Fyctia

À 22h00, chez Émilie.

Je pose les clefs sur la commode à l'entrée après avoir fermé la porte, puis enlève mon stretch beige pour le pendre sur le porte-manteau mural disposé en face de la commode. J'avance dans le petit couloir et tourne à ma droite pour entrer dans le salon. Je m'approche du canapé et me laisse tomber lourdement sur celui-ci. Quel est mon foutu problème? Je devrais me donner à fond pour la seule chose que j'ai, pour ma pâtisserie, mais non, moi, je baisse les bras à la simple mention de banalité. Je comprends mieux pourquoi mes parents ne sont pas vraiment fiers de moi ou qu'ils ne le montrent pas. Le téléphone fixe sonne, je me lève et le prends avant de décrocher.

— Oui? Allô?

— Émilie! Alors, comment s'est passé ton rendez-vous? Je suis sûre qu'ils ont trouvé ton projet FAN-TAS-TIQUE! Je l'adore! Surtout les plans que j'ai dessiné! Je savais bien que ma licence d'architecture finirait par me servir à quelque chose! Oh! Je ne t'ai pas dit, mais Sara a prévu de passer la soirée de demain avec son ex pour parler de choses qui ne nous regardent pas! Du coup, on pourrait peut-être se faire une soirée entre copines pour fêter ton nouveau contrat? Tu as bien lu toutes les petits lignes et les différentes clauses? Ta mère aurait tout de même pu t'aider, non? À quoi sert d'avoir une avocate dans sa famille, si elle ne vient même pas faire ce genre de choses? Oh, et je t'ai pas dit! J'ai rencontré un mec hyper sexy au supermarché, tu aurais dû être là, je suis sûre que tu l'aurais trouvé à ton goût! N'oublie pas que la Saint-Valentin arrive à grand pas Chérie! Oh, attends, il y a aussi le g-...

— Jess.

— Ouh, pardon...

— Ce n'est rien. Mais tu t'es un peu emportée. Mon rendez-vous a été une catastrophe. Le patron m'a liquidée. Il a insulté ma boutique de tous les noms possibles. En d'autres termes, je peux rêver pour obtenir un financement quelconque provenant de leur boîte. Or, c'est la seule qui entreprend des financements pour des projets comme le mien. Je ne sais pas quoi faire, Jess.

Je sanglote entre chaque phrase. Je dois faire peine à voir.

— Ma chérie... Je te jure que si je retrouve ce gros connard, il risque de passer un sale quart d'heure. On peut refuser un projet, mais on peut aussi le faire en finesse et avec respect. Je vais lui botter son petit cul de richou!

— Ce n'est pas nécessaire, je vais simplement garder ma boutique telle qu'elle est et je vais essayer d'économiser pour l'agrandir dans une dizaine d'années. Je suis vraiment désolée, je n'ai même pas pu leur montrer tes plans, tu as perdu du temps à m'aider. Tu as passé tellement d'heures à les dessiner et à tout calculer...

— Hey, Chérie... Ne t'excuse pas pour une faute que tu n'as pas commise. Je veux que tu gardes le sourire, nous allons trouver une solution. En attendant, garde la tête haute, garde le sourire, tu dois te battre pour tes rêves. Je sais que tu as toujours eu beaucoup de difficultés à croire en toi, mais là, je veux que tu essaies de toutes tes forces. Il est hors de question que tu te laisses faire. Si j'ai passé autant de temps à m'appliquer sur ton projet Em, c'est pour toi, pas pour eux, je n'ai pas perdu mon temps. Tu sais quoi, je ne te demande même pas ton avis, demain, je viens te chercher à la boutique! Nous irons ensuite dans une boîte de nuit, on aura qu'à s'empiffrer de quelques gourmandises qui te resteront dans les frigos avant d'y aller, et puis je t'aiderai à tout ranger et à te préparer le temps qu'elle ouvre! Je n'ai d'ailleurs jamais compris pourquoi elle n'ouvrait pas dès 17 heures, c'est vrai quoi, on picole bien au goûter...

Je souris et ris.

— Merci Jess, tu es vraiment la meilleure des meilleures.

— Je sais, je sais, tu n'auras pas assez d'une vie entière pour me remercier. Mais j'en ai que faire! Je t'aime et tu es ma meilleure amie, je ne te laisserai jamais tomber! Tant que j'y pense... dis-moi que tu as des tenues sexys dans ton placard à pull chaud.

— Euh oui, peut-être, j'ai la robe noire, là, celle en laine.

— Ok, ok. J'ai compris, je ramènerai ma commode entière dans une valise. Tu es vraiment un cas désespéré. Je vais m'occuper de toi, tu vas voir, tu vas être une véritable BOM-BE! Je sens que tu vas pécho de la sardine demain soir!

— De la sardine? Vraiment?

— C'est toujours mieux qu'un thon!

— Je pense que je vais plutôt rester sur le bar...

Je l'entends s'esclaffer derrière son écran. Ma blague était vraiment si drôle?

— Si tu parles de celui qui appartient au barman, je pense qu'il se fera une joie de venir te cirer après le service.

— Jess!

Elle rit. Je ris aussi.

— Oh ça va, on peut bien parler de choses intéressantes! Il faut bien lustrer le palier!

— Jess!

— J'arrête! Promis! Bon, allez, bonne nuit. Prends soin de toi. Ne te tracasse pas pour tout ça.

— Bonne nuit Jessica.

Je raccroche et repose mon fixe sur sa base. Je contourne la table basse et me rends dans la cuisine pour me préparer quelque chose de potable. Je sors une pâte feuilletée de mon réfrigérateur, de la sauce tomate, du jambon et du fromage. Une tarte me paraît être la meilleure solution, je ne peux pas me résoudre à faire plus compliqué. Je prépare tout et la mets au four. Je retourne ensuite dans le salon pour me regarder un film, je m'assois à nouveau sur le canapé et zappe les chaînes. Il n'y a pas grand chose ce soir.

Une heure plus tard, j'ai fini de manger, je me suis lavée et j'ai rejoint mon lit. La couette me semble être le meilleur réconfort que je puisse espérer après Jessica. C'est comme un petit cocon tout doux qui m'enveloppe de sa chaleur pour éviter que je pleure. Je sens que je vais bien dormir. Enfin, j'espère. Avec l'intervention de Jessica, je me sens plus forte, je vais essayer de reprendre un rendez-vous à Finance Company. Je vais leur montrer que je suis assez déterminée pour aller au bout d'un projet. Jessica m'a toujours poussée à aller de l'avant et je pense que je peux lui faire confiance. Je dois arrêter de m'écraser. Je ne dois plus me plaindre et ruminer dans mon coin sans essayer de trouver des solutions. Jessica a sûrement raison, je ne peux pas passer la prochaine Saint-Valentin sans petit-ami, pas encore. Ce rituel annuel doit changer, manger un pot de glace à la vanille devant Le Journal de Bridget Jones ne doit plus plus faire partie de ma vie. Il sera peut-être plus difficile pour moi de trouver chaussure à mon pied à cause de mon âge, mais ce n'est pas peine perdue. J'ai moi aussi le droit à une vie amoureuse, à faire des sorties au cinéma, au restaurant en tête à tête et à me promener dans un parc fleuri, ma main dans celle d'un homme qui m'aime. Ce sont pour l'instant des rêves, mais je dois en faire la réalité.