Sarah Marty TEL EST PRIS... Chapitre 9

Chapitre 9

La voyante emprunta alors un crayon et une feuille qui traînaient sur le bureau, et se mit à griffonner. Diego décida de reprendre son siège, craignant une effusion artistique d’au moins une heure, mais la main de Carmen était assurée. Et, au bout de deux minutes, elle lui tendit le croquis.

Il lui fallut un petit effort de concentration (et d’imagination) pour identifier la forme abstraite de ce dessin digne d’un enfant de quatre ans. Bien sûr, il ne voulait pas froisser Carmen, et par chance pour lui, elle avait fait ressortir le détail qui l’orienta sur la piste animale. Une langue bifide. D’accord, c’est un serpent. Mais, il était moins sûr de comprendre l’inscription en dessous du reptile aux airs de gros spaghetti.

- VENUM ?

- Vous lisez bien. Et, ne me demandez pas la définition, c’est votre travail. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il est tatoué sur un bras.

Bonne réponse, parce que si d’aventure, elle l’avait vu sur une fesse, Diego n’aurait eu aucun remord à lui chauffer la joue du tatouage de la paume de sa propre main.

- Est-ce que ça va vous servir ?

Brillants d’espièglerie, les yeux de Carmen plongèrent dans ceux de Martinez, pleins de sous-entendus.

- Je lis dans les cartes et les lignes de la main, Lieutenant, pas dans les pensées.

- Madame Sanchez, sachez que je suis en train de vous faire une faveur en prenant la peine de vous écouter. Ici, personne n’accordera de crédit à vos visions, et si moi, j’en prends note, ça ne signifie pas que je crois en vous, mais que j’ai décidé de vous considérer comme un témoin potentiel.

Carmen Sanchez afficha un large sourire avec autant de gratitude que s’il lui avait dit qu’elle paraissait vingt ans de moins que son âge. C’est mignon à voir, mais témoin potentiel, j’y vais fort ! Qu’elle ne pût lire en lui était heureux, comprendre qu’il la manipulait, par dépit et défi, l’aurait forcément vexée. Elle se leva, apparemment satisfaite d’avoir rempli sa mission, et Diego l’imita.

- Si je vois autre chose, je ne manquerai pas de vous en parler.

C’est ça, et par télépathie, s’il vous plait.

Alors qu’ils s’approchaient de la porte, elle pivota vers lui.

- Je vous souhaite beaucoup de courage, mon petit.

Surpris par le ton maternel de ce bout de roquet, il toisa son interlocutrice du haut des deux têtes et demi qui le faisait la dépasser. Il ne soupçonna pas le piège qu’elle lui tendait, en cherchant à empoigner sa main gauche pour le saluer. Et, bizarrement, il ne se libéra pas lorsqu’elle tourna sa paume pour y lire les lignes profondes. En fait, il voulait se racheter une conduite psychologiquement correcte, rayer de sa mémoire le souvenir d’un terroriste de pauvre dame.

La voyante avait quasiment le nez collé sur sa main. C’est qu’elle commence à me faire peur, la mémé. Elle releva bientôt la tête dans un grognement, et son regard sembla vouloir percer le sien, comme pour avoir confirmation de quelque chose.

- Vous cachez votre vraie nature. J’aimerais vous dire qu’elle est sans danger, pour vous et pour les autres, mais je mentirais…

L’inflexion de sa voix adoptait la gravité, presque gutturale, de celle qui prophétise une annonce mondialement sensationnelle.

- Lieutenant Martinez, reprit-elle après une grande inspiration, je crains qu’elle ne cause votre perte. 

Quelle matinée de merde !

C’était plutôt fidèle à la réalité, et sans une once de superstition, Diego augurait une succession d’autres merdes pour la journée. Il ne faisait plus grand cas de cet article journalistique compromettant, de ces reproches hiérarchiques consternants, ni de ce contact ésotérique contrariant. Que devait-il craindre le plus, perdre son job ou perdre sa peau ? Quel dilemme, autant me flinguer maintenant ! Ç’eût été déjà fait si l’envie ne lui manquait pas. Parce que, dans le fond, la seule chose qu’il estimait vraiment perdre était sa patience, une patience mise à rude épreuve dès lors que l’on cherchait à lui dicter sa conduite.

La caboche plaquée contre l’appuie-tête de sa cox, Martinez gardait les yeux fixement vagues sur le plafond cimenté du parking souterrain de la police. Son corps bouillonnait d’une fureur qui, semblable à de l’air comprimé dans une bouteille surchauffée, était sur le point d’exploser à la face du monde. Rien ne pouvait étancher sa soif de justice personnelle, … ou alors peut-être une petite lampée de mezcal. À près de quatorze heures, il était temps de rattraper un apéritif de retard. Ouais, puer l’alcool en plein service me rendra encore plus populaire. Et, puis, la résolution de cette sombre affaire dépendait de la survie de ses neurones, car, plongé dans ce flot de rebondissements fâcheux, il en oubliait qu’un élément nouveau avait enfin pu émerger… Quelque chose qui allait ajouter au profil du tueur une particularité somme toute inattendue. C’était à la fois si extraordinairement prometteur et illusoire, que Diego ne savait comment l’utiliser.

- Ce n’est pas l’injection de toxine qui a tué Beatriz Muñoz, avait conclu Manuel, penché sur le cadavre de cent dix kilos (qui en paraissait deux fois plus vu de dessus).

- Et c’est quoi ? s’était impatienté Diego, venu spécialement à sa demande par téléphone.

- Elle est morte par étranglement commando. 

Ça l’avait cloué sur place. Voilà une tactique criminelle qui nécessitait une technique bien précise. Une technique que l’on n’enseigne pas n’importe où, ni à n’importe qui.

L’armée.

La déduction était trop facile pour être plausible. Un truc, néanmoins, ne collait pas. Comment admettre qu’un type, peut-être, taillé comme Rambo, s’en prenait à de simples voyantes ? Pour quel mobile ? Était-il un agent secret en devoir d’éliminer des femmes extralucides qui voyaient des choses bouleversantes pour la population terrestre ?… Bien sûr, il est de mèche avec une bande d’aliens qui veulent envahir la planète. Se perdre dans des extrapolations délirantes n’était pas bon signe, et Diego commençait à douter de sa clarté d’esprit malgré son état de sobriété. Il lâcha un long soupir. L’idée de rejoindre sa fine équipe pour la briefer sur la progression de son enquête à lui ne le mettait pas en liesse, mais, il devait galvaniser ses troupes victimes d’une baisse de moral et de forme, juste histoire de leur donner un petit os à ronger. Un coup d’œil dans son rétroviseur lui renvoya l’image d’un gars en cours de vieillissement accéléré. Perte de sommeil, irascibilité et tendance au crime étaient les signes cliniques d’une dépendance totale à une affaire devenue obsédante. En vingt ans de carrière, Martinez n’avait pas souvent eu à souffrir de ces maux, le temps finissant par avoir raison de ses rêves de superflic. Mais, il ne s’expliquait pas cette impression que « l’affaire des voyantes » allait être sa dernière...

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