Fyctia
Chapitre 4.1
Citoyen.ne
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— Eskander !
La voix sifflante tend ses nerfs comme un arc sous la prise d'un archer trop pressé. Eskander se retourne, tente de contenir son malaise en apercevant la figure creuse de Robert Defoe. Il force un sourire poli. Est-ce son regard sournois ? Ses grands yeux à l’éclat métallique ? Son intelligence retorse ? Robert Defoe lui a toujours déplu.
Ses longues mains recourbées en serre d’oiseau s’allongent dans un mouvement qui se veut empathique, mais qui le contraint à reculer de quelques centimètres.
— Je n’ai pas eu l’occasion de vous présenter mes condoléances, dit Robert Defoe d’un ton doucereux. Dearest Nenufar… Je suis anéanti. Nous étions très liés, vous savez. Deux âmes en peine qui hantaient le département de littérature. Il n’y a plus grand monde qui partage le goût de la poésie anglaise.
Il avance encore, effleure la manche d’Eskander qui ressent le contact glacé de sa main à travers le tissu de sa combinaison.
La chaleur estivale n’a pas de prise sur ce vampire humain.
— Votre mère avait cette lueur dans le regard, cette joie de vivre comme on n’en voit plus. Tout le monde patauge dans cette soupe abominable de résignation. But Nenufar was different. Les dégâts de l’explosion sont déjà évaporés, comme les vestiges d’un passé lointain. J’ignore quel tour de magie a eu lieu, ou quelle corde a tiré Samuel pour accélérer les financements de nos contributeurs, mais le département de littérature est comme neuf. Le bureau de Nénufar a été réhabilité, dans l’attente d’une nouvelle recrue. Je me demande qui …
Une surprise grotesque fait briller ses petits yeux d’un éclat de méchanceté..
— Oh, I see ! C’est vous qui reprenez le flambeau ?
— Pas exactement.
— Nénufar et moi travaillions sur une collaboration inédite, qui réunissait notre Académie à la prestigieuse université de Cambridge. Nous voulions proposer des cours dédiés aux plus grands poètes anglais : Keats, Byron, Tennyson, Shelley, Dickinson… Tous ou presque auraient été mis à l’honneur. Nénufar vous en avait peut-être touché un mot ?
— Pas du tout.
Robert Dafoe sourit. Sa peau olive se plisse, ses lèvres se craquèlent, une petite goutte de sang perle dans le coin de sa bouche. Il l'essuie du revers de sa manche.
— Voilà qui m’étonne. J’ai cru comprendre que vous étiez vous-même un amateur de Byron?
— Je ne vois pas de quoi vous parlez, s’impatiente Eskander. La littérature anglaise ne m’a jamais intéressé.
— I thought so… répond Robert Dafoe, avec une lueur étrange dans le regard. C’est pourquoi je fus surpris, vous voyant feuilleter les stanzas to Augusta*, un enthousiasme rare sur votre visage habituellement peu expressif.
— Vous délirez, marmonne Eskander.
Le vieux fou flaire son impatience et consent à reculer un peu. Il agite ses bras en signe de contrition, répand son écoeurant parfum floral dans l’air.
— Je vois que je vous retiens, that’s so rude of me. Mais il faut me comprendre. Voyez-vous, il y a quelque chose que je brûle de vous dire. Une information de la plus haute importance. C’est à propos du décès de votre mère. Je pense que ça vous intéressera. Je vous attends ce soir, dans mon bureau, après le couvre-feu. Fancy a tea party in the dark ? My favorites ones !
Sa tête bascule en arrière, sa gorge se creuse, et un rire aux ressauts tabagiques retentit. Lorsque Robert Dafoe s’éloigne, Eskander a l’impression de l’entendre résonner le long des murs comme une complainte macabre.
Eskander fait de son mieux pour contraindre les volutes de chagrin qui le lancent, lames de feu qui percent sa poitrine, jusqu’à brouiller ses sens.
Oh, Madar …
Une heure plus tard, ses jambes le portent jusqu’au parc Majdoud, nommé ainsi en l’honneur du fondateur de l’Académie. Il tombe par terre, à bout de nerfs. Ses mains tremblent. Mais l’air chaud souffle doucement sur sa peau glacée, réveille ses poumons en apnée. Son esprit gelé renaît à la vue du paradis végétal qui l’entoure. Ses pieds foulent l’écogazon entretenu par le robot-jardinier, qui y injecte de la peinture émeraude. Il inspire les senteurs artificielles de chèvrefeuille diffusées en continu, gave sa rétine des coloris synthétiques des hortensias luxuriants. Des vignes modifiées génétiquement tournoient mollement autour des gouttières d’évacuation, agrémentant joliment la façade à l’enduit impersonnel. Des plants de bambou fortifiés par injection de cellulose jalonnent l’allée qui mène à la sortie. Le ciel bleu se découpe, d’un bleu limpide, clamant son esthétique encore inaccessible aux modifications de l’Homme.
Le coeur battant à tout rompre, Eskander ferme les yeux, entend les machines-ouvriers scier, percer, plâtrer, rebâtir avec indifférence ce qui a été détruit, accompagnés de quelques fauvettes qui s’en donnent à cœur joie dans les cimes des châtaigniers.
8 commentaires
Marie Andree
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Il y a 8 jours
Mary Lev
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Il y a 7 jours
Gottesmann Pascal
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Il y a 13 jours
Mary Lev
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Il y a 8 jours