Sarah Marty TEL EST PRIS... Chapitre 11

Chapitre 11

Il en jubilait parce que, comme l’avait si joliment présagé Isabel, ce dernier crime démontrait la faillibilité de son exécuteur.

- Moi, je pense plutôt à un vulgaire « copycat ».

D’un coup, les enquêteurs virent leur supérieur ravaler ses délices, le visage pâle. Cette voix dans son dos. Ce « moi, je ». Tellement identifiable.

- Tu n’as rien à faire ici, lui cracha-t-il sans prendre la peine de se retourner.

- Je passais par là, tu me connais. Je venais aux nouvelles.

Javier s’était avancé pour défier Diego de son sourire perfide.

- Il n’y a rien qui te concerne, et pour ce qui est de te connaître, je te crois capable de tout.

- C’est exactement ce que je pense de toi, enchérit le salaud avec un étrange rictus.

Les deux hommes s’affrontaient dans un duel de regards, comme des cow-boys sur le point de dégainer. Un silence de circonstance les cernait, et Diego prenait le parti de garder ses fesses scotchées au coin de l’une des tables, tandis que Javier le scrutait en pointant son menton en l’air. Il se donne en spectacle, quel sale con !

- Je me souviens un jour t’avoir fait remarquer que ces meurtres te ressemblaient.

- Même que j’ai pris ça pour un compliment, rétorqua Martinez en feignant l’ironie, alors que des poussées d’adrénaline agissaient sur son palpitant.

- Je ne suis pas étonné, mais ce qui me turlupine, c’est…

Effet escompté de suspense.

- C’est quoi ? questionna Diego qui trahissait son agacement par un croisement de bras nerveux.

- D’où venait le sang sur ta chemise le lendemain du troisième meurtre ?

Dans la salle, on se considérait avec incompréhension.

- Je n’ai pas à m’expliquer auprès de toi !

- Moi, je crois qu’un soir, tellement ta vie t’emmerde, tu as voulu jouer un autre rôle que celui de flic.

- Je ne sais pas ce que tu cherches…

- Et que tu t’es essayé à celui de meurtrier.

- Quoi ?!, s’estomaqua Diego qui s’était levé d’un bond.

- Mais, ça c’est mal passé, hein ? harcelait Solenza d’une voix toujours monocorde. Allez, raconte-nous.

- Dégage de là !

- Franchement, ça fait quoi d’être un assassin ?

- Espèce de salaud ! Je vais te casser la gueule !

En un centième de seconde, sous les yeux médusés de ses collègues, Diego fondit sur sa proie et lui décocha un formidable direct du gauche. Sans réaction défensive, le salaud bascula en arrière sur un bureau, qu’il manqua de débarrasser de ses divers effets, pour chuter lourdement au sol comme un paquet de linges moisis. Sa figure exprima de la douleur dans une contorsion tellement grotesque, qu’elle anima Martinez d’une plus vive répulsion pour lui, un dégoût capable de décupler sa force au point de ne pas prêter attention aux trois hommes qui tentaient de le retenir. La mâchoire dans une main, Javier se remit d’aplomb grâce à la traîtresse assistance d’un jeune agent. Il s’efforçait de camoufler les tremblements de ses lèvres sous l’esquisse d’un sourire insolent, mais la pâleur de son teint ne trompait personne sur la trouille qu’il avait.

- Dis donc, souffla-t-il en se raidissant, tu te fais soigner pour cette violence ?

Diego s’arrêta net, encaissant la question comme un coup de poing dans le ventre.

- Parce que t’es quelqu’un de violent, hein ? Y’a plein de témoins pour le prouver maintenant.

L’enfoiré reprenait de la consistance, encouragée peut-être par la simple présence des autres.

- Il est malheureusement facile d’être violent avec toi, se justifia Diego. Et, crois-moi que parmi ces témoins, plus d’un doit m’envier aujourd’hui…

- Je vais porter plainte pour coups et blessures ! fulmina un Javier offensé.

- Et moi pour diffamation ! Tu n’es qu’une pourriture prête à n’importe quel bobard pour prendre du galon ! Je ne veux plus te voir dans mes pattes, c’est clair ? 

Le ton se voulait intimidant, renforcé par un index désapprobateur pointé sur lui comme le canon d’une arme. Un geste inconscient qui donnait à penser qu’une balle de pistolet pourrait succéder au poing, dans le cas où Solenza ne capterait pas clairement la recommandation. Rien ni personne n’existait en cet instant, il n’était plus question que d’un combat sans arbitre avec pour seule règle de mettre k.o. son adversaire.

La tension artérielle de Martinez allait sûrement atteindre le pic critique qui conduit à la mort subite, sa rage occultait ses sens, et le tapage téléphonique (unique fond sonore) ne le perturbait pas outre mesure, ni les vibrations sur sa cuisse de son portable fourré dans une poche de pantalon. Et, alors que Javier battait en retraite, la queue entre les jambes, Diego restait bloqué malgré lui sur cette interrogation engluée dans le trou noir de sa mémoire.

Merde, mais qu’ai-je fait cette nuit-là pour saigner du nez ?


Il y a des moments honteux que l’on aimerait effacer de sa vie (la fois où votre mère vous prend à regarder un film porno la braguette ouverte, où l’institutrice vous colle un zéro pour avoir copié sur votre voisine, ou encore la fois où le commerçant du coin découvre dans vos poches des cannettes de bière maladroitement subtilisées) mais une réputation d’obsédé sexuel, de tricheur, ou de voleur à la tire valait, pour Diego, cent fois mieux que celle de nerveux du poing. Revenir en arrière ou faire des lavages de cerveaux, peu importait tant que le souvenir de cet instant n’existait plus parce qu’en fin de compte, il n’était pas sûr d’avoir le soutien de ses pairs dans cette démonstration musclée de son amour-propre.

Pour la peine, Diego s’était réfugié dans son bureau devenu, le temps d’une méditation profonde, un sanctuaire. Que personne ne vienne m’emmerder ! De toute évidence, son sens de la culpabilité n’avait d’égal que celui de la colère, qu’il s’abstenait de retourner contre lui-même sous la forme de quelques coups de tête dans le mur. Aucune logique là-dedans bien sûr, aucune sagesse dans cette tendance à être violent avec soi-même lorsqu’on l’est avec autrui, cela ayant pour seul effet de coupler à une image de sadique celle de masochiste. En attendant, Martinez se réjouissait de voir ses prières exaucées, personne ne pointait le bout de son nez de fouine pour jouer les doigts réprobateurs ou les sourires complices. Il n’y avait que lui et son écran de moniteur qui, en mode « veille », lui renvoyait en boucle l’image d’un poisson multicolore nageant au milieu d’algues et autres coraux. À la base, il devait servir à un but thérapeutique dans des contextes plus ou moins critiques (envies de meurtres, idées suicidaires, stress, coups de blues, etc.), mais la bestiole en était au moins à son cent-douzième passages devant ses yeux, et lui fichait plus l’envie de le voir nager sur le dos. Là, je serai détendu. Lui trouer sa peau de sale poisson satisfait qui remue trop de la queue, et puis tant qu’on y est, tirer en l’air comme ses ancêtres mexicains en braillant de joie des « Viva les voyantes ! ».

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