Fyctia
Chapitre 13
L’air était doux, l’ambiance sympathique. Isabel avait troqué son tailleur sévère pour une robe fluide qui épousait parfaitement le galbe de sa poitrine et de ses hanches. Sobre et sexy à la fois, juste ce qu’il faut. Diego aimait par ailleurs qu’une femme se présente sous différents styles, comme autant de facettes qu’elle possèderait. D’humeur joyeuse, les cheveux bouclés couvrant ses épaules, la psy avait tombé le masque en même temps que l’uniforme, et savourait visiblement chaque moment de cette soirée agréable de normalité. Malgré l’importante fréquentation de la Plaza Garibaldi en ce samedi soir, la flânerie sous le ciel étoilé, au son entraînant des violons, trompettes et autres guitares des mariachis, réussissait le coup de maître de rapprocher deux personnes d’ordinaire tourmentées. Un peu de romance dans un monde de violence, philosopha Martinez qui cherchait surtout à dévier de ses rêveries obscènes, car vraiment, toutes les conditions étaient réunies pour qu’ils finissent par faire l’amour dans une heure ou deux.
- À quoi tu penses ?
Aussitôt en alerte, le cerveau de Diego rangea dans un coin ses images lubriques, comme un ado planque ses revues cochonnes, et fit défiler à tout berzingue diverses réponses jusqu’à en sélectionner la plus acceptable et la plus crédible.
- Que l’air est doux.
Avait-il bien joué la feinte ? Craignant que l’on puisse lire imprimés sur son regard brillant des fantasmes torrides, il détourna la tête en direction des autres promeneurs - parmi eux des couples qui projetaient sans doute une partie de jambes en l’air… Par chance, Isabel n’analysa rien dans ses propos qui parurent la satisfaire, la réjouir même puisqu’elle désigna avec enthousiasme la caravane d’un vendeur ambulant.
- Allons manger des churros, j’en ai envie !
Diego retint un soupir : il n’avait rien contre les têtes à têtes romantiques, mais penchait plus pour un passage à l’action !
Il peut arriver que l’inaction soit un choix plus judicieux. C’est en tout cas la conclusion qui s’imposait au regard d’un bref bilan sur ses prestations sexuelles. Non pas qu’il avait manqué d’énergie ou d’imagination, bien au contraire à en juger par le large sourire d’Isabel avant qu’elle lui susurre un « tu as été sauvage ce soir » Mais quelque chose d’anormal, d’impromptu, d’inapproprié avait pollué leurs ébats. Plus qu’un intrus qui s’incruste, qu’un parasite qui démange, qu’un détail qui fait mouche, cette chose avait tenté de le déposséder de sa raison.
Ça.
- À quoi tu penses ?
Diego serra des dents : pourquoi les femmes veulent-elles toujours explorer, gratter, arracher les pensées intimes des hommes ? Est-ce par charité maternelle ou voyeurisme naturel ? Pas sûr qu’elle apprécierait d’apprendre que, tandis qu’il la pilonnait dans les draps frais, le visage cadavérique de Maria Catarina s’était interposé par flashs, pour être successivement remplacé par ceux de Rosina, Beatriz et Tracy. Et comme si cela ne suffisait pas, garder les yeux ouverts ou fermés n’avait pas davantage fait disparaître ce que le cerveau lui-même ne contrôlait plus. Ce qu’il devait maîtriser, en revanche, était cette montée progressive de stress. Une montée qui se faisait non seulement plus fréquente, mais plus forte au quotidien, le principal étant de ne jamais atteindre le pic critique, car en cas d’échec, c’était la porte ouverte à tous les délits possibles, voire plus…
Malgré ses efforts, le stress évoluait dangereusement, échauffant son sang jusqu’à lui donner l’impression que de la lave coulait dans ses veines. Bordel que j’ai chaud ! La fraîcheur des draps propres, il les avait changés, l’odeur musquée et les poils épars auraient été trop justement interprétés, ne faisait plus effet sur son corps nu. Diego se redressa et s’assit sur le rebord du lit, la tête entre les mains.
- J’ai mal agi ?
Evidemment, toujours pareil. En l’absence de réaction, les femmes se sentent systématiquement en faute. Surtout après le sexe. Diego se tourna vers la mine contrite d’Isabel et ses seins à l’air. C’était tellement mignon qu’il n’eut pas le cœur à la refouler comme un malpropre.
- Tu n’y es pour rien.
Il n’était pas certain que sa réponse, quoique sincère, la rassurerait alors qu’il affichait un sourire triste.
- Pas besoin d’être psy pour voir que quelque chose cloche.
L’homme hésita. La voix était certes amicale, le regard un rien compatissant, tout invitait à une confidence sur l’oreiller. Sauf que… Il se laissa lourdement tomber sur les draps, comme écrasé par le poids de son problème, et souffla les yeux perdus au plafond. Si je lui parle, elle va fuir en courant. En même temps, il se sentait sur le point d’exploser à l’instar d’un pneu trop gonflé.
- C’est cette enquête. Elle est en train de me bouffer.
Isabel fit preuve de tact en ne rebondissant pas de suite sur un aveu qu’il avait fait dans la douleur.
- Et il y a ce connard de Solenza, qui peut y fourrer son nez, parce que maintenant, on fait équipe !
- Je l’ignorais. Ça me désole, je sais à quel point tu le détestes.
C’était peu de le dire, et la seule chose que Diego se voyait clairement prêt à offrir à Javier se résumait à une balle dans le buffet… Son fantasme assassin fut brutalement interrompu par une gueulante familière.
- Tu vas la fermer, salope !
2 heures 17. C’en était terrifiant de ponctualité. Les voisins ! Et ce soir, il n’avait vraiment pas le cœur à partager leur routine.
- Je parle si je veux, connard !
Isabel scruta le plafond d’où fusaient les mots doux à peine étouffés.
- J’avais oublié que c’était toujours l’amour fou au-dessus, dit-elle avec un sourire.
- Ouais, et ils l’expriment un peu trop ces derniers temps.
Diego n’était pas non plus d’humeur à partager son amusement, cela n’échappa pas à la psy qui reprit son sérieux.
- Tu devrais déménager, il te faut un appart plus reposant.
Sans blague, j’ai pas eu besoin de toi pour y penser. Sauf qu’il n’avait aucune envie de quitter son quartier chéri, ni de mettre un terme à ses relations amicales (celles qui exerçaient assidûment leur activité professionnelle sur différents trottoirs). Il lui restait tant de cuisses à tester et de cuites à vivre, qu’entretenir ces vices inoffensifs constituait la seule ligne de conduite qui l’empêchait de commettre l’inéluctable. Du moins, le croyait-il.
- J’ai peur d’être un tueur.
Les mots avaient jailli de sa bouche avec la violence de plusieurs missiles sur des innocents.
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