Fyctia
Chapitre 13 suite
En temps normal, l’impact n’aurait pas été aussi brutal si le ton ne faisait pas dans le glacial. D’instinct, Isabel remonta les draps sur sa poitrine.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
Elle devait bien apprécier la portée de chacune de ses questions, après tout, elle n’avait pas à ses côtés un patient et rien n’était plus délicat que d’analyser un proche de la façon la plus informelle.
- C’est pourtant clair, je crains d’être un tueur qui s’ignore.
Même froideur dans la voix. Isabel espérait un moment qu’il s’agirait d’une blague foireuse, mais l’homme immobile qui regardait toujours un point imaginaire sur ce foutu plafond demeurait imperturbable. Elle en eut un frisson le long de l’échine. Il lui fallait dire quelque chose sans manifester son malaise.
- Je peux te garantir que si tu étais ce que tu crois être, tu le saurais, c’est certain !
Ton détaché, trait d’humour. Bien qu’elle ne sut pas s’en convaincre elle-même, Isabel paraissait avoir totalement foi dans ses propos, se félicitant au passage d’être assez bonne comédienne.
- Que penses-tu du dédoublement de personnalité ?
La psy n’aimait pas ça du tout. Bon sang, mais où veut-il en venir ? Elle se montra hésitante.
- C’est un cas psychiatrique très rare, je n’en ai jamais rencontré… La pathologie s’exprime par le fait qu’une personnalité prend le pas sur une autre, sans que celle-ci en soit consciente.
Une pause méditative avant la question la plus essentielle.
- Est-ce qu’il y a forcément une personnalité mauvaise ?
- Non, continua-t-elle de répondre à contrecœur. Il peut y avoir des personnalités différentes, on peut même en avoir plusieurs…
Nouveau silence dérangeant. Bien que la situation fut pour le moins inaccoutumée, Isabel savait qu’il lui incombait la responsabilité d’intervenir - son sens du devoir était malheureusement plus prononcé que celui de l’amitié.
- Dis-moi ce qu’il t’arrive, Diego. Je te parle en tant qu’amie.
- C’est rien, juste une idée bizarre qui m’est passée par là.
Aucun ne décela le mensonge de l’autre. Et tandis qu’ils cherchaient à s’isoler mentalement, les voisins du dessus reprenaient leur prose poétique.
- T’es vraiment bonne à rien !
- Si t’es pas content, t’as qu’à aller voir tes putes !
- Ouais, c’est sûrement ce que je vais faire !
Isabel sonda encore le plafond, entre la démence de Diego et le délire des voisins, l’ambiance presque contagieuse ne laissait aucune place au rire libérateur. Elle ne se sentait particulièrement pas au bon endroit, au bon moment.
- Sors d’ici et ne remets plus les pieds dans cette piaule !
- Essaye un peu de m’en empêcher, grosse vache !
- Je n’en peux plus de ces cris ! gémit subitement Diego, faisant sursauter la jeune femme. Cela ressemblait à l’expression d’une douleur trop longtemps contenue.
D’un bond, il se leva et contourna le lit pour s’engouffrer dans sa petite salle de bain. Du frais, vite ! Il s’aspergea à grands coups d’eau le visage, éclaboussant son miroir dans lequel il confronta à nouveau sa pauvre image. Traits tirés, teint brouillé, air grave, autant de signes du mal-être qui le rongeait jusqu’à l’os comme plusieurs milliers d’insectes sur un macchabée. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’il expérimentait cet état-là, même que dans le déclin, il avait flirté avec l’illusion de concrétiser ses pensées morbides, s’accrochant à la mort des autres qu’il vivait par procuration. Les idées malsaines ne manquaient pas de faire leur réapparition, à un détail près que l’âme suicidaire hier, il se sentait aujourd’hui celle... Meurtrière.
Ce brusque revirement le mettait en rogne pour la principale raison que le flic qu’il était, n’assumait pas ce que l’homme revendiquait comme une seconde nature. Sans s’éponger, il se dirigea lentement vers la chambre, mais stoppa sur le seuil de la salle d’eau et prit appui contre l’encadrement de la porte. Isabel contempla Diego. S’il pouvait sans peine lire en elle l’interrogation teintée de trouble, elle avait tout le mal du monde à interpréter le regard pénétrant qu’il dardait sur elle. Le plus déconcertant portait sur l’ambiguïté de son attitude aussi repoussante qu’attirante.
Complètement à l’aise avec sa nudité, un rien sexy avec les mèches humides qui dégoulinaient sur son front, ses yeux qui semblaient appeler aux jeux licencieux dégageaient également quelque chose de menaçant, laissant penser qu’il était sur le point d’utiliser son sexe comme un poignard. Elle est si mignonne avec son air innocent, j’aurais presque envie de la tuer… L’étrange excitation qui l’avait déjà à plusieurs reprises fait vibrer prit à nouveau possession de lui, formant une boule irradiante dans le bas du ventre. Il ne reconnut pas de suite l’état dans lequel elle le mettait, jusqu’à ce qu’il suivit le regard intrigué d’Isabel qui fixait son sexe en demi érection. Si cette vision l’ébranla un peu, elle lui arracha également un rictus amusé. Bien sûr, Isabel ne se doutait pas qu’il était inapproprié à la situation et s’imaginait sûrement qu’il bandait pour elle. La nuit promet d’être plus chaude que prévu. À peine sa pensée l’avait-elle émoustillé davantage qu’une nouvelle interruption romantique le refroidit brusquement.
- Reviens ici, connard !
- Comment tu m’as appelé, salope ?!
Des pas rapides suivis d’un heurt lourd évoquèrent la chute au sol de la salope après une baffe du connard.
- Je vais les plomber ces deux là !
Cela avait le mérite d’être clair, Diego à bout de nerfs décidait enfin d’agir, et c’est avec cette idée fixe qu’il fonça en direction de son armoire.
- Qu’est-ce que tu comptes faire ?
Voix légèrement éraillée, ton clairement angoissé, la psy perdait visiblement son assurance. Diego quant à lui poursuivait son action sans même lui jeter un regard et sortit d’un holster suspendu à un cintre son Beretta 92 F. Isabel entra aussitôt en panique.
- Mon Dieu, qu’est-ce que tu vas faire ?!
Diego contrôla que le barillet était approvisionné avant de se tourner vers elle.
- C’est juste une mise en bouche.
Son sourire en biais en disait long sur la suite du menu qu’il lui réservait. Isabel bondit hors du lit et, alors que le flic pointait son arme vers le plafond, se lança sur lui pour le pousser avec force contre l’armoire. Du choc violent, Diego lâcha le flingue et grimaça de douleur. Tout se passa ensuite à une extrême vitesse, il y eut ce voile rouge devant les yeux puis le revers de la main qui alla frapper avec rage. Et là, ce fut le déclic.
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