Mary Lev TerraNova Chapitre 1.4

Chapitre 1.4


Le premier visiteur, un quinquagénaire grand et anguleux, entièrement vêtu d’une combinaison en Econyl terne, se contente d’adresser à Eskander un discret signe de tête. L’autre homme est plus jeune, âgé d'une petite trentaine d'années. Son physique de jeune premier lui rappelle vaguement quelqu’un. Son expression de contrition est si parfaite qu’elle semble avoir été préalablement travaillée avec l'aide un professeur de théâtre.


— Mon cher Eskander, dit-il d'une voix sirupeuse, je tiens à vous présenter mes plus sincères condoléances. Au nom de la Nation, je veux vous assurer que nous partageons votre chagrin, et que…


— Nation ?


Samuel lui jette un regard d’avertissement, mais le jeune premier ne semble pas s’effaroucher de sa remarque. Il lui saisit le bras dans une accolade qui se veut fraternelle, un sourire amical plaqué sur son visage bronzé. Gélule de caroténoïdes ? Eurosolar à UV ? Eskander ne parvient pas à se décider.


— Pardonnez-moi, je ne me suis pas présenté. Je suis Simon Doucet, porte-parole du gouvernement. Et voici Abel Kum, chef du cabinet du ministre de l’Intérieur.


Le dénommé Abel Kum lui tend une main raide qu’Eskander serre, abasourdi. Trouver les deux personnes les plus influentes du gouvernement républicain dans l'enceinte d’une obscure académie pour Déviants, voilà qui est peu banal.


— Navré de cette convocation cavalière, reprend Simon Doucet en les invitant à prendre place sur les deux fauteuils restants. Depuis l’attentat, le gouvernement a décidé de prendre des mesures drastiques.


— Cette attaque porte gravement atteinte à notre sécurité intérieure, dit Abel Kum. Nous avons déclenché une procédure d’urgence. Une intervention est déjà prévue. Deux unités d’élites de la milice ont été déployées et arriveront bientôt sur les lieux.


— Qui est le commanditaire ? risque Eskander.


Les deux hommes le fixent d’un regard inquisiteur, tandis que Samuel croise et recroise nerveusement ses jambes trapues.


— Nous ne le savons pas encore, dit Abel Kum en pinçant ses lèvres fines, les faisant presque disparaître de son visage. De toute manière, les résultats du contre-terrorisme sont classifiés, pour des raisons évidentes de sécurité.


— Elles sont classifiées, en règle générale, intervient Simon Doucet. Ce qu’Abel veut dire, c’est que nous nous trouvons dans une situation inédite. Voyez-vous, l'unité scientifique a identifié la signature Pangenomix du terroriste ce matin. Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, un attentat suicide a été commis par un Déviant, dans le but de causer la mort d’autres Déviants.


— Ce qui signifie qu’il est soit stupide, soit complètement fou, grommelle Abel Kum.


— Ou une erreur de calcul de sa part ? ajoute Simon Doucet en fusillant Abel du regard. Nous avons du mal à comprendre l’objectif du terroriste. Nos algorithmes ne sont pas calibrés pour cela.


— La mort de ma mère n’est pas un objectif suffisamment clair ?


Le gémissement étouffé de Samuel ne lui échappe pas, mais il n’en fait pas grand cas. Abel Kum et Simon Doucet échangent des regards perplexes. Le premier à se reprendre est le porte-parole, qui compose en un temps record une posture tragique très convaincante.


— Mon cher Eskander, vous avez toute notre sympathie, ainsi que celle de la présidente Chastain. Nous n’avons pas oublié les brillants états de services de feu votre père aux renseignements généraux, mort en service pour la France. Lorsque cette histoire sera terminée, nous pourrons discuter à tête reposée, envisager pour vous une médaille, une indemnisation éventuelle... Si vous collaborez, des portes s'ouvriront pour vous, mon cher, je puis vous l'assurer.


