Fyctia
Chapitre 8 suite
Et, merde… Martinez ferma les yeux deux secondes : il aurait dû le pressentir. Un mélange de gêne et d’incrédulité le saisit dans un contexte étrange où, pour de vrai, se tenait devant lui une voyante vivante.
- Que puis-je pour vous, madame Sanchez ? questionna-t-il, avec un sourire qu’il était allé chercher très loin.
- Demandez-moi plutôt ce que je peux faire pour vous, Lieutenant.
Allons bon, me voilà dans un épisode de « X files » !
- Que voulez-vous dire ? Vous connaissiez l’une des victimes ?
- Je ne côtoie pas les autres voyantes, mais peut-être que leur nom me dira quelque chose.
- Écoutez, à moins d’apporter un indice… concret sur cette affaire, je ne peux rien vous en révéler.
- Ah oui, vous faites de l’obstruction ?
Diego préféra gommer cette réplique sortie tout droit d’une série télévisée, avant de reprendre le rôle du héros.
- Madame Sanchez, si vous n’avez aucune information à fournir sur les crimes, ou même sur le criminel, je vous prierai de…
- Je sais qu’il utilise un animal.
Silence. Coupez. Comme dans un arrêt sur image, tout le monde semblait statufié, suspendu aux lèvres de Carmen.
- Qu’entendez-vous par « je sais » ? s’enquit alors le sergent Ruiz.
- Elle ne sait pas, devina Diego avec cynisme. Elle l’a vu.
Des murmures par ici, des ricanements par là, et au milieu, Carmen Sanchez qui ne bronchait pas.
- Et que voyez-vous d’autres ?
- La porte de sortie ! osa une voix dans le groupe.
- Réfléchissez, contre-attaqua la voyante en s’adressant uniquement au lieutenant. Comment est-ce que je peux parler d’un détail qui n’est nulle part dans le journal ? Hein, dites-moi ?
- Je ne sais pas. Une fuite, peut-être…
Le simple rappel de cette possibilité raviva sa colère, jusqu’alors en sommeil depuis cet entracte. Balayant d’un regard furtif toute son équipe, Diego s’aperçut que la possible fuite brillait par son absence.
- En admettant que vous ayez eu une vision de cet animal, à quoi ressemble le meurtrier ?
- Je ne vois pas son visage, je ressens seulement son angoisse…
- Désolé, madame Sanchez, coupa Martinez avec impatience. Cela ne nous aide pas. Je vais vous demander de partir.
- Une très forte angoisse, Lieutenant, s’obstina Carmen alors qu’il faisait signe à un brigadier de la raccompagner dehors. C’est par vengeance qu’il assassine ces pauvres femmes, parce qu’elles n’ont pas su voir ce qu’il était !
Déclic. Autre rappel. Diego signifia immédiatement au brigadier d’interrompre son élan. L’exophtalmie peut vouloir dire qu’elles n’ont rien vu… Une phrase d’Isabel.
- Allons dans mon bureau, madame Sanchez.
Faisant fi des ondes malfaisantes qui se propagèrent aussitôt dans l’espace et, tels les dards d’une colonie de guêpes déchaînées, le prirent pour cible, Martinez regagna son antre, suivi par la petite dame toute fière qu’il invita à s’asseoir. Porte fermée, confidentialité. Il savait que le risque n’était pas des moindres, que son boss allait vite être informé de cette séance de spiritisme, mais autant justifier sa réputation de flic désaxé et médiocre jusqu’au bout.
- Avant toute chose, vous devez savoir que je ne crois ni à la pseudo vie après la mort, ni à Dieu, et encore moins aux personnes comme vous. Je ne vous laisse aucune chance de me convaincre, parce que je ne tiendrai compte que des faits.
- Je vous plains. Vous ne croyez même pas en la vie.
Diego se serait franchement passé de ce commentaire un rien compatissant dans la forme, mais tristement juste dans le fond.
- Ce n’est pas de la voyance, ça, c’est de la psychologie.
Carmen sourit. Plutôt cassant, le monsieur.
- Je suis cartomancienne, chiromancienne et médium.
Et, moi, je suis flic, keuf et poulet.
- Madame Sanchez, allons droit au but. Que croyez-vous savoir de plus que la Police ?
Et, voilà comment elle lui déballa son récit rocambolesque sur ces deux âmes, dont elle avait ressenti les plaintes. Deux âmes encore sous le choc de leur mort violente, prisonnières dans des souffrances sans fin qui les empêchaient d’entrer en contact avec elle. Sauf en rêves, et sous un aspect flou, imprécis. Fantomatique, quoi.
Le menton dans la main, Martinez l’écoutait avec autant de frénésie que s’il assistait à une messe dominicale, et se figurait actionnant un bouton qui éjecterait la Carmen et ses nibards de leur siège. En d’autres temps, elle n’aurait pas fait long feu dans son bureau, mais pour des raisons (par)anormales, 0,1% de sa personne se montrait curieuse et il y avait dans cette situation, Ô combien absurde, quelque chose d’aussi distrayant et libérateur que d’envoyer par colis des couches pleines de merde à son boss.
- Madame Sanchez…
- Appelez-moi Carmen.
- Écoutez, poursuivit Diego en réfrénant une pointe de lassitude. Je respecte votre… foi dans ces événements, mais ils sont inutilisables pour l’enquête.
- Je sais que vous rêvez d’elles.
Temps mort. Ces mots lui firent l’effet d’une énorme gifle, et pour la première fois depuis leur rencontre, la gentille voyante s’apparentait maintenant à une affreuse sorcière qu’il fallait illico brûler vive.
- Elles vous parlent, vous savez.
- Qu’est-ce que vous me chantez ? Ce ne sont que des rêves !
L’intonation de sa voix trahissait un début d’emportement déraisonné, mais aussi de panique irrationnelle…
- Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi elles viennent à vous.
- Arrêtez, je n’ai rien à voir avec ça, se défendit-il en quittant son siège, mal à l’aise.
- Et pourtant, vous avez un lien avec elles.
- Vous délirez !
- Mais lequel ? persistait Carmen. Dites-moi.
- Je n’ai rien à vous dire, vieille folle !
Diego venait de taper du poing sur sa table.
Hormis le fait que cela lui faisait un mal de chien et que la vieille avait frôlé l’infarctus, il savait pertinemment que l’écho de son coup de sang s’était entendu jusque dans la salle des opérations. Mais peu importait. Ce geste impulsif devant un témoin parfaitement inoffensif le perturbait bien plus que les rumeurs qui en découleraient.
- Il est fort lui aussi, lâcha gravement Carmen en serrant sur ses genoux son sac noir. Comme vous.
Martinez se raidit, une sorte de décharge électrique courant sur sa colonne vertébrale.
- Que voulez-vous dire ? s’intéressa-t-il d’une voix radoucie. Vous avez quelque chose à m’apprendre ?
- Je n’ai qu’une seule vision de lui, toujours la même. Un tatouage.
Que cela était commun ! Il ne manquait plus que la cicatrice et les dents crochues, et le tueur avait tous les signes particuliers du moche et méchant.
- Quel genre de tatouage ? se risqua-t-il à demander, sans conviction.
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