Fyctia
Chapitre 3.1
Citoyen.ne
En raison de votre changement récent de statut, nous avons le regret de vous annoncer votre expulsion de l’établissement scolaire : Lycée Aiguerande, secteur de Belleville.
Nous vous informons également qu’en raison d’un défaut de paiement, votre Pass énergétique n’est plus valide. Les modalités de régularisation sont disponibles sur le lien suivant : www.bureau.affaires-énergétiques/modalitésdepaiement.fr.
Pour plus d’information, vous pouvez consulter notre site internet : www.bureau.affaires-énergétiques/FAQ.fr
Lorsqu’Anna ouvre les yeux, sa première pensée est pour Julian. Un poing se serre autour de son cœur.
Son corps est lourd, sa bouche pâteuse lui renvoie une haleine métallique, sa nuque lui arrache un cri de douleur lorsqu’elle tente de se relever du lit inconfortable. Autour d’elle, elle aperçoit les contours flous d’une chambre d’hôpital délabrée ; les murs humides recouverts d’une toile de verre se fissurent à plusieurs endroits, le plafond tombe en morceaux, le mobilier rongé par la rouille dégage des relents de métal oublié. A sa gauche, sur une table de chevet en plastique. Quelqu’un a eu l'obligeance d'y disposer un verre d’eau filtrée. Anna tend le bras pour s’en saisir, son geste est stoppé net. Elle réalise qu’elle est menottée.
Ce n’est donc pas un hôpital.
La panique s’insinue dans son esprit étourdi par la médication. De quoi est-elle coupable ? Que vont-ils faire d’elle ? Que va devenir Julian ?
La porte de sa chambre s’ouvre, la lumière blafarde du couloir éclaire les draps d’un beige fatigué, et une infirmière apparaît sur le seuil.
— Réveillée, mon chou ? Comment nous sentons-nous ?
Ses mots ont la mécanique d'une routine bien huilée, répétée pour la millième fois. Incapable d’articuler une réponse, Anna se contente de désigner timidement le verre d’eau du menton. L’infirmière prend le temps d’étudier les instructions médicales sur son OculoTech, vérifie la perméabilité de la voie veineuse, ajuste le débit de la perfusion, avant de lui tendre le verre d’eau. Anna boit goulûment, sous son regard légèrement écœuré.
— C’est quoi ? demande Anna en désignant la perfusion.
— Un neuroleptique de 3ème génération, associé à un morphinique. Pour ta crise de déviance …
— De quelle crise vous parlez ?
— De celle que tu as faite chez toi ! Les Déviants peuvent décompenser leur état psychique lorsqu’ils sont confrontés à un changement brutal. On voit ça tous les jours, ici. Tu n’es pas bien grande, mais on m’a dit qu’il a fallu deux solides miliciens pour te maîtriser. C’est pour cette raison que tu es attachée.
Le visage de l’infirmière est marqué d’une raideur toute professionnelle. Anna n’ose pas démentir le diagnostic posé.
— Vous ne pouvez pas me garder ici, tente-t-elle malgré tout. Ma mère et mon frère ont besoin de moi pour…
— Tatata, mon chou. Personne ne veut te garder ici, crois-moi. Tu partiras dès que tu auras reçu tes visiteurs.
— Des visiteurs ? Ma mère est là ? Comment a-t-elle pu s’absenter, mon frère est encore …
— Ce n’est pas ta mère, coupe l’infirmière. Mais puisque tu en parles, sache que c’est elle qui t’a dénoncée. C'est après son appel que la milice est intervenue. Tes visiteurs attendent dans le couloir.
La mention des visiteurs l’épouvante. Qui sont-ils ? Que peuvent-ils bien lui vouloir ?
Un mélange de terreur et de curiosité s’empare d’elle. C’est tout son corps qui se met à trembler lorsqu'ils font leur apparition. La jeune fille tente de contrôler les mouvements erratiques de ses membres avant que l’infirmière ne remarque son manège, et ne décide qu'une perfusion supplémentaire ne serait pas de trop. Anna s'inspire des exercices méditatifs proposés par les programmes de télévision, et s'enjoint à respirer profondément. L’infirmière observe les deux hommes d’un air pincé.
Le premier, âgé d’une soixantaine d’années, a un visage étalé en pâte de sel, sur lequel sont placés deux yeux thyroïdiens qui la lorgnent avec une lueur calculatrice. Une épaisse barbe blanche mange la moitié inférieure de ses joues rebondies, sans pour autant en atténuer l'aspect juvénile. Son costume en viscose bleu roi est tendu par un bienheureux embonpoint, qui lui confère une silhouette en poire. Anna, mal à l'aise sous son regard, se crispe.
Le deuxième homme, qui se tient plus en retrait, est d’origine eurasienne.
Les émissions de télévision passent en boucle les ravages causés par le terrorisme sino-russe. Anna connaît les effets de l'impitoyable guerre énergétique menée par la coalition chinoise contre son monde, toute la misère et les privations qui en découlent, la population peu à peu brisée par le déclin économique. Malgré cela, lorsque les yeux bridés de l’homme se posent sur elle avec le calme du soleil qui observe l'océan, l’air se réchauffe comme si la pièce était traversée par un sirocco saharien, et elle a l’impression de rentrer chez elle après un long voyage.
Il n’a pas trente ans, et dépasse son comparse de deux bonnes têtes. Sa tenue est minimaliste, un genre de combinaison à la coupe sportive en polyester sombre, qui souligne ses épaules de nageur. Anna s'attarde un instant sur sa peau de cuivre, son visage aux contours abrupts, son nez géométrique, et sa mâchoire puissante. L’homme semble partager son intérêt, s’avance un peu et esquisse un sourire :
— Tu es Anna Lehman ?
— Oui, répond Anna, hypnotisée.
Il s’assoit au bord du lit, promène son regard sur elle comme une danse des yeux, un ballet bien rythmé. Ce n’est ni un examen médical, froid et détaché, ni un regard lascif. C'est comme un échange silencieux entre deux amis de longue date, qui se connaissent par cœur et se devinent à l'aide de gestes à peine perceptibles. Anna s'y livre volontiers, nullement gênée. Il pourrait presque lever la main, lui effleurer le visage, elle trouverait cela parfaitement naturel. Elle s’attend à ce qu’il dise quelque chose, mais il demeure muet, et c’est l’autre — le ventru — qui prend la parole.
9 commentaires
Tatiana Le Maître
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Il y a 3 jours
Mary Lev
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Il y a 3 jours
Marie Andree
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Il y a 8 jours
Mary Lev
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Il y a 7 jours
Gottesmann Pascal
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Il y a 13 jours
Mary Lev
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Il y a 8 jours