Fyctia
CHAPITRE 2.1 : Phoebe.
Le garde me guida à travers un large couloir en pierre. Il ne devait pas être plus âgé que moi, et évitait soigneusement de me regarder. Ses prunelles grises, plus foncées que celles de Vittoria, demeuraient rivées devant lui. Une cicatrice blanchâtre lui traversait la joue, sans rien enlever au charme de ses traits. Sa démarche était tellement rapide que je courais presque pour ne pas me laisser distancer. Mon voile en tulle me donnait chaud, de la sueur commençait à se former sur mon front. Occupée à frotter mon visage parcouru de démangeaisons, je ne remarquai pas tout de suite que le garde venait de bifurquer à droite. Un peu étourdie, je l’imitai avec quelques secondes de retard.
D’un coup, je ne me sentais plus très bien. Un étrange poids me comprimait l’estomac et les poumons. Je me figeai en voyant une double-porte apparaitre face à moi. Les jambes flageolantes, je pris soudain conscience de la situation. Seuls quelques mètres me séparaient de l’ennemi, et je m’offrais à lui sur un plateau d’argent. C’était la première fois que ma mission me paraissait aussi concrète. Après des mois à échafauder cette rencontre décisive, j’avais maintenant l’impression d’avoir un cerveau défaillant. Je peinais à aligner deux pensées cohérentes. J’avais seulement envie de fuir au plus vite, ou de me recroqueviller sur moi-même.
— Tout va bien ? s’enquit le garde en fronçant les sourcils. Avez-vous besoin d’un moment pour reprendre vos esprits ?
Incapable de parler, je me penchai en posant les mains sur mes genoux. Mon rythme cardiaque refusait de se calmer, c’était effrayant. Mes membres s’engourdissaient de plus en plus. J’étais là pour tuer le roi Emrys, mais je me demandais si je n’allais pas mourir avant. Ce serait délicieusement ironique. Une punition pour les vies que je dérobais depuis mon jeune âge.
— Tâchez de respirer avec lenteur, ajouta-t-il avec une pointe de compassion. Il est naturel de se sentir intimidée.
Submergée par mes émotions, j’arrachai mon stupide voile d’un geste brusque. L’angoisse qui me suffoquait dépassait celle de mes exécutions les plus brutales. Je devais faire face à l’individu qui avait détruit ma famille. Je devais m’abaisser à courber l’échine devant lui. Toutes mes réflexions tournaient autour de cette idée insupportable. Je n’arrivais pas à m’en détacher. Le sol sous mes pieds lui appartenait, le garde à mes côtés lui avait prêté allégeance. Même si je jouais les espionnes pour le compte de Cidia, je devais me rendre à l’évidence. Tout le temps que durerait ma mission, je serai avant tout prisonnière au sein de Catarrias. Ma liberté et ma vengeance passeraient par le meurtre d’Emrys. Vittoria avait raison, il était trop tard pour reculer. J’étais la princesse Phoebe Alcyon, prête à défendre mon royaume au péril de ma vie. Je me forçai à prendre plusieurs inspirations successives, en restant concentrée sur le bois sculpté de la porte. Une fois détendue, je rectifiai ma posture et remis de l’ordre dans mes cheveux.
— Veuillez m’excuser, lâchai-je en insufflant des intonations paisibles à ma voix. Je suis prête. Ce n’était qu’un moment de faiblesse.
L’expression impénétrable, le garde s’inclina légèrement dans ma direction. Il frappa ensuite deux coups contre la porte, qui s’ouvrit en grand. La bouche sèche, j’entrai sans me presser dans la salle baignée de lumière colorée. Mon guide resta à l’entrée, tandis que j’avançais sur le sol dallé. Un chandelier en bronze était suspendu au plafond, et j’aperçus deux bannières écarlates au fond de la pièce. Elles étaient ornées des armoiries de la maison Hartless, une épée traversée par les flammes. Je me frictionnai les bras, surprise par la fraicheur de cet endroit.
En relevant la tête, je croisai le regard d’une dame d’âge mûr. Elle était assise avec élégance sur un siège doré, et me dévisageait d’un air étonné. Ses cheveux formaient une cascade argentée dans son dos. Je la reconnus comme étant la reine Kassandre, seconde épouse du roi Damian. Ce dernier avait plongé dans le coma deux ans plus tôt, suite à une mystérieuse maladie. Son état stationnaire avait précipité le sacre de son fils aîné, devenu le plus jeune roi de l’histoire de Khilan. Le pouls affolé, je posai enfin les yeux sur le trône massif près de Kassandre.
Ces dernières semaines, je m’étais rendue malade à force de vouloir imaginer le visage d’Emrys. Mon esprit avait choisi d’en dresser un portrait peu flatteur. Je croyais que les péchés du souverain se refléteraient forcément sur sa physionomie. Je fus presque déçue de constater que ce n’était pas le cas. Emrys semblait aussi à l’aise sur son gigantesque trône que s’il avait été taillé juste pour lui. La tête haute, il faisait tourner une élégante chevalière autour de son index. D’un bleu intense et polaire, son regard balayait la salle avec indifférence. Je retins mon souffle lorsqu’il tomba sur moi. En une fraction de seconde, une centaine de scénarios horribles défilèrent dans mon esprit. Je regrettai d’avoir refusé la dague que Vittoria avait voulu glisser sous mes jupons.
Un lent sourire étira les lèvres du roi, et je ne pus m’empêcher de tressaillir. J’avais l’impression d’être une biche délicate tombée entre les griffes d’un fauve. Je me réprimandai aussitôt pour cette pensée. Je devais garder en tête que mes manières de demoiselle en détresse n’étaient qu’une feinte. Mes dieux m’octroyaient une puissance colossale, que je mettais à disposition de Cidia. J’étais aussi dangereuse qu’Emrys, j’avais peut-être versé autant de sang que lui. À la différence qu’aucune de mes victimes n’avait été innocente.
Se désintéressant de moi, il se tourna vers sa belle-mère et lui lança d’un ton cassant :
— Encore une ? Eh bien, tu t’es surpassée cette année !
Sa voix grave était teintée d’un sarcasme glacial. Probablement habituée à cette attitude, Kassandre se contenta d’un rictus patient. D’un geste de la main, elle me fit signe de m’approcher d’elle. Le sang battant mes tempes, je fis quelques pas en direction du trône. Je me composai une expression craintive en me fendant d’une profonde révérence.
— Veuillez décliner votre identité, jeune fille, m’ordonna la reine.
— Callie Pyrrha, Votre Grâce, répondis-je sans élever la voix.
— Voilà longtemps que nous n’avions plus entendu ce nom, commenta-t-elle avec placidité. Je crois savoir qu’après avoir dilapidé sa fortune, Achilles Pyrrha avait été forcé de se retirer de la vie mondaine. Je ne pensais pas devoir accueillir sa descendance.
Je clignai des yeux en feignant de chasser des larmes.
— Pas un jour ne passait sans que mon grand-père ne fasse étalage de ses regrets, prétendis-je. Mon frère et lui ont péri dans les flammes il y a de cela quelques mois. Je suis sa dernière héritière en vie, et je désire me racheter auprès de la Couronne.
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Lou.R.Delmond
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Alyana Astrin
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