Eskander doit faire appel à toute l’étendue de sa force intérieure pour se maitriser. Simon Doucet semble s’apercevoir de quelque chose puisqu’il change aussitôt son fusil d’épaule.


— N’avez-vous pas envie de connaître le responsable de la mort de votre mère ?


— C’est votre travail, je me trompe ?


— Quelle insolence ! intervient soudain Abel Kum. Notre milice est toute dévouée à sa mission citoyenne ! Mais nous n’avons aucune obligation envers ceux qui sortent du cadre établi ! De mon point de vue, vous n'êtes qu'une bande de criminels en puissance. Si ça ne tenait qu’à moi, nous vous enverrions vous entretuer sur une terre désolée et inhospitalière, et je serais le premier à savourer le spectacle de votre dégénérescence mentale étalée au grand jour !


— Quelle idée révolutionnaire vous avez eue là ! lance Eskander. Vous tenez quelque chose, assurément. Mais attendez-voir, ces lieux dont vous parlez, il me semble en avoir déjà croisé dans ma carrière. Les camps de travail, ça vous dit quelque chose ?


Les narines creusées d’Abel Kum palpitent soudain comme les branchies d’un mérou laissé trop longtemps hors de son habitat naturel.


— Allons, Abel, calmez-vous, dit Simon. Notre ami est en deuil, ne l’oubliez pas.


— C'est aussi un foutu Déviant, sous contrôle judiciaire ! fulmine Abel. Qu’il tâche de ne pas l’oublier lorsqu' il s’adresse à moi !


— J’y songerai, réplique Eskander. A présent, expliquez-moi ce que vous attendez de moi. Je n’ai pas beaucoup de temps, voyez-vous, je dois organiser un enterrement.


Un silence graisseux les poisse d’un coup, ponctué par les tics nerveux de Samuel, qu’Eskander trouve de plus en plus ridicules et irritants. Abel Kum se fige dans une attitude hautaine et blessée, tandis que Simon Doucet se dévoue une fois de plus pour tenter de briser la glace.


— La vérité, c’est que nous sommes dans une impasse. Les ressources énergétiques de nos services sont limitées, et la milice ne fait pas exception à la règle. Les effectifs sont faibles, peu motivés, et nos moyens techniques datent du siècle dernier. Tout marche un jour sur deux, quand nous avons de la chance. Nous avons besoin de votre aide pour comprendre ce qu'il s’est passé. Qui voulait la mort de votre mère ? Et pourquoi de cette façon ?


— En somme, dit Eskander, vous voulez un Déviant infiltré, qui vous rende des comptes.


— Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai dit, grimace Simon Doucet, agacé de voir son discours résumé de manière si vulgaire. Nous voulons que vous meniez des recherches parfaitement légales, depuis l’Académie, l'épicentre du crime. Voyez cela comme une cellule d'enquête complémentaire, parallèle au travail de la milice. Vous êtes un Chasseur après tout, c’est parfaitement dans vos attributions.



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13 commentaires

Marie Andree

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Il y a 8 jours

Pauvre Eskander, il vient seulement d'apprendre la mort de sa mère ! Cette confrontation avec ces individus peu sympathiques ne tombe pas très bien... En tout cas tu nous montres bien la place des déviants dans cette société si dure... 😢

Mary Lev

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Il y a 8 jours

Oui il va avoir de quoi faire avec les deux sur son dos …

Gottesmann Pascal

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Il y a 19 jours

Eskander ne se laisse pas faire et il a bien raison. C'est pas possible de le mépriser comme ça.

Mary Lev

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Il y a 8 jours

Oui sait où est sa place ‘

camillep

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Il y a 20 jours

Cœur sur toi 🤪🤣

Marie Andree

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Il y a 8 jours

🤣

Mary Lev

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Il y a 8 jours

Elle abuse non ? Franchement ! Dommage qu’on puisse pas bloquer les gens 😂

camillep

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Il y a 8 jours

Je te manquerai trop Mary je le sais 😉🤪

NohGoa

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Il y a 20 jours

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