Fyctia
Chapitre 3 suite
Il s’était retenu de flinguer la mygale velue que le vendeur de « Pattes et langues de velours » l’invitait à caresser à l’aide d’un gant. Serez jamais mes amis, promettait-il, les poils hérissés de cinq bons centimètres.
Après l’inspection discrète de ces trois magasins, et malgré l’accoutumance qui aurait dû s’ensuivre, sa répulsion pour les « N.A.C. » ne faisait que croître, et toujours pas l’ombre d’une grenouille. C’est donc sans illusion aucune qu’il pénétra dans « La bébête qui monte ».
La vendeuse de type afro-cubain l’accueillit d’un sourire charmeur. Plutôt sexy avec son top aux imprimés peau de panthère qui mettait en valeur une poitrine bien pleine, mais Martinez sentait qu’elle l’entraînerait dans une partie de jambes en l’air à trois (lui, elle et un python géant). Pas le temps de draguer, il se concentra sur les vivariums.
- Vous désirez quelque chose de précis, mais ce n’est pas pour votre plaisir.
La femme allait à sa rencontre, en jetant d’un revers de main ses longues tresses en arrière.
- Je sais lorsque quelqu’un n’aime pas ce qu’il voit.
- Mais j’adore ce que j’ai sous les yeux, répliqua-t-il en la fixant du regard.
- Mmmh, ne vous y fiez pas. Je suis moi aussi à prendre avec des gants.
À nouveau, elle sourit, et Diego se dit qu’il l’embrasserait bien, là maintenant.
- Dites-moi plutôt ce que vous cherchez.
D’un coup, l’homme revêtit son uniforme de lieutenant, méfiant.
- Je cherche une « Dendrobate azureus », confia-t-il d’un air aussi détaché que possible et sans écorcher les mots, au bout de la quinzième prononciation, c’était à présent entré dans son vocabulaire.
Le visage de la mulâtresse s’éclaira.
- Eh bien, pour une surprise… Personne ne m’a encore fait cette demande !
- Vous êtes sûre ?
- Et certaine. Croyez-moi, les gens ne connaissent pas ce type d’animal.
- Mais vous, si.
- Sachez que je suis passionnée par les espèces dites "toxiques", j’en connais un grand nombre et ces petites grenouilles en font partie. Mais, aucun animalier ne vous en vendra.
- Et pourquoi pas ?
- Tout simplement parce que ce sont des animaux dangereux.
Martinez pointa un pouce vers les vivariums.
- Vous voulez dire que ces machins-là ne le sont pas ?
- Ces machins-là, reprit-elle ironiquement en croisant les bras, sont pour la plupart non venimeux, et les spécimens recensés comme dangereux ont subi une ablation des glandes à venin, c’est le cas des serpents et des scorpions. Les araignées, quant à elles, n’attaquent que pour se nourrir et ne sont dangereuses que si vous les brutalisez...
Diego voulait bien la croire sur parole, mais il n’allait pas tabasser une tarentule pour s’en assurer.
- Vous ne connaissez donc aucun professionnel qui vendrait une « Dendrobate » ? insista-t-il, en s’efforçant de ne pas éveiller la défiance.
- Sa vente est strictement interdite, autrement, il faudrait obtenir une autorisation spéciale de détention et une attestation de capacité décernées par l’état…
Dernier essai infructueux, retour sur le banc de touche. Confronté à l’absence totale d’indice, Diego masqua difficilement sa déconvenue et suscita de la suspicion chez la vendeuse de « La bébête qui monte ».
- Pourquoi vous intéressez-vous à cette grenouille ?
Le lieutenant ne l’écoutait déjà plus, les yeux braqués ailleurs. Appuyée contre un vivarium, la femme n’avait pas remarqué l’énorme monstre d’araignée géante qui tapait l’incruste, collée à une paroi de verre plus mince (il l’aurait juré) que l’une de ses pattes écartées. Aussi large qu’un frisbee (ça aussi, il l’aurait juré), elle restait immobile, donnant l’impression de tenir la chandelle, mais Diego lui trouvait un air franchement douteux.
La mulâtresse suivit son regard empli d’effroi et se mit à rire.
- C’est Rose, elle est très… exclusive.
- Enchanté et adieu ! abrégea-t-il, sur le point de fuir sans classe. Je suis contre les scènes de ménage. Merci encore pour les infos !
- Je peux vous en trouver.
Diego fit volte-face, comme s’il venait de croiser la Madone. Durant les secondes de suspense volontairement ménagé par la vendeuse amusée, il prémédita une prise d’otage de Rose. Tu vas parler, oui ?! Suspense coupé court avec l’irruption d’un client. L’afro-cubaine avança alors son visage de celui de Martinez et chuchota chaudement :
- Laissez-moi votre téléphone, on ne sait jamais…
Hésitant, l’homme finit par glisser une main dans sa poche intérieure de blouson noir, et lui fit l’offrande d’une carte de visite toute simple, avec seulement prénom et numéro personnel. Une de celles qui servaient à appâter les maîtresses d’une nuit. Fidèle à lui-même, il voyait dans cet échange de procédés un avantage certain, car, on ne sait jamais, à défaut d’obtenir des renseignements tangibles, il pourrait toujours avoir droit à une petite gâterie...
0 commentaire