Fyctia
Chapitre 12 — partie 4/5
— ‘Tain, fallait que je tombe sur un autre AS comme bagagiste, grince-t-elle entre ses dents.
L’homme, le genre adipeux, immense et mal rasé, la scrute de pied en cap. Elle ne lève pas les yeux pour suivre les siens qui restent trop longtemps sur sa poitrine. Est-ce dû aux LED criardes ? Ou bien aux mirettes bleues du garde ?
— Contrôle d’identité, madame.
Il quitte son comptoir et tourne autour d’elle. Il semble lancer son affichage lenticulaire lorsque les fesses d’Élodie se trouvent à portée — comme par hasard. Son sourire carnassier s’efface vite, son visage se déforme et sa bouche aboie :
— Expliquez-moi ce changement !
— Je suis née Chris Wang, il y a trente-deux ans. Quand j’ai eu dix-huit ans, j’ai entrepris une série d’opérations et suis devenue Élodie Wang. Cela pose-t-il un problème ?
— Mouais…
Elle entend parfaitement le « Tss » qui suit, alors qu’il retourne derrière son bureau.
— Et vous êtes là pourquoi ?
— Je viens chercher un bagage. Me suis-je trompée d'endroit ?
Le nez d’Élodie est toujours planté vers le carrelage sale, gris et mal posé.
— Les lettres ? CW ou EW ?
— EW, souffle-t-elle.
— Oh, z’avez vraiment tout coupé ?
Elle ne répond pas et patiente en grattant le vernis de ses ongles. Enfin, ce qu’il en reste.
— Les chiffres ?
— Cent trente-six…
— Vous vous payez ma tête ? On n’a pas autant de cases ici !
— C’est que… je… euh…
— Mais si, c’est, tu sais… le colis spécial, s’écrie une voix masculine derrière des étagères.
— Ah ? Mais fallait le dire de suite ! s’extasie celui qu’elle a face à elle.
Ses cuisses corpulentes cognent contre chaque sac, chaque armoire métallique et même son confrère qui beugle : « Mais lève ton gros cul de là ! ». Élodie remarque que ses doigts tremblent, elle ferme alors les poings et les place dans les poches de sa veste. L’homme rit à la blague sur « la pute et le poney » de son collègue. Il soulève quelque chose, le secoue et revient tout sourire avec un bagage noir.
— Oh, merde… c’est ma valise, murmure-t-elle.
— En même temps c’est vous qui venez la chercher. Par contre, vous avez un retard de quinze minutes, il vous faudra régler deux heures supplémentaires.
Elle envoie le virement, agrippe la poignée et s’enfuit à pas de loup. Elle passe sans encombre les cinq premiers postes de contrôle — c’est-à-dire justifier de son prénom, son apparence, son identité, la routine. Mais le dernier lui lance un signe du chef et vise du menton la valise, avant d’offrir un large sourire.
— Eh bien, comme ça on va à la gare pour ne pas prendre le train ?
Elle hausse les épaules.
— Vous êtes muette maintenant ? Vous étiez plus bavarde tout à l’heure.
— Désolée…
— Vous êtes désolée ? Est-ce un aveu ? Vous transportez de la drogue ?
Elle secoue la tête. Son cou se contracte — son diaphragme aussi. Elle tousse.
— Ouvrez-moi ça tout de suite !
Elle soulève la valise et marche vers le comptoir près de l’agent.
— Ici ! hurle-t-il.
Son pied pousse les roues tandis que sa main enserre la poignée. La valise bascule. Ses doigts ne tremblent plus. Ils vibrent alors qu’elle tente de faire glisser la fermeture éclair qui semble bloquée. Elle s’assoit sur le bagage et tire de toute sa force.
À l’intérieur : exclusivement des vêtements sales.
— Mon débardeur… rouge ? s’inquiète-t-elle en caressant un top écarlate. Il était chez moi, hier…
— Qu’est-ce que vous dites ? Et laissez-moi observer le contenu !
Elle abandonne le textile aux mains expertes de l’agent de sécurité — qui prend grand soin de vérifier chaque soutien-gorge.
Après avoir vidé ledit contenu à la vue de tous les passants, dont certains l’écrasent sans vergogne, il crie :
— Enfermez-moi tout ça et arrêtez de me faire perdre mon temps !
Elle se met à quatre pattes et s’exécute sans protester. De vieux tee-shirts, un pantalon troué, une jupe trop courte, une trop longue, des culottes, strings et autres tangas, et surtout son sweat « Paris Cité Université ». Celui qui possède une toute petite tache qui ne part plus sur la manche. Celui qu’elle portait il y a quelques dizaines d’heures.
Dans la rue, loin de l’administration étouffante, elle sent sa montre vibrer. « Nouveau message de Nourredine : »
Elle frissonne tandis que ses yeux tentent de sélectionner « répondre », en vain.
— Merde ! jure-t-elle en se faisant fixer par un vieil homme qui traverse la chaussée.
La personne âgée s’écarte à vive allure et pénètre un bâtiment non cartographié.
— Qu’est-ce qu’il a ce con ? maugrée-t-elle en tirant plus vite sa valise.
Une grosse demi-heure plus tard, elle dépasse l’enseigne d’un Chaidee Market. Ses pieds pivotent et suivent les roues à l’intérieur.
— Excusez-moi, la prie une dame asiatique d’un certain âge. M’autorisez-vous à garder votre bagage ?
— Euh… oui, ricoche Élodie en levant les bras.
Elle flâne un peu dans les rayons étroits, encombrés et sombres. La seule lumière du magasin de cent cinquante mètres carrés : un plafonnier à LED identique à celui d’Élodie. L’a-t-elle acheté ici ? Dans le panier en osier, sont jetés : galettes de riz, un pain de dentifrice à la menthe et du café en grain. Produits qui rapidement sont propulsés sur le tapis automatique et agonisant de la caisse.
— Avez-vous une carte de fidélité ?
— Au nom d’Élodie Wang.
Visiblement surprise, la dame s’incline respectueusement.
3 commentaires
Mary Lev
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Il y a 2 jours