Sarah Marty TEL EST PRIS... Chapitre 5

Chapitre 5

Jeudi

Martinez déambulait dans le large couloir, la démarche chancelante. Il croisait bien plusieurs personnes qui se pressaient en tout sens, mais les voyait au ralenti. Les paupières à demi plissées, il était incapable de passer outre cette impression qu’un bâton de dynamite avait éclaté sa bobine, la souffrance atteignant son pic d’acuité insolente. En mode veille, son cerveau ne lui transmettait que deux messages urgents : 1) qu’il devait montrer un air le plus naturel et dégagé possible, 2) qu’il était en retard d’au moins trente minutes. Et, c’est en rejoignant les équipes scientifique et médicale dans le grand salon qu’il comprit les conséquences de son goût pour les sorties nocturnes.

- MARTINEZ !!!! 

Diego fronça les sourcils, plus en réaction à la douleur que les cent trente décibels venaient de lui infliger qu’à celle d’une crainte bien légitime. Il tourna la tête en direction de la douce voix mélodieuse, dont le nom du propriétaire lui échappait encore, et sursauta à la vue de son chef Carlos Reyes, qui déboulait vers lui comme un sumo affamé sur un petit poulet rôti.

- Qu’est-ce que vous fichiez ?! hurla-t-il avec tant de hargne que l’assemblée terrorisée s’immobilisa quelques secondes, dans l’attente d’une catastrophe naturelle imminente. Hein ? Vous étiez où ?!

Ça faisait mal à la tête et Diego crevait d’envie de lui dire de la mettre en sourdine, sauf que ça risquait de produire l’effet inverse,l’entendre brailler plus fort provoquerait une mort anticipée, qui assurément ne serait pas la sienne.

- Chef… murmura Martinez, trahissant malgré lui sa lassitude. J’ai juste eu un problème…

- Il n’est rien du tout comparé à celui qui vous attend, Lieutenant !

Ce vouvoiement n’était pas tant une marque de respect, mais plutôt la démonstration comminatoire de son statut de chef de meute.

- Et vous sortez d’où avec cette tenue ?

Là, il faisait allusion au superbe ensemble gris chiné qu’il portait déjà la veille et qui, en l’espace de vingt-quatre heures, semblait avoir servi à un break dance sur les trottoirs. Évidemment, Diego Martinez avait dansé. Un pas de deux, endiablé, même qu’il s’intitulait « Toi sur moi dans ma cox ». Pour autant, il n’aurait pas été judicieux de confier que l’état de ses vêtements résultait d’un corps à corps voluptueux avec une parfaite inconnue, d’une rencontre charnelle, d’un frotti-frotta bestial, d’une baise d’enfer, quoi. Sa partenaire se prénommait joliment Daniela… à moins que ce fut une Paola, il ne savait plus, mais c’était bougrement personnel.

- Une demi-heure de plus et vous perdiez l’affaire !

Martinez comprenait que c’était davantage l’expression d’une mise en garde, qu’une réelle volonté de le nuire. Non, celui qui cherchait à le mettre hors du coup se planquait derrière un membre de l’équipe médicale… Et, quand il montra sa gueule de fouine, Diego vit rouge. Il se sentit comme un taureau fou dans une arène, prêt à foncer tête baissée sur tous les obstacles jalonnant son passage - à commencer par Carlos Reyes, et finir sa course dans les côtes de ce salopard de… Javier !

Expression suffisante, démarche fière, Solenza s’avança vers lui avec autant de flegme qu’un mafieux entouré de ses gardes du corps. Mais, une fois face à face, son regard fuyant dénotait un grand embarras.

- Je passais par là, se justifia-t-il en esquissant un sourire forcé.

Diego opta pour un mutisme qui, pourtant, en disait plus long sur l’ampleur de la menace qu’il faisait peser sur Javier.

- J’ai entendu l’appel radio et comme je n’étais pas loin, je suis venu. Je n’ai pas fait la relation au début…

Martinez ne cacha pas sa révulsion face à un Solenza au summum de son hypocrisie.

- Tu avais une demi-heure pour venir, merde !

- Et toi pour partir. Tu n’as rien à faire ici.

Le ton était glacial. Javier se tourna vers le commissaire Reyes qui, d’un simple signe de tête, lui notifia de fuir les lieux promptement.

- Ne me refais plus ce coup, souffla Reyes à l’adresse de Diego. Ou je serais obligé de te dessaisir de l’enquête. Bon, la nouvelle victime s’appelle Beatriz Muñoz, on ne l’a pas bougée de son fauteuil. Va la voir, il s’est passé quelque chose.

Martinez obéit, avant de s’arrêter net.

Il y en avait partout. Du rouge. Sur le sol, la table, les murs, les rideaux… Partout de larges giclées de sang badigeonnaient la pièce et donnaient le ton de ce « quelque chose ». Nom de… Si bien qu’à la vue du corps recouvert d’un drap mortuaire, il retint sa respiration. Bordel, il s’est passé quoi ? Après avoir enfilé des gants en latex, il s’approcha lentement vers ce qui s’apparentait à un fantôme immobile et, avec délicatesse, retira le tissu. Il ne remarqua pas qu’à ses côtés un brigadier se signait.


Cela faisait longtemps qu’un tel choc ne l’avait pris en pleine face.

- C’est bien notre criminel, mais il y a eu un imprévu…

Diego restait cloué dans sa stupéfaction, électrifié par ce que Manuel Cruz qualifiait d’« imprévu ». Non ! Rater un rendez-vous pour cause de pneu crevé ou de varicelle foudroyante, ça, c’était un imprévu, s’endormir dans sa cox après avoir couché avec une nana et ne pas se réveiller à l’heure du boulot, ça, c’était un imprévu ! Mais, il ne s’agissait pas d’un revers fortuit, d’un accident malheureux, non, Diego dénonçait là une absence totale de… professionnalisme.

- Tu en penses quoi ? demanda le légiste.

Martinez préféra se taire. Il ne pouvait décemment pas avouer sa déception à quelqu’un qui ne saurait la partager. Mais, ça, ce spectacle devant lui, était tellement navrant de grossièreté et de désordre qu’il en aurait chialé.

- La mort remonte au moins à douze heures. Je n’ai repéré qu’un seul trou d’aiguille, parce qu’il n’y a pas eu d’injection dans la carotide. Et, cette fois, notre tueur a procédé différemment : sa victime a la nuque brisée.

En effet, la tête inclinée sur la droite laissait entendre que la fin des festivités fut aussi précipitée que brutale. Elle n’a pas eu le temps de souffrir… C’en était affligeant.

- Et j’ai constaté un hématome sur son front, montra Manuel.

De la violence, maintenant ?

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