Fyctia
Chapitre 3
Mercredi
DENDROBATE AZUREUS.
Ses doigts tapaient sur le clavier, tel un pianiste amateur en quête d’une symphonie prodigieuse. Un tremblement perceptible trahissait, plus que l’abus d’alcool ou de café, un manque de sommeil et il tentait d’enrayer sa baisse d’énergie en avalant des burritos au poulet. Quel site vend ce genre de bestioles ? Décidément, Diego trouvait absurde ce goût prononcé pour les « Nouveaux Animaux de Compagnie ». Mais, de quelle compagnie parlait-on ? Jusqu’à preuve du contraire, un iguane ne rapportait pas encore la baballe, et un phasme ne ronronnait pas quand on lui grattait le ventre ! Un bout de bois n’a pas de ventre.
À l’aversion se mêlait un attrait presque sentimental en examinant la grenouille qu’affichait l’écran de son moniteur. Comment cette petite chose pouvait-elle venir à bout d’un être humain ? Savait-elle seulement que c’était lui le Roi du Monde ? Quatre animaleries spécialisées dans le commerce de « N.A.C. » à Mexico apparurent sur l’ordinateur. Je vais prendre une dose de caféine avant de leur rendre une petite visite, décida-t-il en son for intérieur et en lui seul, car cette enquête était définitivement sa propriété. Rien à foutre de ce que pensent les autres ! À savoir ses collègues qu’il voyait, à travers les stores de la fenêtre de son bureau, s’activer dans la salle des opérations. Par petits groupes, ils se distribuaient les recherches sur les potentiels liens entre les deux victimes, à travers leurs carnets de rendez-vous respectifs, se renseignant auprès d’Interpol et du F.B.I. sur toute correspondance avec d’autres affaires. Mais, Diego n’avait pas leur sens du partage, vilaine manie que son chef Carlos Reyes, commissaire de son état, ne manquait pas de lui reprocher sous la forme de ronronnements une semaine plus tôt - Écoute Diego, je sais que vous formiez un grand tandem avec Juan Federico, mais tu dois accepter le fait d’avoir un jour un nouvel équipier ! Ou des aboiements la veille au matin
- Merde, Martinez ! Tu m’emmerdes, ça fait sept mois que Juan Federico est mort... À vouloir faire cavalier seul, tu vas me foutre en l’air cette enquête ! Bien sûr, Carlos Reyes passait outre le fait qu’un crime si bien élaboré en laissait présumer d’autres, que le Maire lui collait la pression et que, Jésus Marie, il n’avait jamais rien vu de tel et que ça lui flanquait la trouille. Dans tous les cas, cette sérénade valut à Diego les sarcasmes de son ennemi juré de toujours dans le service : le lieutenant Javier Solenza. Un con comme il lui plairait d’en buter à volonté. À peine plus jeune que lui, il était certes un élément bien considéré par ses supérieurs, mais hélas, plein d’un avenir qu’il s’évertuait à gâcher en déployant plus de talents, à se faire détester de presque tout le commissariat, parmi les détracteurs existent toujours des admirateurs. Des pourris ! Qui se ressemble… Peu enclin à s’embarrasser de diplomatie, Solenza écumait sa frustration d’avoir hérité d’une banale affaire de "mœurs".
- Alors Diego, pas trop débordé ? ironisait Javier, sourire en coin.
Martinez l’ignora avec superbe, du moins, fit-il semblant, occupé à se commander un café dans la machine à boissons.
- Besoin d’un vrai flic ? ajoutait le con.
Diego porta à ses lèvres son gobelet et but une gorgée, avant de répondre par simple courtoisie :
- Le seul "vrai flic" que je connais est mort il y a sept mois.
Solenza lâcha un ricanement bien cynique, un de ceux qui fichaient l’envie d’ébouillanter la gueule du méchant avec du café.
- En y réfléchissant, je trouve ces meurtres de voyantes bien à ton image de tordu.
- Ouais, on pourrait même supposer qu’ils viennent de moi. Tu sais, quand j’ai besoin d’occuper mon temps le soir.
L’enflure le jaugea avec insistance, mesurant toute la portée de ces propos qu’il voulait prendre pour un aveu. Diego sentait son poing le démanger.
- Javier, on a logé le mac de la blonde.
L’intervention de Raimondo Dominguez, son partenaire d’infortune, proche de la retraite et aussi dodu que trop-plein d’humanité, lui fut salvatrice.
- Je m’en fous de ton mac ! cracha-t-il.
Ce n’était un secret pour personne qu’à ses yeux, l’affaire des voyantes aurait dû être sienne et que, par conséquent, des tapineuses devaient crever un godemiché au fond de la gorge pour gagner son intérêt.
- Allez, je te laisse avec ta petite bande de copines, cingla Javier par dépit, sûr d’avoir soigné sa sortie.
- Autant pour toi, mon chou.
Le regard noir ébène que lui décocha Solenza sous-entendait clairement que sa haine n’avait de frontière ni dans le temps, ni dans l’espace. Une haine infinie aux airs de combines salement préméditées. Tôt ou tard, Javier le rancunier frapperait. Essaye un peu de toucher à mon enquête, connard ! Si seulement Juan Federico… Il stoppa net sa pensée. Plus d’un mois déjà que son spectre ne le hantait plus. Comme après une désintoxication cérébrale, un divorce céleste, Diego ne l’entendait plus d’outre-tombe et ses faits et gestes n’étaient plus commandés par la sempiternelle question « Que ferait Juan Federico ? ». Dans le cas de Javier l’abruti, il lui aurait encore défiguré la tronche de son poing. Diego sourit à ce souvenir qui remontait maintenant à moins d’un an, quinze jours avant sa mort…
Martinez jeta son gobelet vide dans la poubelle près du distributeur, pris d’une subite angoisse. Javier pouvait-il être mêlé au meurtre de son coéquipier, qui ressemblait franchement à un règlement de compte ? C’était impensable, et pourtant, son péché d’orgueil et son penchant pour la loi du talion en faisaient un suspect tout désigné. Un détail cependant, Solenza était un pétochard tout juste bon à jouer les "Dark Vador", le genre à échafauder une vengeance lui évitant de se salir les mains… T’inquiète pas, du gland, je m’occuperai de toi après ma petite affaire des grenouilles !
Quand il poussa la porte de la première animalerie, il faillit se carapater aussi sec. Diego ne vouait franchement pas une ardeur pour les animaux, mais ceux-là, faisaient office de créatures les plus moches de la planète. Impossible d’approcher un des nombreux vivariums grouillant de bêtes non identifiées, abritant arachnides et autres reptiles mutants. Rien de tout cela n’avait sa place dans une boite de verre visiblement cassable au moindre éternuement. Trop risqué, trop mortel ! Mais, n’était-ce pas là l’intérêt de la chose ? Épouser une forme de marginalité, flirter avec un semblant de danger, tout ce que symbolisent en fait ces animaux repoussants pour les trois quarts de la population (normale) terrestre ? Diego comprenait difficilement ce lien charnel avec de telles abominations, et encore moins les noms de boutiques qu’ils évoquaient. « Pattes et langues de velours », « Penchants de pécheurs », « Délices glissants »… De belles conneries, pour un peu, on croirait entrer dans un sex-shop.
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