Sarah Marty TEL EST PRIS... Chapitre 12 suite

Chapitre 12 suite

Cette fois-ci, l’information fut réceptionnée par son cerveau en trois gigabits.

- Hein ?!, lâcha Martinez dans toute sa stupéfaction. J’ai bien entendu, là ?

- Oui, et tu peux même le réentendre : nous sommes coéquipiers maintenant.

Nous, coéquipiers. C’étaient les mots de trop. Bosser avec lui revenait à fraterniser avec Judas. Il faut que j’empêche ça ! Solenza la jouait serein, mais l’éclat dans ses yeux de crotale ne laissait aucun doute quant à sa jubilation sadique.

- Et ton affaire ?

- Elle est bouclée depuis hier, se vanta l’opportuniste.

- Tandis que la vôtre n’avance pas, cingla le commissaire, qui ne manquait pas l’occasion de placer la bonne critique sur la mauvaise nouvelle.

Il y eut un espace vide, un temps mort, où tout paraissait suspendu (de la respiration aux saisons qui passent). Seule une colère volcanique s’apprêtait à entrer en éruption, comme le couvercle d’une cocotte minute en pleine figure.

- Et si je refuse ?

Le défi était lancé, avec impudence et aplomb soit, mais il n’y avait aucune équivoque sur le froncement de ses sourcils, le tic nerveux de sa lèvre supérieure et la crispation de son poing gauche. Reyes esquissa un sourire narquois.

- Vous n'avez plus à y perdre, vous le savez bien.

Bien sûr qu’il le savait, mais son égoïsme de môme qui veut légitimer son droit intrinsèque à la propriété privée, empiétait sur sa sagesse d’adulte. Les regards des deux ennemis s’engagèrent dans un nouveau bras de fer. Si Martinez tolérait d’avoir perdu une manche, il en allait de son honneur en reprenant très vite la main. Et, tout compte fait, il n’y avait pas meilleur stimulant que celui de la revanche sur un rival, une revanche produisant une énergie tellement formidable qu’elle attirerait immanquablement à lui le tueur, comme un chien galeux sur un os.

Lorsque Solenza entama son inquisition en exigeant que tous les rapports d’enquête atterrissent sur son bureau, Diego se contenta de sourire. Aussi intense que sa certitude de détester cet homme toute sa vie durant, il venait d’avoir celle que, très bientôt, il allait clore cette incroyable affaire, mais qu’en contrepartie, son incommensurable admiration pour ça et son auteur avait un prix.

- S’il vous plait, lieutenant Martinez ! Un mot sur ce quatrième meurtre…

- Que pensez-vous de l’article paru dans « l’Excelsior » qui remet en doute votre capacité à trouver l’assassin ?

Le flic n’avait pas atteint les rubans jaunes que des bras menaçants braquaient leurs micros sur lui. Des bras anonymes qui surgissaient en bas de l’écran de son téléviseur, branché sur « Canal 2 Televisa » pour le journal du soir.

- Aucun commentaire, avait-il grogné en forçant le passage que ces membres tentaient d’obstruer.

Tandis que les images continuaient de défiler, Diego se transposait au cœur de cette matinée où, en sus de l’annonce d’une union forcée avec Javier, il avait découvert avec mépris la présence de ces chacals en mal de lynchage public. En réalité, le reportage aurait été bien différent s’il ne s’était pas contenté de tous les buter en pensées, explosant des têtes par-ci, des caméras par là. Du gore et du terrifiant à l’instar des scoops qui mettent journalistes et téléspectateurs en transe.

Affalé dans son canapé comme une loque, Diego se gratta la barbe de plusieurs jours. Il ne se trouvait pas très télégénique, même qu’à ses yeux de quadragénaire qui se désavoue, la télévision avait le pouvoir pernicieux de faire grossir et vieillir à la fois. Il faut que je me rase, Isabel n’aime pas quand je pique. Il songea qu’effectivement, en certaines circonstances, piquer ne devait guère être agréable. Et, inviter une jolie femme dans un appartement pouilleux non plus.

Le bruyant soupir qu’il laissa échapper était empreint de fatalisme, celui d’un homme que le sacrifice d’un rein au profit de sa vieille tante à mauvaise haleine abat. C’est dans un état de pesanteur extrême qu’il décolla ses fesses de son sofa et commença à s’éloigner, le dos courbé lorsque, interpellé par une voix familière, il fit brusquement volte-face.

Un court instant, il parut à Diego que son téléviseur était en proie à une possession démoniaque.

Javier.

Sa gueule de couard toute entière couvrait l’écran, comme si une journaliste amoureuse en avait exigé un gros plan. Il faut reconnaître que ses cheveux gominés et son sourire ravageur lui conféraient des allures de torero fraîchement acclamé par une foule aussi prompte à exécrer qu’à vénérer dans la même seconde.

- C’est officiel, à compter d’aujourd’hui, je prends l’affaire en main. Je regrette aussi que le lieutenant Martinez n’ait pas été en mesure de fournir de nouveaux éléments nous conduisant au tueur. Mais, en ce qui me concerne, et je m’adresse directement à ce vil lâche, où que vous soyez, je n’aurais de cesse de vous traquer parce que j’ai eu personnellement la vision que vous finissiez derrière les barreaux !

Diego venait d’assister à sa propre mise à mort. Qui véritablement ciblait-il à travers son « vile lâche » ? Et, ce tissu de mensonges, cousu de main de traître, qui aveugle avec l’habileté d’un illusionniste ! Le regard qui se voulait pénétrant, Solenza jouait à la perfection le rôle de redresseur de torts, à coup sûr, il avait répété chez lui chaque réplique de son serment aux accents de sermon, devant sa putain de glace, s’appliquant à employer un ton comminatoire et emphatique. Sauf que ses pseudos talents de rhétoricien n’avaient nullement convaincu Martinez, et que le vil lâche n’était pas celui qu’il laissait supposer.

Diego préféra sourire. Le réduire en morceaux, en miettes, en cendre. Voilà ce que sa tension lui implorait de faire pour redescendre à la normale. Incontestablement, mâchoire crispée, yeux rougis et spasmes de la paupière étaient les signes annonciateurs d’une vengeance qui réclamait justice. Rien à foutre de finir menottes aux poignets, parce que même si ce minable ne valait pas un séjour en prison, il méritait une bonne leçon d’humilité par l’humiliation. Tournant le dos à son poste de télévision avec tout le dédain qu’il manifestait pour sa vedette, le lieutenant se dirigea vers son coin kitchenette où, en plus d’un verre, il dégota une bouteille de whisky dans le placard de l’évier.

Comme de l’argent planqué sous le matelas, il cachait à l’insu de tous, ce trésor inestimable de délivrance et ne l’exhumait qu’en cas de force majeure. Juste un verre, s’autorisa-t-il tout en songeant qu’il devrait se brosser les dents pendant quinze bonnes minutes.

- À l’enquête que je vais boucler sans toi, collègue. 

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