaire. J’aurais dû me sentir insulté et énervé. Au lieu de cela, mon cerveau était envahi d’un vide abyssal. Seule une réflexion froide pouvait m’aider à désamorcer cette situation. Il était temps de recourir à mon sens de la stratégie.
— J’exige de connaître votre nom, lançai-je d’une voix inébranlable, celle du roi que j’aspirais à être.
Je retins mon souffle en voyant le Cidien déplier ses longs membres. Il se leva en grognant de douleur puis leva enfin la tête. Son visage était couvert de suie et de traces de larmes. Un mélange d’aversion et de crainte luisait dans ses yeux verts. Il était beaucoup moins âgé que ce que j’avais imaginé. La vingtaine tout au plus. Ses traits arboraient l’air de défi de ceux qui n'ont plus rien à perdre.
— Pourquoi ? me railla le païen. Histoire d'attaquer ma famille en premier quand Khilan envahira mon pays ?
— J’en conclus que vous êtes seul sur mon territoire, lâchai-je en feignant d’être insensible à ses provocations. Vous avez fui en abandonnant vos proches à leur triste sort. Comme c’est déloyal de votre part.
Le jeune homme tressaillit en faisant un pas en avant. J’eus le loisir de mieux le détailler, et je remarquai qu’il boitait. Sa cheville était tordue dans un angle étrange. Une large entaille saignait sur son front. Visiblement, les gardes royaux n’y étaient pas allés de main forte avec lui.
— Je devais tenter ma chance, chuchota-t-il. Je ne pouvais pas rester les bras croisés pendant que nos vies tombaient en morceaux. Les autres n’ont pas voulu m’accompagner.
— À juste titre, commentai-je d’un ton sec. Mon père avait conclu un accord avec votre défunt roi. Vous êtes le seul responsable du sort qui vous attend. Votre imprudence frise la bêtise.
— Dans ce cas, finissons-en ! hurla le détenu avec désespoir. Faites-moi exécuter et qu’on n’en parle plus. La mort est préférable à une vie régie par la peur et la ruine.
Son insolence me piqua au vif. Je sentais le regard inquisiteur de Hero me vriller la nuque. Je savais que les trois gardes attendaient mes ordres, désarçonnés par mon attitude. Dans ma main, Fury me chuchotait avoir soif de sang. Je la rangeai brusquement dans son fourreau. Je préférais éviter que mes pulsions meurtrières prennent le pas sur mon ébauche de stratagème. Mon geste arracha un sursaut d’incertitude au détenu.
— Je n’en crois pas un mot, me moquai-je. Vous brûlez d’envie de vivre. Inutile de prétendre le contraire.
Je marquai une pause pour lui donner le temps d’assimiler mon sous-entendu. Le Cidien ouvrit des yeux ronds en agrippant les barreaux. Je vis ses jointures éraflées blanchir sous la pression.
— Je peux choisir de vous épargner, continuai-je d’un ton neutre. Il vous suffit de me convaincre.
Même s’il ne dit rien, Hero se raidit à côté de moi. Du coin de l'œil, je le vis échanger un regard médusé avec ses collègues. Je regrettais l’absence de Paris. Lui seul aurait compris ce que j’avais à l’esprit.
— Vous convaincre ? bégaya l’hérétique.
Le coin de ses lèvres tressaillit. Il se redressa avec hésitation, l’air de se demander quel piège je m’apprêtais à lui tendre. Un espoir teinté de méfiance faisait miroiter ses prunelles.
— J’ai l’intuition que vous n’êtes pas qu’un simple citoyen de Cidia, décrétai-je tranquillement. Pour réussir à berner les sentinelles de mon royaume, vous avez dû recourir à des ressources non négligeables. Les mêmes auxquelles n’avaient pas accès vos semblables moins chanceux.
— Qu’attendez-vous de moi ? s’enquit-il d’une voix faible.
Je ne pus retenir un sourire sardonique en constatant que le poisson mordait à l’hameçon.
— Commencez par me dire votre nom, répondis-je. Je verrai ensuite comment vous pouvez m’être utile.
Son visage perdit le peu de couleur qu’il lui restait. Un combat déchirant semblait se dérouler à l’intérieur de son âme. Je crus un moment qu’il s’apprêtait à résister.
— Je m'appelle Owen, murmura-t-il d’un air vaincu. Owen Calbell.
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MesMotsDazur
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Nesrine Ammari
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Camille Jobert
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aceil6
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Nesrine Ammari
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