Fyctia
Chapitre 10 — partie 2/4
Élodie se redresse en un instant et se rue vers son invité. Son genou percute le canapé, puis son coude heurte le chambranle. Sa main gauche agrippe la veste de l’homme et l’autre se referme sur son bras. Ses dix doigts s’enfoncent dans l’étoffe. Son souffle rapide dessine de minuscules nuages.
— T’étais où ?
Il lui montre le sachet du salad-bar, au bas de la rue. Puis, il l’entraîne d’un pas et pousse le battant. Il quitte sa laine et la range sur le porte-manteau GeumRicht — la même marque que l’automate pénitentiaire. Un « merci » clignote sur l’écran de l’accroche murale. Il pose un petit objet et leur repas sur le bar et se dirige vers le LingHomeBot. Il se met en marche après une simple pression de cinq secondes sur « reset ». Pendant ce temps, Élodie n’a pas desserré les poings. Elle n’a même pas bougé d’un millimètre.
Stéphane, en trois ou quatre foulées, lui tend le bras. Sans un mot, Élodie l’agrippe. Sa main ? Une pince osseuse aux jointures livides. Bien qu’elle ait reculé d’un pas, elle finit par opiner. Et le suit. Claudique, serait plus juste. Conduite près du canapé, sans élan, elle s’écrase contre le dossier. Du choc, le plaid saute et dévale sur ses épaules. Elle s’enroule avec. Non sans scruter à gauche et à droite. Lui s’éloigne de quelques mètres, tire une ZuoSeat et la place face à elle. Il force un sourire — une fossette, des pattes-d’oie et les canines visibles. Et la fixe, mains plaquées sur les cuisses. Il s’assoit lentement ; elle hoquette, tousse.
— J’suis pas folle…
Sa tête oscille. En rythme avec le balancier.
— Je n’ai jamais pensé cela.
— J’suis… suivie…
Ses phalanges craquent. De concert avec le « grrr-crac » des tessons aspirés.
— Il n’y a personne d’autre que nous deux. Rassure-toi.
— Quelqu’un s’est introduit… chez moi… l’horloge…
Elle ne termine pas sa phrase. Comme le ramassage des débris. Le robot en a oublié contre les plinthes.
— Elle me semble tout à fait normale. Est-ce que tu saurais m’expliquer ce qui te chagrine avec cette horloge ?
Elle se masse le front avec le plaid. Ce rose jure avec le noir de ses cheveux et la pâleur de son teint. Stéphane, lui, ne sourcille pas.
— Putain…
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Soudain, elle lui jette la couverture dessus. Elle se redresse d’un bond et sprinte en direction de la porte d’entrée. Elle l’ouvre d’un geste sec. Son menton se lève. Son buste s’incline vers l’extérieur. Rien. Elle grince des dents, claque le battant et pivote vers le vide-poche. Ses doigts fouillent tout autour et même à l’intérieur. Ses yeux ne quittent pas le support à couteau, juste là, à portée de bras, lorsqu’elle dit :
— Comment es-tu rentré ?
— Eh bien… avec tes clés, avoue-t-il, l’air penaud.
— Avec mes clés ? Alors, c’est toi… L’horloge ?!
Elle inspire lentement, expire tout aussi sûrement. Il reprend son masque de chouette.
— Mais, de quoi parles-tu ? Je ne suis pas une horloge…
— Putain, mais je le sais ça ! C’est toi qui as trafiqué mon horloge ? Oui ou merde ?
Le regard d’Élodie n’a toujours pas dévié des lames.
— Je… Non ! Je ne sais même pas de quoi tu me parles.
— Ah ouais ? Et comment t’as eu mes clés ?
— Je les ai prises sur le comptoir. Je suis allé acheter des salades. Tu ne te souviens pas ? C’était, il y a… vingt… peut-être trente minutes.
Il se mord la joue, mais poursuit :
— Qu’as-tu fait pendant ce temps ?
— Je n’ai pas à me justifier ! T’as compris ? Je n’ai pas à me…
Elle se cache le visage entre les mains.
— Désolée… je… j’aurais pas dû crier. J’ai…
Elle plisse les yeux.
— … peur, finit-elle.
Elle abandonne sa position d’attaque afin de retrouver le confort du canapé.
— Veux-tu me raconter ce qu’il se passe ? Ou… au moins ce que tu ressens ?
— C’est simple…
Elle hausse les épaules — avant de récupérer le plaid pour s’y enfouir.
— Je crois que je deviens folle…
— Tu n’es pas folle. Tu souffres peut-être de beaucoup de stress.
— De stress… d’angoisses même. J’ai l’impression d’être suivie. Ma mémoire semble altérée… et…
— Je ne te prendrais pas pour une folle. J’ai eu des moments difficiles, je ne me permettrais pas de te juger.
— Autant, je veux bien croire que l’herbe m’ait détraqué le cerveau, mais je me souviens que mon horloge a treize minutes de décalage…
Il vérifie ladite horloge, puis sa montre.
— Elles sont parfaitement synchronisées.
— Voilà… c’est comme ça que je sais que quelqu’un… est réellement rentré chez moi.
— Mais quel détraqué rentrerait chez toi pour régler cette vieillerie ? Ça doit prendre des heures en plus.
— Non… c’est pas si long… mais c’est vrai que c’est relou. Mais par qui ? J’en sais foutre rien. Sûrement ce… Chris…
Il pince les lèvres.
— Du moins… c’est ce que je croyais, continue-t-elle avant de grogner.
— Chris, c’était bien… ton prénom ? demande-t-il, gêné.
— Ouais… et… je sais pas… je sais plus…
— Quoi donc ?
— Juste… te fous pas de moi… s’il te plaît.
— Promis, lance-t-il en levant la main droite.
— Je pensais que c’était…
Elle s’acharne sur les restes de son vernis, déglutit et secoue la tête.
— … non, rien. Désolée.
— Tu veux…
— Passe-moi une salade ! le coupe-t-elle.
— C’est ce que j’allais te proposer.
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