Sarah Marty TEL EST PRIS... Chapitre 4

Chapitre 4

Tandis que la toxine se diffusait lentement dans les veines de Beatriz Muñoz, avec la régularité d’une huile de moteur circulant dans des cylindres, l’auteur de ça rangea son aiguille dans une mallette noire. Il fredonnait un air de son invention. Non pas pour détendre l’atmosphère - il n’avait aucune angoisse - mais juste pour offrir une sorte de requiem à sa victime. C’était la moindre des choses. Néanmoins, il ne lui trouvait pas de circonstances atténuantes, elle devait être punie et le châtiment serait à la hauteur de son incompétence...

Au bout de quelques minutes, le corps de Beatriz finit par se raidir, statufié dans une crispation qu’il connaissait bien maintenant.

Son premier moment jouissif.

Car malgré la reproduction des gestes et du contexte (une voyante dans un fauteuil), la routine ne se faisait pas sentir, loin de là. Acteur d’un scénario de son cru, il était en perpétuel désir de jouer son rôle d’exécuteur, comme un toxicomane en manque.

Il extrait de sa mallette noire un large miroir de forme ovale, muni d’un pied, qu’il posa sur la table face au fauteuil avant de se déplacer derrière la femme, pareil à un coiffeur sur le point d’accomplir sa métamorphose.

La suite des réjouissances.

- Contemplez-vous, Beatriz.

Incrédulité. Voilà ce que son regard fixe lui renvoyait. Elle semblait vouloir le percer dans son propre reflet, lui intimer un message télépathique de secours. En vain.

- Et contemplez mon œuvre.

Il attachait une grande importance à cet instant de partage avec l’autre, de communion spirituelle, c’est qu’il aimait ses victimes, la pitié va souvent de pair avec l’affection.

- Ne bougez surtout pas la tête, sinon vous aurez du mal à voir.

Sa blague fit un flop. Il faut dire que l’horrible rictus qui tordait la bouche de Beatriz ne lui laissait aucune chance de s’esclaffer à gorge déployée - à moins que son rire fut intérieur. La femme n’identifia pas de suite l’objet, trop flou de près, qui s’imposait à ses yeux immobiles, mais elle reconnut son reflet. Petite, sans doute en argent, une cuillère clinquait dans le miroir… Une cuillère ?! Jésus Marie, pouvait-on sérieusement se sentir menacé de mort par ce ridicule ustensile de rien du tout ?

- Passons directement au dessert, chère Beatriz. Vous voulez bien ?

Elle n’avait guère le choix, ni la capacité d’objecter d’un clignement d’œil. Même si, des desserts, elle devait en être vorace et en avaler plus que de nécessaire au péché, l’appétit lui faisait cruellement défaut. Ce n’était d’ailleurs pas ça qui tortillait ses énormes boyaux, non, cette petite cuillère lui filait des relents bizarres.

De ses doigts gantés, délicats, l’auteur de ça écarta tout grand la paupière gauche de sa victime. Installé à ses côtés sur une chaise en bois, il pouvait aisément opérer sur elle sans trop lui gêner la visibilité. Et, c’est ainsi que de son œil droit, Beatriz observait son bourreau dans la glace, tandis que le gauche lui donnait une idée terrifiante de ce qui se pratiquait. Pas de douleur, à vrai dire, juste du noir au début, puis une vision insensée.

- Et voilà le chef-d’œuvre !

Il lui laissa le champ libre, tout heureux de lui présenter la première étape de sa réalisation… Mais, où était le sens artistique ? La touche créatrice se réduisait-elle à une mutilation de son modèle ? Beatriz ne cessait de crier devant le miroir, mais rien ne sortait de sa gorge.

- Qu’en pensez-vous ?

Horreur. Ses yeux étaient en total désaccord sur deux points de vue différents. L’œil droit voyait un énorme trou sanglant à la place du gauche, qui pendait à l’air libre au bout d’un cordon de chair, il semblait même à la limite de se déchirer sous son poids, et l’œil gauche, plus chanceux, avait vue sur sa cuisse. La douleur était sourde, mais présente en elle, son ressenti décuplait à mesure que l’effroi l’envahissait. C’était étrange, Beatriz n’éprouvait aucune sensation extérieure, mais, son corps hébergeait maintenant une souffrance diffuse, une telle angoisse qu’elle sentait son cœur résonner dans ses tympans, son sang circuler à toute vitesse, ses poumons se gonfler d’un air brûlant… Et, au-delà d’un sentiment de terreur, il y avait la colère.

- Passons à l’autre œil, si vous le permettez.

Il se leva, équipé de sa chaise, et contourna Beatriz pour changer de côté. Très satisfait de son travail, il arborait un sourire indécrottable et flamboyant.

La colère. Voilà ce qui en réalité bouillonnait en elle, une colère si forte qu’elle la persuadait de ressentir la douleur physique. Était-ce possible ? Insensible Beatriz, et pourtant…

Le détail lui échappa sur le moment, un spasme des lèvres, mais quand il en prit conscience, ses réflexes ne répondirent pas. Il sut dès lors que les choses ne se dérouleraient plus comme prévu.


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