Sarah Marty TEL EST PRIS... Chapitre 2 suite

Chapitre 2 suite

Son impudente insomnie avait au moins une heure d’avance. Il soupira. Ce rêve lui donnait une drôle d’impression, car hormis le fait que pour la seconde fois consécutive un macchabée venait perturber son précieux sommeil, quelque chose, un détail le dérangeait, sans qu’il parvienne à décrypter quoi.

Rosina.

Elle affichait une mine plus sereine après que Manuel lui eut injecté un sérum vasodilatateur décontractant ses muscles, afin de procéder à son autopsie le matin même. Difficile autrement de pratiquer sur un corps tout rabougri, bon pour le musée de cire ! Au final, rien de très palpitant dans les gestes mécaniques du légiste, les prélèvements de liquides et autres échantillons d’organes en vue d’analyses plus poussées. Si bien qu’à l’issue des deux heures d’examen auquel il avait assisté, Martinez était sorti contrit. Durant la thoracotomie, il avait guetté une apparition miraculeuse, une révélation intime qui lui aurait sauté en pleine figure comme un lapin sortant d’un chapeau. Mais, aucune magie cabalistique, aucune lecture occulte dans les entrailles de Rosina qui, les yeux énucléés, semblait laisser planer le mystère…

- Tu vas la boucler, ta grande gueule ! 

Diego ferma les yeux, une poussée d’adrénaline échauffa son palpitant. Il se sentit l’envie de l’aider, son voisin, à lui boucler la gueule à sa femme, à lui décalquer même d’un coup deBeretta 92, histoire de rendre service au Monde. Disons que parfois, il aurait la gâchette… maladroite. Une excuse ? Certaines facettes du quotidien étaient péniblement supportables. Un exemple ? Son accrochage avec Manuel lors de leur pause déjeuner à la cafétéria du commissariat central. Il savait que ce n’était plus pareil depuis la venue d’un bébé chez l’un et la disparition d’un proche chez l’autre. Diego n’avait pas décliné son invitation à dîner avec son épouse par snobisme, d’ailleurs, Francès était particulièrement charmante, non, son refus était surtout motivé par un net manque d’intérêt pour les choses ordinaires. Seule cette affaire hors norme le faisait vibrer, il la voyait presque comme… providentielle.

- On n’est plus assez bien pour toi, ou quoi ? lui avait balancé le légiste.

La réponse de Martinez ne fusa pas aussitôt. C’est qu’il y avait du vrai là-dedans.

- Ne dis pas de conneries, finit-il par mentir. Je ne suis pas de bonne compagnie, c’est tout.

- Eh bien, ça fait des mois que ta mauvaise compagnie m’évite.

- Tu me fais une crise de possessivité, dis donc !

- Et toi, tu nous fais ta crise de la quarantaine ?

Ce n’était pas complètement faux non plus.

- Excuse-moi, s’adoucit Manuel, ce n'est pas le toubib qui parle, mais l’ami…

Allons donc, c’est mignon tout plein, ça !

- En vérité, j’ai l’impression que tu ne fais pas le deuil de la mort de Juan Federico.

Diego inspira une grosse bouffée d’air, pour ravaler sa bouffée de stress. La perte de son coéquipier, sept mois en arrière, lui faisait encore l’effet d’une amputation et c’est à peine s’il sortait du tourment de sa mort impunie, mais il ne voulait pas en débattre. Pas ici, pas avec lui.

- Et je te trouve surmené.

T’as oublié d’ajouter « blasé » et « aigri », mon pote !

- Je sais que cette extraordinaire affaire est celle que tu attendais, elle tombe à pic pour ta carrière, mais… tu commences à trop t’impliquer émotionnellement.

- Qu’est-ce que tu racontes ? Tu me psychanalyses maintenant ?!, s’emporta brutalement Diego.

- Tu vois ?!, démontra le légiste. Un rien te fâche, on ne peut plus te parler !

- T’as raison, surtout quand on me juge à tort !

- Ce n’est pas un jugement, mais une constatation.

Il marqua une pause respiratoire, le temps pour eux de réfléchir à de plates excuses ou de promptes insultes.

- Avec cette enquête, tu es en train de t’éloigner de la réalité et…

- Tu sais quoi, l’interrompit Diego qui renonçait à lui valdinguer son pozole à la figure. Parle à tes morts et fous-moi la paix ! 

Presque avec fracas, il avait fichu le camp, sous les regards médusés de certains flics qui les croyaient sans doute en pleine dispute d’amoureux. Attitude un rien impulsive qu’il mettait sur le compte de ses quarante ans, de son divorce ou de Juan Federico, selon l’humeur. Mais, pour lui, bilan fait au terme d’une année riche en drames, Maria-Catarina et Rosina justifiaient à nouveau sa présence sur Terre.

Il faut que j’appelle Manuel pour m’excuser. Plus par principe que par amitié, il ne voulait pourtant pas perdre ce rare lien avec la vraie vie. Celle qu’il rejetait depuis quelques années, qu’il ne respectait plus en lui priant de braquer son flingue sur sa tempe. Mais, en optant pour une cible plus facile, elle lui faisait plus que jamais vomir. Juan Federico…

Ce n’était pas un cliché que les meilleurs partaient toujours les premiers. Diego regarda à nouveau son réveil. 02 heures 57. Il se leva parce que le contact avec son tee-shirt collant finissait par le dégoûter. Une fois debout, il maugréa. Sa tête lui semblait avoir triplé de volume : le résultat d’un décrassage du gosier à grosses lampées de Margarita dans un bar du coin, le geste indispensable de ces derniers mois, (il y avait toujours quelque chose à fêter : l’anniversaire d’un mort, la mort d’un con, etc. ; ou quelque chose à pleurer : son propre anniversaire, être un con vivant, etc.). Quitte à user d’une drogue, il la préférait légale, quoi de mieux que d’oublier ses déboires au fond d’un verre ? Oublier, soit, mais pas être sujet à d’énormes trous noirs…

Il se traîna jusqu’à sa salle de bain, retira son maillot qu’il jeta négligemment au sol carrelé et froid, et se pencha sur son lavabo pour s’arroser le visage abondamment. Au bout de plusieurs secondes, il se redressa, faisant face à son reflet dans le miroir mural : ses cheveux humidifiés révélaient des chatoiements poivre et sel déjà présents depuis trois ans, mais que sa conscience avait occulté jusqu’alors. Super, à quarante berges, la vision des choses est décuplée. Il mirait plus intensément rides et aspérités naissantes quand, sans crier gare, des images flashèrent dans son esprit. Clignant des yeux par réflexe, il se concentra sur ce qu’il reconnut être la fin de son rêve. Maria-Catarina, Rosina… Pas de doute, les doigts qu’elles pointaient étaient accusateurs, à un détail près qu’ils n’étaient pas du tout dirigés derrière lui, mais… Sur "lui".


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