Sarah Marty TEL EST PRIS... Chapitre 14

Chapitre 14

Comme s’il avait lui-même reçu le coup en pleine figure, Martinez se figea. Son regard écarquillé roulait frénétiquement d’une chose à l’autre. Son Beretta par terre. Les lèvres en sang d’Isabel. Exorcisé d’un mal étrange, son cerveau mit quelques secondes avant d’envoyer une information de réactivité.

- Oh Isabel, plaignit-il en se penchant sur la pauvre femme qui, plutôt sonnée, tentait de se relever.

- Ne me touche pas, cracha-t-elle.

Pas de cris, pas de larmes. De ces mots émanait une menace aussi sûre que, si elle tendait le bras, Isabel atteindrait sans peine le révolver et le viderait sur lui. Complètement secoué par ce spectacle affligeant, Diego jugea bon de ne pas insister. Une fois sur pieds, la psy récupéra ses affaires jetées sur une chaise de la chambre, et enfila à la hâte ses sous-vêtements, comme si sa nudité devenait d’un coup du domaine privé, que sa fragilité ainsi mise à nu devait revêtir un semblant d’amour-propre.

- Je ne sais pas ce qui m’a pris, finit par murmurer Diego. J’ai tellement honte… C’est pas moi, ça. C’est pas moi…

Isabel terminait de mettre sa robe et ses chaussures, quand elle attrapa son sac à main et, plongée dans un mutisme méprisant, passa à côté de son ex-amant, la tête haute, même les lèvres ensanglantées, elle restait belle de dignité.

- S’il te plait Isabel, arrête. Tu me connais… 

À ces paroles, la psy dévisagea ce qu’elle considérait sans l’ombre d’un doute comme son ex-ami. Car au-delà de la stupéfaction, son regard lui renvoya quelque chose qui le glaça tout entier, et ce n’était pas le fait qu’elle voyait désormais en lui un étranger, non. Je ne peux pas être un étranger pour moi-même, je me connais… Je me connais… Je…


Dimanche


C’est dans un sursaut qu’il se réveilla. Un signal extérieur l’interpellait, comme un appel que seul son inconscient avait perçu, mais il était trop embrumé pour l’identifier. Clignant des yeux, Diego finit par tourner la tête en direction du son. Téléphone… Son corps avait décidé de jouer les poids morts et de faire de l’insubordination à l’ordre de se lever. Il pesta intérieurement. D’autant que les sonneries insistaient lourdement. Chier… Surmontant migraine et paresse, l’homme parvint à se mettre debout et à se trainer jusqu’au salon. Encore dans un léger flou, ses yeux distinguèrent l’appareil posé sur un buffet. Ta gueule… pensa-t-il en décrochant le combiné.

- Allo…

Sa voix était rocailleuse.

- Martinez !

La voix de l’autre lui fit l’effet d’un clairon à son oreille sensible. Diego se racla la gorge.

- Oui, Chef… Que se passe-t-il ?

- Je veux vous voir, illico presto !

Le flic baissa les yeux sur son sexe qui prenait le frais. Il n’était pas très visible en cet instant précis.

- Donnez-moi trente minutes.

- Quinze, Martinez. Et pas une de plus !

Là-dessus, il lui raccrocha au bec.

- C’est ça, bisou, bisou.

Diego reposa le combiné en s’interrogeant sur le pourquoi de cette convocation. Surtout pendant son jour de repos. Un nouveau meurtre ? Un nouvel indice ? Isabel… Comme les pages d’un roman-photo déchirées, l’histoire de leur soirée se reforma dans son esprit. Jusqu’à la mauvaise fin.

Martinez eut subitement le pressentiment que la raison de cet appel matinal était moins importante que son issue.

Il marchait avec élégance, vêtu d’un ensemble en flanelle beige, d’une chemise blanche suffisamment décolletée pour découvrir la naissance de son torse à peine velu et chaussé de derbys marrons. Les effluves d’un après-rasage et d’un gel pour cheveux flottaient derrière lui comme le voile d’une mariée. Dommage que peu de public, en particulier de sexe féminin, avait la fortune de le voir défiler jusqu’au bureau du commissaire Reyes, parce qu’il avait réussi l’exploit d’effacer toute trace de fatigue et de laisser-aller hygiénique. Si je dois me faire lapider, autant recevoir les caillasses avec classe. Toc-toc. Sans crainte, Diego répondit à l’invitation - certes, aboyée - d’entrer. Roulements de tambour. En voilà un charmant tableau ! Sans surprise, il constata que personne ne manquait à l’appel et que chacun avait contribué à chauffer l’ambiance.

- Commissaire Reyes. Lieutenant Solenza. Docteur Monterro. Monsieur Peirera.

Il avait accompagné ses salutations d’un sourire presque espiègle, et la décontraction qu’il affichait ne semblait pas être partagée. D’ailleurs, il se dit qu’une main dans la poche serait la petite touche d’insolence, le petit détail de dédain, et surtout le petit coup de pouce au coup de grâce qui l’attendait. Allez-y, je suis fin prêt.

- Lieutenant Martinez. Vous êtes de sortie ?

Seul à être assis, le gros Reyes trônait derrière son bureau, encadré à sa gauche par Isabel et à sa droite par Javier et Pablo, le délégué aux affaires criminelles envoyé par Monsieur le Maire.

- Ça ne saurait tarder, Chef.

- Alors, vous devez savoir pourquoi je vous ai convoqué aujourd’hui.

- C’est-à-dire que je ne suis pas voyant, Chef.

Le gros Reyes le transperça du regard. Boudiné dans sa chaise à accoudoirs, il paraissait sur le point de l’exploser de colère.

- Si je vous parle de violence, vous voyez mieux, lieutenant Martinez ?

Diego ne se démonta pas et garda son sourire en coin.

- Ça me parlerait mieux si vous éclairiez ma lanterne, Chef.

- Très bien, gronda le commissaire. On m’a fait part d’accès de violence de votre part.

Martinez riva aussitôt les yeux sur le « on » en question. De la gifle, Isabel conservait un petit gonflement de la lèvre inférieure - qui étrangement lui conférait un côté plus sensuel. La psy ne soutint pas longtemps son regard.

- Apparemment, cette enquête aurait tendance à jouer sur votre personnalité. Vous seriez… surmené.

Le commissaire fit une courte pause, le temps sans doute de jauger la réaction de Diego qui, contre toute attente, ne laissait rien entrevoir. Face à ce mutisme désinvolte, Reyes commença à rougir et à gesticuler, du moins, le tentait-il, sur sa frêle chaise.

- On te retire l’affaire, Diego !

- Lieutenant Solenza !

Diego sourit cette fois à pleine dent. S’il savait que le spectacle de Javier crachant son venin ne retournerait plus la situation en sa faveur, il savait que tôt ou tard cet orgueil démesuré discréditerait son rival.

- S’il s’agit d’une décision interne, que faites-vous ici, monsieur Pereira ?

Le petit Pereira moustachu gonfla du buste.

- Il se trouve, lieutenant Martinez, que, par pure coïncidence, la municipalité souhaitait également vous démettre de l’enquête, mais parce que celle-ci s’éternise sans aucun résultat. Et en vue d’une prochaine élection, nous exigeons une conclusion rapide à ce problème...

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