Fyctia
Chapitre 10 — partie 3/4
Elle hoche la tête et ferme les paupières.Il pince les lèvres.
— Du moins… c’est ce que je croyais, continue-t-elle avant de grogner.
— Chris, c’était bien… ton prénom ? demande-t-il, gêné.
— Ouais… et… je sais pas… je sais plus…
— Quoi donc ?
— Juste… te fous pas de moi… s’il te plaît.
— Promis, lance-t-il en levant la main droite.
— Je pensais que c’était…
Elle s’acharne sur les restes de son vernis, déglutit et secoue la tête.
— … non, rien. Désolée.
— Tu veux…
— Passe-moi une salade ! le coupe-t-elle.
— C’est ce que j’allais te proposer.
En quelques « Tic, Tac » de l’horloge, Élodie attrape la barquette en carton tendue par Stéphane, et soulève un couvercle à demi-découpé. Un assortiment de roquette, germes variés, cubes de tofu, copeaux de carottes et lamelles de courgettes. Elle enfonce sa fourchette dans la verdure et attaque sans la moindre précaution. Ses dents broient chaque morceau lentement. Les tremblements de ses doigts ? Sa position à demi-allongée ? Qu’importe : des feuilles glissent sur ses genoux et roulent jusqu’au sol. Elle ne daigne pas les ramasser et continue d’engloutir le contenu, sans jamais se détourner de la barquette. Ses épaules s’affaissent, tandis que quelques gouttes de vinaigrette tombent sur son avant-bras. Aucune parole ne filtre d’entre ses lèvres — en revanche, les bruits de mastication, oui.
Pendant ce temps, Stéphane ôte l’opercule de sa salade et insère sa fourchette entre deux jeunes pousses. Son port est sobre, mais altier. Néanmoins, il lance parfois des coups d’œil hésitants vers la chambre ou l’entrée. Mais il revient toujours à son menu et achève chaque bouchée en s’essuyant les commissures à l’aide du coin d’une serviette jetable. Le raclement des couverts contre le carton rythme leur dîner.
Élodie se penche brièvement pour récupérer un morceau égaré, le fait tomber encore plus bas, puis renonce. Non sans souffler tempétueusement. Lui esquisse une moue fugace, replie la serviette sans un mot et termine son repas. En silence.
Après qu’il a débarrassé, qu’ils ont apprécié, chacun à leur manière, le blanc des murs, elle a proposé un café. Il a poliment refusé. Elle a donc englouti son espresso. Chaque gorgée a été suivie d’une expiration prononcée, puis de spasmes de ses muscles faciaux. Lorsqu’enfin elle a fait claquer sa tasse contre la surface vitrée de sa table basse, il tente :
— Tu veux sans doute que je te laisse…
— Non…
Soudain, elle se lève, court en direction de l’évier et plonge sa tête sous l’eau froide.
— Ça va mieux, lance-t-elle tandis que des gouttes dévalent son dos.
Elle est toujours pâle, toutefois ses lèvres dessinent une courbe. Fine, très fine courbe. Suffisamment visible pour animer le visage de Stéphane d’un large sourire qui s’éteint dès qu’elle prononce :
— Je voulais m’excuser pour la crise. Par contre, j’ai un service à te demander…
— Ne t’en fais pas. Je ne t’en veux pas.
Il regarde sa montre.
— Pour le service, tant qu’il s’agit de quelque chose de légal. Ma foi, je suis ton homme.
Elle s’oriente vers la mallette posée sur la table basse. Elle l’entrouvre du bout des doigts et pointe le NostalgIA.
— C’est ça mon service. On va s’y connecter. Je veux savoir si je deviens folle… ou pas.
— D’accord, énonce-t-il en passant une main dans ses cheveux. En revanche, tu devrais te sécher la tête.
— C’est pas un peu d’eau qui va empêcher une connexion wifi. Non ?
— En effet, mais… j’ai un peu peur que tu prennes froid, précise-t-il, avec cette indulgence qu’on réserve aux rejetons fatigués.
Elle lève les yeux au ciel et file à la salle de bain. Ses mains s’emparent de la première serviette fripée qui gît au sol. Une fois ses cheveux moins mouillés, elle fixe son reflet dans le miroir. Traits tirés, premières rides bien visibles, cernes. Elle souffle, courbe l’échine, tend les doigts et ouvre l’armoire à pharmacie. Devant ses mirettes dilatées : Alprazolam. Sa poitrine tressaute, sa paume claque la porte et ses pieds retrouvent illico Stéphane qui termine les préparatifs de l’appareil.
— Alors, qu’aimerais-tu voir ? s’enquiert-il, tablette en main.
— Un moment… joyeux…
— Alors, on va éviter les feux d’artifice, plaisante-t-il, sa joue creusée d’une fossette.
— Oui, je préfère, souffle-t-elle, un demi-sourire au bord des lèvres.
— Tu as une idée ?
— Peut-être… la chute du Mur de Berlin…
Elle grimace.
— Tu as peur de la foule ?
Elle opine.
— Peut-être pourrions-nous choisir un événement majeur, avec une seule personne ?
— Tu… penses à quoi ? demande-t-elle, le visage toujours crispé.
— Voyons voir… hum…
Ses doigts tapotent l’extrémité de l’écran.
— Oh ! s’extasie-t-il. Pourquoi pas l’appel du 18 juin ?
— Il y a plus joyeux que la Seconde Guerre mondiale…
— Oui, mais si j’ai bien compris, tu veux vérifier si les images se distordent encore, c’est bien ça ?
— En effet…
— Et tu voudrais avoir une vue sur toute la scène ?
— Jusque là… oui…
— Eh bien, si j’active le mode duo et que je me positionne à côté de De Gaulle…
— Je pourrais vous observer tous les deux, le coupe-t-elle.
— C’est ça ! Comme ça, si tu vois un truc bizarre, tu me fais signe et je mets la vidéo en pause. Ça te va ?
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Carl K. Lawson
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Vince Black
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Anthony Dabsal
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Gottesmann Pascal
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NICOLAS
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Anthony Dabsal
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