Fyctia
Chapitre 7 suite
Elle venait de faire la connaissance de Maria-Catarina et de Rosina, en noir et blanc, et dans divers plans (gros, rapproché, etc.) quasi identiques. De sacrées belles photos.
- Je ne sais pas si, ces derniers jours, tu as entendu parler de meurtres de voyantes. On s’est montré très discrets sur les détails, pour éviter que les médias fassent tout lien direct, et surtout, qu’ils ne créent de psychose.
Isabel se contenta de hocher la tête négativement. À la blancheur de son teint, elle semblait prête à plusieurs options : décamper à toutes jambes, jupe relevée au-dessus de la taille, remplir son assiette de quelques vomissures, ou sombrer dans un évanouissement prolongé... Mais, aucune décision ne fut prise, son cerveau devait être en "pause. Martinez commença à trouver inquiétante la couleur grisâtre de sa figure.
- Je suis navré, c’était une mauvaise idée. Tu veux de l’eau ? … De l’air ? Viens, je te ramène chez toi.
- Tu dis qu’elles étaient voyantes ?
Diego demeura interdit. En passe de défaillir cinq secondes plus tôt, elle absorbait maintenant son Martini cul sec, qui termina de la ressusciter pour de bon.
- Je n’ai jamais vu ça. C’est… édifiant !
La psychiatre venait de prendre le pas sur la femme, le travail de profilage était amorcé.
- Si je comprends bien, vous n’avancez pas dans l’enquête.
- C’est le néant complet. Le tueur ne laisse aucune trace derrière lui.
- D’accord. A-t-on établi une relation familiale ou amicale entre les victimes ? Non ? Alors, vous pensez qu’un client commun est à l’origine de ces meurtres…
- On n’a rien trouvé dans leurs carnets de rendez-vous, sans compter les enquêtes de voisinage qui n’ont apporté aucun élément.
- Et vous pouvez chercher longtemps. Les photos parlent d’elles-mêmes, les meurtres sont « propres », presque du travail d’art. C’est l’œuvre d’un homme obsessionnel, à tendance schizophrénique, je dirais âgé entre vingt-cinq et trente-cinq ans, qui débute certainement dans le crime. Il est malgré tout organisé, méticuleux, d’une intelligence supérieure à la moyenne. Sans doute célibataire et asocial. Son choix des victimes est intéressant, peut-être lié à un traumatisme… Qui sait si sa mère n’est pas une voyante ? Dans tous les cas, il sera difficile à confondre : il doit être quelconque pour passer inaperçu.
Quelques minutes d’observation seulement, et elle lui débitait une étude sagace ! Martinez en était soufflé.
- Et les yeux ? questionna-t-il. Ça signifierait qu’elles ont vu ce qu’elles ne devaient pas voir ?
- Ou qu’au contraire, elles n’ont rien vu.
Isabel marqua un arrêt. Elle se sentait vibrée et avait bien noté l’intérêt presque passionnel de Martinez pour ses arguments. Ou, plus exactement, pour l’affaire.
- Je te sens très… excité par tout ça.
Il eut un sourire en coin.
- C’est vrai. Je me sens revivre avec cette enquête.
- Mais tu te rends compte de l’horreur de ces meurtres, non ? Au-delà de servir à ta renaissance.
L’homme se tut. L’horreur, oui… Enfin, il n’allait pas confesser qu’elle agissait sur lui comme un aimant.
- C’est le jeu de piste qui m’exalte. J’ai tellement envie de coincer ce malade.
- Et ça joue sur ton insomnie, je parie.
Lâche-moi, la psy, je ne suis pas en séance d’analyse.
- Mon insomnie se porte à merveille. Je dors mes quatre heures quotidiennes, rien n’a changé, crois-moi.
La psychiatre n’insista pas. Elle aurait pourtant juré que quelque chose était différent, mais quoi ?
- Regarde celles-ci maintenant. Elles datent d’aujourd’hui.
Nouvelle enveloppe, nouvelle surprise. Les photos de Beatriz Muñoz eurent sur Isabel plus un effet de dégoût que d’effroi.
- C’est étrange, ça semble commis par quelqu’un d’autre, et pourtant…
- C’est le même homme, on en est complètement sûr. J’ai pensé à un plagiat raté, mais c’est impossible.
- Ah, et que disent les rapports que tu ne m’as pas amenés ?
- Le criminel laisse une carte de visite qui représente « la Mort » d’un jeu de tarot.
- C’est sa signature. Il ne se considère pas seulement comme simple exécuteur, au pouvoir punitif et au service de la Mort. Il nous dit qu’il est la Mort en personne.
- Je vois !
- Autre chose. Il utilise une toxine pour paralyser ses victimes. Il les veut parfaitement conscientes pendant l’exophtalmie, et les oblige à se voir dans un miroir.
Isabel se raidit sur sa chaise.
- Le sadisme ne fait plus de doute… Mais, c’est une barbarie maîtrisée, il peut s’agir d’un scientifique. A quelle fréquence tue-t-il ?
- Tous les deux jours. Ça fait trois meurtres en à peine une semaine.
La femme en resta bouche bée.
- Plusieurs autres sont à craindre, mais il tue trop souvent et c’est, dans une moindre mesure, votre seul atout.
- Et en quoi ?
- Pour le moment, il se croit tout-puissant et hors d’atteinte. Il ignore qu’en marge de ce sentiment d’omnipotence, sa névrose ne fera qu’augmenter, et c’est là qu’il commettra une erreur. Peut-être la trouverez-vous sur ce troisième crime, parce que pour la première fois, il a dû faire face à un problème. Qu’en avez-vous pensé ?
- Que quelque chose a mal tourné. Mais, là aussi, on n’a rien trouvé, pas même l’œil manquant de la victime. Cela me fait penser que l’autopsie a lieu à l’heure où je te parle.
- Et le commissaire Reyes vit ça comment ?
- Il a pris dix ans dans la gueule. Je crois qu’il préfère les crimes crapuleux, ça au moins, il les comprend.
- Ok. Je dirais que deux possibilités se présentent : ou votre tueur de voyantes reprend aussitôt du service pour s’assurer qu’il a toujours le contrôle des choses, ou bien l’échec du dernier meurtre le perturbe trop et il fait relâche. Mais, il ne s’arrêtera pas pour autant.
Isabel s’empara d’une carafe posée sur la table et versa de l’eau fraîche dans son verre. Elle se sentait bien, c’était flagrant, même Diego appréciait ce petit parfum de complicité retrouvée.
- Faisons un toast un peu inconvenant, mais approprié, proposa-t-elle alors.
- Ah, et on trinque à quelle indécence ?
- À ta première affaire de tueur en série.
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