Sarah Marty TEL EST PRIS... Chapitre 6

Chapitre 6

Complètement déstabilisé par ces faits nouveaux qui l’amenaient à croire à un authentique sabotage, Martinez s’efforçait de reprendre ses esprits, de retrouver un semblant de cohérence dans sa confusion, juste de quoi l’éclairer dans ses sombres pensées. Il ne concevait pas se sentir étranger au sein d’un univers que jusqu’à présent, il affectionnait. Mais, par tous les diables, pourquoi en cet instant la désolation supplantait-elle l’excitation ? « Ça » n’a plus rien de commun, pensa-t-il dans le tourment. Le décor était pourtant planté, il y avait bien un fauteuil et une voyante, d’ailleurs, il se demanda comment l’extraire de son siège, celle-là, car elle devait peser au bas mot un quintal et des grelots. Faut contacter « SOS Grue ». La situation ne se prêtait guère à la franche rigolade, mais, c’était plus fort que lui d’imaginer le fauteuil collé à vie au postérieur de la victime.

Son poids n’était pas l’unique singularité notable, au-delà du fait que son expression faciale indiquait plutôt la surprise qu’une montée en puissance de la terreur, un détail faisait gravement défaut à l’ensemble. Car si l’œil gauche se trouvait énucléé, une énigme subsistait : où était donc le droit ?

- Il n’a pas encore été retrouvé, informa Manuel. Pour une raison indéterminée, le nerf optique a été sectionné…

Et, tout ce sang qui avait dégouliné hors de l’orbite vide, souillant une moitié du visage de la femme ainsi que sa robe beige. Faux mouvement ou accès de fureur ? En quête des différences entre les trois crimes, comme dans les jeux de magazines, Diego avait noté la présence de cette chaise, à droite de la voyante.

- C’était là avant votre arrivée ?

L’absurdité de sa question n’échappa à personne, surtout pas à son chef qui l’observait étrangement du coin de l’œil depuis le début, mais pour lui, il venait de découvrir l’une des erreurs du « jeu ».

- Oui, Lieutenant, répondit un technicien scientifique. On a déjà relevé les empreintes.

Ok, alors pourquoi est-elle là ? Martinez regarda la victime avec intensité. Parle, Beatriz, dis-moi ce qui a mal tourné ! Il patienta, mais rien ne se produisit. Évidemment, il ne ressentait pas son esprit, et bien que sa foi dans le mysticisme était limitée, il ne communiquait avec Dieu qu’au moment de jouer à la machine à sous au Casino, il savait que les morts préféraient le contact onirique.

Torturé par des interrogations qui se télescopaient dans son cerveau, Diego passa derrière Beatriz pour mieux inspecter la chaise qui, cela ne faisait aucun doute, avait joué un rôle dans le meurtre. Pendant le tirage des tarots, le client se met face à la voyante et non à côté… Merde, cette disposition a bien une raison d’être !

- Un miroir était posé sur la table.

Martinez dévisagea le brigadier d’un air béat, comme s’il lui avait parlé en russe.

- Vous dites ?

- Un miroir…

- Apportez-le-moi ! se réveilla-t-il alors.

Le policier s’exécuta, exhibant sous plastique la pièce à conviction. De forme ovale et sur pied, le miroir était plutôt imposant, digne d’une coiffeuse de princesse, avec de la dorure qui soulignait l’aspect baroque du cadre, mais que la présence d’éclaboussures de sang laissait penser à un mauvais conte de fée. Dès lors que le flicaillon lui indiqua son emplacement exact sur la table, le déclic survint de plein fouet.

- Ça y est, j’ai compris !

L’excitation avait rejailli d’un coup, comme autant de feux d’artifice dans le ciel obscur. Diego était à la fête, le sourire aussi large qu’un mannequin pour une pub de dentifrice.

- Compris quoi ? intervint Carlos Reyes, stupéfait par cette joie insensée.

- Regardez, Chef…

Prenant place sur la chaise, il mima le geste réalisé pour l’exophtalmie de Beatriz.

- Le tueur utilise une chaise, c’est pratique pour faire un côté, puis l’autre, et il doit être ambidextre, condition obligatoire s’il veut mener à bien son scénario. C’est la raison pour laquelle, la raison la plus vicieuse à mon avis - le miroir ne lui sert non pas à lui, mais à la victime !

Devant l’incrédulité générale que suscita sa démonstration, son chef reprit la parole.

- Pourquoi à la victime ?

Voilà le moment qu’il attendait…

- Parce qu’elle doit voir ce qu’il fait.

À la tête de Reyes, qui virait au cramoisi, nul doute qu’il voyait en ça le comble du sordide.

- Qu’est-ce qui te rend si sûr ?

… Et, voilà, celui qu’il redoutait.

- Une simple intuition.

L’instinct de survie plus que la sagesse lui dicta de ne pas confesser qu’il en aurait fait autant, ou il se condamnait à ne plus avoir d’amis pour toujours, sauf que c’était déjà le cas.

- Et pourquoi changer sa procédure ? Briser la nuque ?

- C’est purement accidentel, quelque chose a bouleversé ses plans. Peut-être un coup de téléphone ou l’arrivée de quelqu’un. Et, dans sa panique, il a eu ce réflexe d’autodéfense.

- Contre qui ? s’interrogea le commissaire, déconcerté. La victime ? Elle était paralysée, voyons…

- Allez savoir, Chef ? Mais, c’est une éventualité à exploiter.

- Bon, je retourne au Central, décida Reyes avec irritation. Après le Maire, les médias vont bientôt nous tomber dessus : ce troisième meurtre est celui de trop. Que l’on touche à des voyantes, et c’est le scandale national pour des milliers de personnes qui veulent croire à travers elles que leur avenir sera meilleur.

Diego se tut. Il n’éprouvait aucune honte à jubiler de cette traque au psychopathe. Ces meurtres de voyantes faisaient bien son affaire, mettant un terme aux enquêtes bidons de drogue et de prostitution.

- Je vais étudier l’hypothèse que la victime a réagi contre le tueur, l’aborda un Manuel plus discret qu’à l’accoutumée. L’homme se racla la gorge.

- Je voulais te dire…

- Non, c’est moi qui me suis montré grossier, je te dois des excuses. Et, pour ton invitation à dîner chez ta femme, j’y penserai. Promis.

- Pas de problème, lui assure le légiste, visiblement soulagé de leur réconciliation. Notre porte t’est toujours ouverte. Dis donc, il faudrait que tu soignes ton nez. Qu’est-ce qu’il t’est encore arrivé ? 

Curieux, Martinez alla constater dans le fameux miroir baroque l’état de son pif. Le plastique qui enveloppait l’objet ensanglanté voilait son reflet, le rendant flou, mais ne l’empêchait pas de distinguer son propre sang séché dans la narine gauche… Eh ben, il s’en est passé des choses hier. Apparemment, le trou noir chronique qui accompagnait ses cuites quotidiennes avait une vie, comblant ses nuits d’activités secrètes qui échappaient aussi bien à sa mémoire qu’à son contrôle. Il grimaça en touchant son nez. On m’a cogné dessus ou quoi ? Le miroir lui confirma cette possibilité lorsqu’il entrouvrit sa veste grise sur une chemise blanche froissée. Merde, j’ai pas mal saigné…


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