Fyctia
Chapitre 9 — partie 1/3
À gauche : un mur blanc. En face : un mur blanc. À droite : un mur taupe. Derrière : la chambre — et la salle d’eau. Au plafond : des LED à rendre la vue à un aveugle. Au centre : Élodie.
Accroupie, entre des vêtements et des emballages froissés — en papier recyclé —, elle corsète ses genoux. À l’instar du balancier de l’horloge, bascule d’avant en arrière. Les alouettes ne tarderont pas à siffler huit fois. Tic ! Tac ! Le regard absent, vide. Autant vide que ses armoires. Aussi absent que ses amis, sa famille. Tic ! Tac ! Seul Chris semble se soucier d’elle. Si tant est que la menace représente une forme de souci.
Son dos cogne contre le pied de la table, en rythme. Tic ! Tac ! Son souffle est intermittent. Ses genoux émettent un « Clac ! ». Élodie sursaute. Si fort qu’il pourrait être abrupt d’en estimer l’épicentre. Ses articulations ou un séisme ? Et pourtant, ce n’est pas le 18 avril. Ce n’est ni l’an 1906 ni le matin. Ni San Francisco. L’onde ne se propage pas de la croûte terrestre. Mais elle provient de sa montre. Vrrr ! Brrr ! Est-ce Chris ? Il devait la joindre en début de soirée. Elle scrute directement l’affichage de sa lentille. « État émotionnel instable ».
— Tu veux pas être instable, toi ? Connasse, murmure-t-elle, les lèvres embrassant l’écran de sa LingWatch.
Le bracelet encore collé contre la joue, son balancier rituel reprend. Tic ! Tac ! Un rire, puis des pleurs. Dans les deux cas, les larmes goûtent le sel. Le sel d’être seule, de voir son intimité violée, d’être stalkée. Le sel d’être à la merci de Chris, l’homme qui contrôle jusqu’à l’heure à laquelle les alouettes chantent.
Justement, leur timing est programmé à la perfection. Elles viennent de siffler. Leurs trilles ont heurté les tympans d’Élodie. Tic ! Tac ! Son unique réflexe : s’emprisonner davantage dans le carcan de sa position fœtale. Si elle avait eu une soupape, cela ferait bien longtemps qu’elle aurait craché sa vapeur. Par le nez. Par les oreilles. Oreilles qui captent les nouveaux « Brrr », « Vrrr ».
« Appel entrant : Nourredine ».
— Ça doit être ce Chris… Ouais, ça ne peut être… que lui, geint-elle en se recroquevillant encore et toujours plus.
Ses pupilles dilatées vaguent dans le flou. Elles passent sur le mur nu — le taupe —, puis sur l’horloge, et butent sur l’icône USS qui toque sur chaque surface. Pourquoi le curseur, lui, reste-t-il scotché sur « décrocher » ? Ses paupières se closent. Hermétiquement.
— Allô, souffle-t-elle, tout bas.
— Oh ! Ça n’a pas l’air d’aller, Élo. Quelqu’un vient de t’appeler en te demandant quel est ton film d’horreur préféré ?
Sa tête pivote. À droite. En haut. En bas. Pourquoi apparaît-il à gauche ? Pourquoi est-ce Nourredine ?
Un ange passe. Encore. Le troisième ? Le quatrième depuis… Depuis quand déjà ?
Elle profite du silence pour se relever et grimace tandis que ses vertèbres recouvrent une courbe humainement confortable.
— Houhou ! Élo ? T’es foncedée ?
— Ta gueule… Laisse-moi deux minutes…
Ses yeux clignent mécaniquement. Tic ! Tac ! Elle pose sa main sur le linge sale au milieu de la table ; son postérieur s’aplatit sur l’une de ses quatre ZuoSeat 2084. Après un « Tic ! Tac ! », elle se frotte le visage — écarlate. La même couleur que le débardeur que ses doigts froissent.
— T’es vivant ? Tu vas bien et tu m’as rien dit pendant… tout ce temps. Pas même un mess’. Rien ! T’as pas pris de mes news. Alors…
Elle expire orageusement, il déglutit.
— … alors… que tu m’as offert ce putain de cadeau empoisonné. Alors que t’es en train de ruiner ma vie…
— Ah, ouais ! Quand Zoé m’a dit que t’avais pris un truc qui t’avait fait décoller, je pensais pas si loin.
Elle hoquette. Une sorte de ricanement unique qui provient du fond de son abdomen.
— C’est vraiment tout ce que t’as à dire ?
Son ton est froid comme l’hiver au-dehors. Ses lèvres sont blanches à l’instar de la neige du mois dernier. Et sa boîte crânienne ? Tic ! Tac !
— Élo ! Qu’est-ce que tu me chantes ? Je pige rien à ton délire.
— Mon délire ? MON FUCKING DÉLIRE ?!
Sa bouche s’entrouvre. Rien. Aucun son.
— Tu m’fais bader. Franchement ! T’es trop forte, Élo.
Sa bouche est maintenant bée. Béante même. Une sorte de grésillement rauque s’en échappe quand elle respire. Le black-out total en guise de répartie.
— T’es trop marrante quand tu t’énerves, poursuit-il, comme s’il parlait de la pluie et du beau temps. J’imagine que tu fais ta tronche de poisson, avec ta mâchoire qui pendouille. J’ai bon ?
Ses tempes pulsent. Tic ! Tac ! BOUM !
— Tu… oses te foutre de ma poire ! Après m’avoir pourri la vie ?
— Ça va. Pourrir la vie. De suite, les grands mots ! C’était qu’un petit bug, la coupe-t-il. On est bientôt en passe de le corriger, si tu veux tout savoir. En plus, tu sais ce qu’on dit : cours toujours à celui qui sait attendre.
— Ferme-la ! Surtout, ferme bien ta putain de bouche ! Déjà, si tu ne connais pas les expressions, arrête de les balancer. Tu passes pour un con et tu fais pitié. Deuzio, je peux savoir pourquoi tu m’as bloquée ?
Après cette cymbale qui a cloué le bec de Nourredine, si un maître d’orchestre siégeait auprès d’elle, son poing se clorait.
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Vince Black
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