Fyctia
Chapitre 1 suite
Tout en grignotant des tapas préalablement saucées dans un mélange pimenté, il contemplait le corps pulpeux d’une jeune femme onduler fiévreusement devant lui au son de la salsa qui envahissait la piste de danse. Le mélange de la fumée de cigarettes et des vapeurs de tequila avaient tendance à l’apaiser, tandis que les lumières multicolores balancées par les spots au rythme des musiques africaines, finissaient toujours de le mettre dans un état de transe. Diego se sentait chez lui au « Salon Tropicana ». Tout du moins habituellement - lorsqu’il ramenait de la compagnie chez lui, et ses airs d’Antonio Banderas le lui permettait souvent. Mais, ce soir, rien n’excitait son regard. L’image de Maria Catarina se superposait à celle de la brune échauffée, ses sens devenant hermétiques à l’action présente. Les paroles de Manuel Cruz défilaient dans son esprit, comme celles d’une chanson en karaoké. Tard dans la soirée, le médecin légiste s’était exceptionnellement déplacé au poste de police pour lui remettre son compte rendu d’autopsie en main propre.
- Manuel ! avait gueulé le lieutenant dans son bureau, en claquant le combiné de son téléphone. Je t’ai laissé quatre messages, pourquoi tu ne m’as pas appelé ?! J’attendais ton rapport plus tôt !
Il se voyait l’attraper par le col et postillonner à sa tronche plusieurs lieux communs.
- Je sais, calme-toi, lui conseilla le médecin, moins intimidé par ses coups de sang que soucieux de leurs fréquences. Laisse-moi m’asseoir et je te dis tout… Bon, on peut dire toi et moi que ça, ce crime, est tout bonnement incroyable !
Le lieutenant acquiesça. Et bien que dérangeant, ça accordait les deux hommes sur son aspect captivant (d’un point de vue technique, par exemple).
- Primo, il n’y a aucune empreinte, ni élément suspect sur le corps, pas de signe de lutte malgré la complexité du meurtre, et secundo, il a fallu faire une analyse toxicologique : la fameuse trace de piqûre sur le bras est complètement liée au décès.
- Me parle pas d’overdose ! supplia Diego, dont les principales affaires concernaient la drogue.
- Mieux que ça : un empoisonnement.
Une seconde de silence. Martinez se remémorait la posture de Maria Catarina dans son fauteuil.
- Cela a dû être particulièrement foudroyant.
- Oui et non. Mais, attends que je te montre l’arme du crime, c’est effarant !
Le lieutenant plissa son front, incrédule.
- Ah ouais, et en quoi ?
Manuel Cruz retira quelque chose de la chemise estampillée « M.C. DELGADO » qu’il avait en main, et le tendit à Diego avec toute la fierté du morveux qui vient de pêcher une perche de cinq livres.
- Regarde cette photo.
- Quelle horreur ! laissa échapper Martinez qui bazarda le document, avant de s’essuyer instinctivement la main sur son pantalon bleu marine d’un air dégoûté.
- Ce n’est qu’une image ! railla le légiste. Je te présente la « Dendrobate azureus ».
- Parle normalement et dis crapaud !
- Erreur, c’est une toute petite grenouille d’à peine six centimètres…
- C’est quand même dégueulasse ! Et, tu veux me faire croire que cette Dendrotruc a tué Maria Catarina ?
En effet, il se figurait mal arrêter une grenouille et lui lire ses droits.
- Je ne vois pas bien le lien avec la piqûre.
- J’y arrive mon vieux. Il faut savoir que la peau de cette charmante grenouille sécrète une toxine cent fois plus puissante que le venin d’un cobra. Le crime qui nous intéresse a été perpétré en deux phases. D’abord, l’assassin injecte par surprise quelques millimètres cubes de cette substance, pour créer une paralysie complète des muscles de la victime et la plonger dans une sorte de léthargie. Dieu seul sait ce qui a eu lieu avant l’exophtalmie, mais je suis sûr d’une chose : elle s’est faite ante mortem.
- Attends un peu ! s’estomaqua le lieutenant à l’écoute de ce récit passionné qui frôlait la fiction. Tu veux dire qu’elle était encore vivante ?
- Et consciente. Le meurtrier a dû utiliser une petite cuillère, ça évite les coupures d’où l’absence d’hémorragie.
Diego eut un long frisson dans le dos.
- Tu crois qu’elle a… tout vu ?
- Elle a vu ce qu’elle pouvait voir. Et, pour finir, elle reçoit une plus grosse quantité de toxine dans la carotide, j’y ai aussi trouvé une trace de piqûre ! Ce qui a eu pour effet de mettre en panne son système nerveux et d’arrêter les battements cardiaques.
En l’occurrence, mort foudroyante après une lente agonie.
- Mais pourquoi n’a-t-elle pas crié ?
- Ce poison paralysant agit en quelques secondes. Elle n’a eu le temps de rien du tout.
- Et où je trouve cette saloperie de grenouille ?
- Les Indiens d’Amazonie s’en servent pour la chasse, tuyauta Manuel en quittant son siège.
- Ne te fiche pas de moi, je ne vais pas faire le voyage ! … Tu penserais vraiment à un autochtone ?
- Pas plus que ça, je pensais juste que l’on peut aussi trouver des pythons d’Afrique en Norvège. C’est fou ce que l’on déniche grâce à Internet.
Et, Manuel était parti sur un clin d’œil entendu.
Il a raison, je vais chercher de ce côté-là.
Maria Catarina. Vengeance ou coup de folie ? Diego pouvait affirmer en son propre nom qu’au moins une fois par jour, il tuerait bien pour ces deux mobiles, et ce n’étaient guère les occasions qui manquaient (l’incivisme, l’injustice, l’intolérance, bref la connerie en tout genre). Quoique tuer un individu pour ces raisons n’avait, après réflexion, rien d’un acte civique et juste. Mais, ça peut faire tellement de bien ! C’était surtout "tellement" humain (chaque jour le prouvait) que Diego paraissait convaincu du côté thérapeutique de tuer. Il chassa cette pensée aussi vite qu’elle lui plut et termina son verre, prêt à rentrer chez lui où personne ne l’attendait. Et, c’était tant mieux. En se redressant, il tituba. Il ne sut pas s’il fallait mettre en cause l’alcool ou bien le contrecoup de son face-à-face avec ça, toujours est-il que pour la première fois depuis longtemps, il eut cette sensation désagréable.
Merde, j’ai envie de vomir.
1 commentaire
Agathe Pearl
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Il y a 2 ans