Sarah Marty TEL EST PRIS... Chapitre 10

Chapitre 10

C’est en bougonnant qu’il décida de quitter sa cachette de fortune. Il se fichait pas mal d’être accueilli à bras ouverts ou de pied ferme, du moment qu’il restait le chef de la meute. En direction de l’ascenseur, ses pas résonnaient dans le parking rempli de voitures de fonction, il pensait surtout abréger la réunion pour entreprendre quelque chose de secret, un truc qui avait fait son trou dans son cerveau sans qu’il eût pu l’en déloger. Cela n’avait pas de sens au fond, parce que c’était tellement contraire à ses habitudes de travail. Une fois dans l’ascenseur, Diego sélectionna le bouton « 1 », le niveau des bureaux d’investigations. J’espère ne pas tomber sur Reyes, pria-t-il en passant une main dans ses cheveux. Il essayait plutôt d’ordonner son petit discours, tenté de faire quelques coupes pour se garder le plus gros morceau - instinct de propriété oblige.

Les portes automatiques s’ouvrirent sur un couloir animé par les allées et venues des employés en civil ou en uniforme. Et, il était rassurant, en pénétrant dans la salle des opérations, de voir le ballet quotidien de son équipe conduit par les mélodieuses sonneries des téléphones.

- Lieutenant !? L’aborda le sergent Ovalda, reconnaissable à ses oreilles écarlates en toute circonstance. Depuis ce matin, nous sommes assaillis d’appels…

- De voyantes, je sais, le coupa Martinez. Et, elles ont vu quelque chose ?

- Même pas, répondit le bonhomme un brin nerveux. Aucun témoin, aucune piste.

- Ok (il se racla la gorge avant d’élever la voix). S’il vous plait, je voudrais votre attention ! J’ai les premiers éléments du rapport d’autopsie.

Lentement, chacun délaissa son action et se tourna vers lui.

- Tout d’abord, un fait nouveau : Beatriz Muñoz a été tuée par étranglement commando.

Silence de stupéfaction et regards interloqués signifiaient que leur cible venait de changer de visage.

- On sait que le tueur injecte à ses victimes la même dose de toxines, mais, ce qu’il n’a pas pris en compte avec sa troisième victime, c’est son poids. Plus de cent kilos, forcément ça change la donne. (Diego posa une fesse sur le bord d’une table). Voilà le scénario : la dose n’étant pas suffisamment forte, notre victime réagit au bout d’un certain temps, alors que son œil gauche est déjà énucléé. Les choses se gâtent au moment de passer à l’œil droit. Parce que Beatriz Muñoz bouge. Son œil est accidentellement sectionné, entraînant une grosse hémorragie, mais ce n’est pas ça qui la tue. Elle porte un hématome sur le front, peut-être que dans l’affolement le tueur l’a frappée, elle ne s’est pas débattue, en tout cas, il s’est vite ressaisi pour l’achever efficacement.

Évidemment, il fallait être exercé au sang-froid, ce qui n’allait pas de pair avec un accès de panique. À moins que ce fut un petit écart, une erreur d’appréciation, un réflexe aussi malencontreux qu’impardonnable qui faillit bien lui coûter cher. Mais, par bonheur, le jeu du chat et de la souris s’ouvrait sur une nouvelle partie…

- Qu’est-ce que ça apporte de plus au profil du tueur, Lieutenant ? s’enquit un des agents assis plus loin, qui s’efforçait de couvrir les incessantes sonneries des téléphones.

Martinez baissa les yeux quelques secondes.

- Qu’il fait partie de ces tueurs d’élite comme on n’en fait plus : c’est-à-dire difficile à coincer.

Aucun applaudissement, aucune acclamation, si ce n’est des échanges de regards qui valaient autant de tomates jetées en pleine figure sous des huées de protestation. Visiblement, sa bande en délire avait attendu un autre type de stimulant, un vrai remontant sous la forme d’une formule choc capable de doper leur volonté de réussite. Et non un leitmotiv à la réalité tout juste bon à casser l’ambiance.

Conscient de sa bévue, il tenta de se refaire des copains.

- Mais rien n’est impossible… 

Cela sonnait plus ou moins faux, car il était surtout d’avis que rien ne serait impossible pour lui et lui seul.

Tandis que sur ces paroles hautement réconfortantes, chacun retourna vaquer à sa besogne, Diego se calfeutra dans son bureau, derrière son ordinateur qu’il espérait disposé à lui cracher des infos de première classe. Le visage de Carmen Sanchez apparut aussitôt dans sa mémoire, directement liée au mot qu’il allait taper sur son clavier. « Vous cachez votre vraie nature, et je crains qu’elle ne cause votre perte », lui semblait-il entendre encore. Et, en dépit de son scepticisme, les propos de la voyante l’avaient fait réagir au quart de tour : pas de peur, non, mais un arrière-goût de malaise face à cet avant-goût de destin tragique… En théorie. Car elle n’avait professé là qu’une semi-vérité.

VENUM.

En lançant la recherche, il ne pouvait qu’admettre les limites de son scepticisme, et pour quel résultat ?

Ce qui de prime abord s’apparentait à de la surprise se transforma, à mesure qu’il parcourait sur l’écran les secrets de « Venum », en véritable effervescence. On pourrait toujours douter du bien-fondé des visions de Carmen, mais reconnaître aussi que la coïncidence était percutante.

On frappa nerveusement à la porte. En deux clics sur la souris, Diego ferma le fichier avant d’autoriser l’importun à entrer. Le sergent Ovalda et ses oreilles rouges se montrèrent.

- Lieutenant, il faut que vous veniez : il y a du nouveau !

Sur le moment, Martinez resta scotché au siège, figé dans une attitude d’hébétude aussi bête que si le sergent l’avait demandé en mariage, et quand il se ressaisit, il fonça hors du bureau en piétinant presque le pauvre messager. L’ensemble de ses enquêteurs s’était attroupé autour du sergent Arenza, une sorte de bloc avec, pour seule touche humaine, une moustache qui courait jusqu’à la commissure de ses lèvres. Il tenait un papier dans la main.

- La scientifique a trouvé du sang qui n’est pas celui de la victime.

Diego sentit son cœur faire un bond. Il s’empara de la feuille du « Robocop » qui ne broncha pas, et mit dix secondes pour s’imprégner de son contenu.

- On a donc de l’ADN ! lâcha-t-il avec agitation.

Le silence, jusqu’ici chargé d’angoisse, se mua aussitôt en un joyeux brouhaha, car tous savaient ce que cela impliquait.

- C’est celui d’un homme, poursuivit-il en haussant la voix pour couvrir les échanges de commentaires. Des recherches sur son identité sont en cours, mais c’est enfin une première avancée !

- Oui, mais Lieutenant, intervint un jeune sergent, le tueur n’a jamais laissé de trace derrière lui, ni commis d’erreur. Vous croyez vraiment que ce sang est le sien ?

Diego sourit : cela ne faisait aucun doute pour lui.

- Selon le rapport, les temps de coagulation des deux sangs sont identiques. Et, puis il ne faut pas oublier le caractère, je dirais, accidentel dans ce troisième meurtre : on sait que quelque chose a bouleversé le programme habituel de notre tueur. Par conséquent, tout devient possible. Même l’erreur.

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