Sarah Marty TEL EST PRIS... Chapitre 2

Chapitre 2


Mardi


Alors que son pied s’impatientait sur l’accélérateur de sa vieille cox noire, Diego cherchait à se frayer un chemin dans les avenues largement embouteillées par les taxis verts. La nuit avait été aussi courte qu’agitée, ponctuée de rêves qui, par flashes, se répétaient en boucle. Les images sautaient comme dans un vieux film muet. Les yeux pendouillant sur ses joues, Maria Catarina parlait, ou plus exactement LUI parlait, il en était certain maintenant, même s’il pouvait difficilement le lire dans son regard. Et, ce n’est pas tant les mots inaudibles qu’elle articulait exagérément en tordant sa bouche qui le perturbait, non, la suite était plus troublante encore : pourquoi diable levait-elle le bras pour pointer un doigt dans sa direction ?

Ce n’est qu’un foutu rêve. Un parmi tant d’autres auxquels il ne voulait plus prêter attention…

L’alarme de son gyrophare n’était pas vraiment persuasive sur certains nobles citoyens, qui s’abstenaient sans doute de le saluer d’un doigt d’honneur avant de lui céder une brèche entre les files. Chaleur et pollution faisaient déjà leur petit effet sur l’humeur. Dégagez tous, ou je vous rentre dans le cul ! Non pas que le travail lui manquait à ce point, mais le coup de fil qui l’avait réveillé en sursaut, bave en coin à 08 heures 05, l’émoustillait comme un puceau devant un film porno. La nouvelle qu’il venait d’apprendre donnait à son affaire une tournure totalement inattendue, bien davantage qu’il ne l’aurait fantasmé. Son esprit en était encore tout bouleversé, bercé dans le monde à la fois brumeux et complètement clair du réveil brutal.

Coupant par des rues moins bondées, Diego mit six minutes pour atteindre « San Angel », le quartier bourgeois de Mexico. Il repéra rapidement la maisonnette qu’on lui avait indiquée, grâce aux véhicules de police stationnés devant. Après s’être garé en épi, l’homme sortit de sa « coccinelle » avec empressement et repassa d’un coup de main ses vêtements de la veille froissés. Heureusement qu’il s’était endormi avec, parce qu’autrement, il se serait pointé en caleçon. Les lieux étaient déjà balisés. Diego traversa l’allée caillouteuse du jardin et se prépara à exhiber sa plaque, c’est qu’avec son allure de clochard sur le retour, le policier en faction à la porte d’entrée l’aurait sûrement fait souffler dans un alcootest.

Laisse-moi passer, je viens pour le second meurtre.


- Même mode opératoire, se contenta de résumer Manuel après les examens préliminaires. On retrouve les traces de piqûres au bras et à la carotide. Et, puis les yeux…

Impossible en effet de nier les similitudes avec Maria Catarina, encore que ce deuxième crime, commis dans la nuit, était nettement plus « frais ». Et, c’est ce qui l’avait rendu fébrile au moment de pénétrer dans cet autre salon, de s’approcher de cet autre fauteuil, son cœur explosait déjà dans sa poitrine, mais la vision de la nouvelle victime fut comme un électrochoc. Surtout que son étrange excitation grandissait en lui…

Cherchant à s’imprégner des lieux, Diego jeta un coup d’œil circulaire sur la pièce : seul le cadre différait, plus spacieux, lumineux et chic. On troquait un fauteuil en coton usé pour un autre en cuir, une voyante bas de gamme pour une autre de luxe. Mais, leur destin était sans conteste identique. Aucune ne l’avait prédit, visiblement, et Rosina Serrano n’allait pas le contredire. Elle avait d’ailleurs la même expression d’intense douleur qui déformait son visage lifté de quarante-sept ans - sa peau était trop lisse par rapport à celle du cou.

Sous l’emprise d’une fascination morbide, Diego ne parvenait pas à détacher son regard du cadavre, au point qu’il ne percevait même pas les pleurs bruyants de la femme qui l’avait découvert. Une cliente, selon le policier qui vint l’importuner sans le savoir.

- La porte était entrouverte. Aussitôt après la découverte du corps, elle s’est sauvée et jure n’avoir rien touché à l’intérieur.

Diego opina du chef. Bien sûr que la femme avait fui, c’était ça ou tomber en syncope. Voilà comment procédait le meurtrier : il laissait entrebâiller la porte et invitait de cette façon quiconque à la trouvaille la plus marquante de son existence, celle aussi qui le ferait se perdre dans le gouffre sans fin de la folie. Mais, derrière lui, aucun autre souvenir, aucune empreinte de pas empressés, de doigts maladroits ou de goutte de sueur. Rien. Pas la moindre manifestation de stress, la mise en scène était sans tache.

Au milieu des techniciens de l’équipe scientifique s’évertuant à dénicher une preuve, autre que la fameuse carte « la Mort » accrochée à la porte, Diego Martinez restait planté. Ainsi quand on l’avertit de la présence de journalistes que l’odeur du sang avait attiré, tels des hyènes autour d’une charogne, il ne réagit pas. Quoi leur dire ? Il dévisagea Manuel qui faisait signe à ses assistants d’empaqueter le corps pour le porter au fourgon mortuaire, et en un regard échangé, ils partagèrent le même pressentiment : ça n’était qu’un début.

Diego se réveilla d’un coup. Haletant, il fixait des yeux écarquillés le plafond de sa chambre, éclairée par les néons de l’hôtel de passes voisin. Sa fenêtre avait beau être ouverte, la sueur lui collait le tee-shirt sur la peau. Il faisait encore anormalement chaud pour une nuit de juin à Mexico, la mousson se montrait timide, mais ce n’était pas le plus inhabituel… Non, rêver de victimes l’était.

Rosina.

Cette fois, le film en noir et blanc se déroulait chez elle. Les rideaux de son salon, plongé dans une étrange pénombre, flottaient avec légèreté sous le souffle de l’air qui passait par l’ouverture des baies vitrées. À changement de décor, changement de scénario. Assise dans son fauteuil mortuaire, les yeux sur les joues, Rosina se mettait à débiter des choses auxquelles Diego restait sourd lorsque, entre deux séquences hachées, la silhouette de Maria Catarina morte se dessina debout, à travers les rideaux transparents. Elle parlait à son tour, ses lèvres semblant prononcer les mêmes mots. Et, c’est là que, dans un mouvement synchrone, les deux femmes levèrent le bras et le pointèrent vers…

Diego n’eut pas le temps de regarder ce qu’elles désignaient derrière lui, réveillé par un bruit extérieur. Un bruit… Disons plutôt des cris, une engueulade, une de ces nombreuses rixes conjugales qui explosaient, allez savoir pourquoi, en plein milieu de la nuit. La routine dans son immeuble. Il tourna la tête vers son réveil digital. 02 heures 14...

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