Fyctia

Citoyen.ne

Ceci est un message du bureau énergétique de votre secteur.

Degré d’urgence : moyen.

Vous avez échoué au test Veritas pour la : première fois.

Votre statut citoyen est actuellement dans la catégorie : non Déviant.

Inutile de contacter le bureau des affaires énergétiques. Un prochain rendez-vous vous sera automatiquement attribué.

Nous vous informons que le taux de réussite au second test dans votre secteur est de 86,2%. Pour augmenter vos chances, vous trouverez sur notre site internet les coordonnées d’organismes privés agréés, spécialisés dans la préparation du test.

Anna se souvient…

A 15 ans, seule, dans une pièce immense et vide, illuminée de néons blancs et agressifs, faits pour lutter contre toute pensée humaine construite.

On l’a installée sur une chaise en plastique. Devant ses yeux gonflés d’angoisse, un écran holographique a affiché le logo de la compagnie Veritas : une main dessinée paume vers le haut, surmontée d’une deuxième main, identique à la première, représentée paume vers le bas. Les deux ne se touchent pas, et sont séparées par un trait fin symbolisant un miroir. Quelle main est la vraie ? Laquelle est le reflet ? Anna a toujours pensé que la seconde main, placée au-dessus de la première, avait un côté dominateur et terrifiant.

Anna a senti une torpeur envahir son esprit affaibli et bridé par la peur. Le métal froid du dispositif électrique lui a encerclé le haut du crâne. On a fixé un microphone miniature sur sa gorge, conçu pour détecter les vibrations de ses organes laryngés.

— Inutile de parler, lui a expliqué machinalement la technicienne en rasant les cheveux de ses tempes pour y placer des électrodes en carbone. Contente-toi de d’esquisser dans ta gorge les prémices de ta pensée. L’appareil n’a besoin que de l’ébauche d’un son, ta voix primitive, pour entendre, comprendre et valider tes réponses aux questions.

— Et si je parle à voix haute, par réflexe ?

— Peu importe, lui a dit la technicienne en lui plaçant des menottes à double sécurité aux poignets, reliées au sol par des fils presque invisibles. L’algorithme t’entendra penser avant que tu ne prononces la moindre parole. Lorsque tu voudras dire quelque chose de manière usuelle, il sera déjà passé à la question suivante. Tu n’as jamais pris de cours préparatoires au test ?

— Non, a dit Anna.

La technicienne a grimacé, mais n’a rien rien de plus. Anna a suivi à la lettre ses instructions : ne pas parler à voix haute, s’efforcer d’abattre les barrières mentales qui ralentissent le flux de sa pensée, et utiliser sa Pré-voix, sortes de vibrations primordiales qui précèdent la parole intelligible, et que l’appareil placé sur sa gorge est capable de capter et d’amplifier, jusqu’à en déduire des mots simples. Le procédé, brevet exclusif de Veritas, a constitué le premier pas vers le début d'une nouvelle ère : celle de l'irruption de la technique dans le dédale secret des pensées de l'Homme.

Elle s’est tendue, soudain consciente des enjeux. Et si le capteur fonctionnait mal ? S’il était défectueux ? Et si elle n’arrivait pas à produire de Pré-voix ? Et si sa pensée, soudain ralentie malgré sa volonté, dépassait le temps imparti ? La technicienne l'avait pourtant avertie :

— Nous ne voulons pas que tu réfléchisses, pas même durant une seconde. Le principe de base du test est d’évaluer les réactions de ton cerveau instinctif, celui qui ne dépend pas de ton cortex pré-frontal. Ce sera sans doute un peu laborieux, au départ, mais ne t’en fais pas, nous avons prévu une phase de rodage. Lorsque tu seras en plein dans le flux, ne lutte pas contre la vitesse, laisse le dispositif entrer en toi. Fais-lui confiance, il te donnera le tempo.

— Et si je retiens le flux, malgré moi ?

La technicienne a froncé les sourcils.

— Le système te délivrera une décharge punitive de quarante Hertz. Ne laisse pas ton angoisse ralentir ton flux de pensée. Tu n’as pas reçu d’anxiolytique de la part de ton organisme d’assurance ?

Anna a secoué la tête, sans se donner la peine d’expliquer qu’elle n’a jamais consulté d’Automédic de toute sa vie.

Ensuite, la technicienne l’a laissée seule, et Anna a entendu distinctement la porte de la pièce se verrouiller.

Un compte à rebours s’est affiché, accompagné d’obscures injonctions méditatives. Le cœur d'Anna a manqué de s’arrêter, sa respiration est devenue pénible, comme si l’oxygène de la pièce était irrémédiablement aspiré par l'écran.

Merci d’avoir choisi le test Veritas, a annoncé une voix de femme robot. Une conformité maximale aux directives gouvernementales est garantie.

Anna a inspiré d’un coup. Puis, les questions ont fusé autour d'elle comme des tirs de balles.