Fyctia
Chapitre 12 — partie 1/5
Les LED blanches de la salle de bain se reflètent sur la membrane gélatineuse. Un halo bleuté s’en échappe, ainsi qu’une odeur de vieux caoutchouc. Sa base circulaire a l’air aspirer la matière. Sucer, pour être exact. En tout cas, l’adhérence à la paroi polie semble infaillible.
Les mains d’Élodie viennent de poser la deuxième ventouse — toujours en vente chez Chaidee Market, paraît-il — à la surface du miroir de l’armoire à pharmacie. Un torchon à vaisselle cache maintenant son reflet. Son visage s’avère pourtant dans un meilleur état que ce qu’elle doit s’imaginer. Des cernes, c’est indéniable. Des traits tirés, aussi. L’absence de sourire et ses lèvres blanchies par la confrontation avec Chris : logique. Mais ses yeux brillent de cette rage de faire fermer son caquet à cet espion manipulateur qui joue avec elle. Yeux qui remarquent le goutte-à-goutte du lavabo tomber sur le pain de dentifrice à la menthe.
— Putain, ça en a bouffé la moitié, râle-t-elle en le rangeant dans l’armoire.
Un tube de rouge à lèvres repose à côté d’un verre doseur de cuisine. Le bâton carmin demeure intact sous son capuchon sans fissure. L’ustensile, lui, est fêlé depuis des lustres. Un fond de teint minéral occupe la dernière place sur l’étagère du haut. Une soquette blanche traîne sur la seconde planchette, délicatement roulée et sans couture visible. Aucun parfum ne s’en dégage — elle ne l’a pas reniflée, sait-on jamais, elle pourrait être sale. Le flacon d’alprazolam se trouve non loin. Les doigts d’Élodie s’en emparent et goûtent la fraîcheur du verre fumé.
Ses ongles soulèvent le capuchon — ou ce qu’il en reste. Une vingtaine de comprimés tassés les uns contre les autres forment un relief désordonné. Trois losanges roses. Et leurs voisins ? Ronds et blancs. Elle secoue d’abord le pot pour faire remonter les colorés à la surface. L’index plonge ensuite dans le goulot assombri, gratte, percute, triture l’enveloppe des cachets, sans parvenir à en extirper un seul. Le résultat de cet échec ? Prévisible. Le contenu a été éparpillé à côté du lavabo. Elle s’empare des blancs et les garde un instant dans le creux de la main. Ses yeux fixent leur pellicule miroitante, puis elle les renferme dans le flacon. Flacon qu’elle range immédiatement dans l’armoire — à sa place habituelle. Puis, une gorgée d’eau, et les autres sont avalés.
Ses pieds la traînent enfin dans sa chambre. Elle ne prend pas la peine d’éteindre la lumière — sa montre s’en chargera bien toute seule — et se love dans sa couette. En position fœtale. Habillée.
Elle s’endort sur le côté gauche.
Au milieu de la nuit, une mèche humide se colle à sa tempe. Elle tourne, vire, retourne, revire. Ses draps tirent sur ses hanches et découvrent l’arrondi d’une fesse. C’est-à-dire que son pantalon a volé rapidement après s’être couchée. Ses paupières vibrent par à-coups. Revit-elle un souvenir de NostalgIA ? La confrontation avec Chris, peut-être ? En tout cas, ses doigts s’écartent, griffent le matelas. Pas autant qu’un Freddy Krueger, mais assez pour que le raclement la fasse sursauter. Sa gorge se creuse, puis laisse passer un souffle profond, rauque.
— Argh, gémit-elle en remuant plus vite.
Un frisson traverse la peau de son dos et soulève une poignée de chair le long de ses omoplates. Le galbe de ses jambes se crispe. Ses chevilles se croisent. Puis elle se détend brutalement. Un autre murmure s’échappe de sa bouche entrouverte. Son rythme respiratoire est revenu à la norme. Mais les traits du visage restent contractés. Sa montre affiche toujours « État émotionnel instable ».
À l’aube, le soleil ne filtre pas à travers les stores. Ils sont clos. Toutefois, la LingWatch d’Élodie active le plafonnier afin qu’il diffuse une lumière d’abord blafarde puis rapidement vive.
Elle ne se réveille pas.
La deuxième étape est la lecture de la playlist. Or, ce n’est pas ses chansons asiatiques séculaires qui sont lancées ce matin, mais l’Ode à la joie. À pleine puissance.
— Aaaaah !
Draps, couette et coussins valdinguent.
— Connasse de montre ! Éteins ça de suite !
— Entendu, je passe en mode silencieux.
La musique se coupe net tandis que les index d’Élodie lui obturent les oreilles ; majeurs et annulaires lui massent les tempes. La chambre plonge dans le noir.
Élodie s’étire sur le matelas, ses vertèbres craquent comme un vieux plancher. Son cou se tend, un bruit de bouche pâteuse franchit ses lèvres. Elle se redresse d’un bond et grommelle : « Putain de montre qui comprend rien ». Deux pas rapides le conduisent à l’interrupteur. Les LED lui agressent les rétines. Elle agrippe le pantalon qu’elle a jeté dans la nuit et l’enfile — non sans grimacer. Ses jambes s’activent et la mènent vers le saint Graal : la machine à café.
La Moka'Zahr s’illumine. Les couleurs, sur sa façade, dansent. Elle broie le grain. La mécanique vibre et chante un son métallique. Le bouquet se libère. Un nuage torréfié effleure les narines. L’eau traverse la poudre. Un filet sombre et aromatique ruisselle dans le mug. L’espresso fume et susurre presque sa promesse : chaleur, amertume, éveil.
Pourtant, il lui faut enchaîner trois cafés avant de pouvoir se sentir pleinement éveillée. Ou bien, l’oubli de son état léthargique est-il dû à la sonnette qui a retenti ?
Ding, dong !
31 commentaires
Alsid Kaluende
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Il y a 5 jours
Passions-Fictions-Laëti
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Il y a 9 jours
Anthony Dabsal
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Il y a 9 jours
Flopinette
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Il y a 10 jours
Anthony Dabsal
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Il y a 10 jours
Flopinette
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Il y a 10 jours
Anthony Dabsal
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Il y a 9 jours
Mary Lev
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Il y a 10 jours
Anthony Dabsal
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Il y a 10 jours
NohGoa
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Il y a 11 jours