Fyctia
Chapitre 8 — partie 3/3
— Je ne voulais pas… Je ne pouvais pas…
Il déglutit.
— … profiter de toi…
— Quand l’autre personne est d’accord, en général, on n’appelle pas ça « profiter ». Mais bon…
— C’est surtout que… euh… je n’ai pas été honnête avec toi. Et comme je devais signer des papiers pour faire sortir un NostalgIA… j’ai paniqué. Et… je me suis enfui.
— Un vrai lapin pirate…
— C’est vrai, confirme-t-il, accompagnant ses mots d’un éclat de rire — jaune. Je te promets… j’ai couru pour te sauver la mise.
— S’il te plaît, ne me fais pas le coup du chevalier servant qui supplie sa princesse. J’ai déjà donné. Et Nono se moque souvent de moi en se mettant à genoux devant moi…
— Monsieur Benamar ? À genoux ? Quel est le prix du ticket ? Je veux voir ça !
Le visage d’Élodie se détend un peu. Très peu.
— Si je n’étais pas parti, ça t’aurait coûté bien plus cher qu’un simple miroir. J’aurais dû t’expliquer sur le quai de métro. Mais… voilà, j’ai merdé, poursuit-il.
— Comment ça !? C’est quoi encore ces conneries ?!
— Eh bien… tu as quand même quitté les locaux de CelestAIl… avec un objet protégé par tout un tas de brevets. Je pense sincèrement que l’IA centrale l’aurait qualifié de vol. Ou pire…
— Oh, putain, j’avais oublié que j’ai cette saloperie de NostalgIA.
Une raideur traverse son corps et lui tend les épaules. Un sursaut surgit d’entre ses omoplates. Au même instant, ses yeux glissent vers la fenêtre. Fermée. Un clignement. Son regard bifurque vers la mallette posée sur la table basse — entre une culotte et une pile de pulls renversée. Puis sur Stéphane. De marbre, ou presque. Elle se reprend, et sa main remonte dans ses cheveux, effleure sa tempe, se perd quelques secondes parmi les mèches. Un sourire s’étire, un peu trop large. Clairement forcé.
— Comment ça, « pire » ? s’enquiert-elle, le timbre suraigu.
— Espionnage industriel… sûrement.
— Pourquoi penserait-on qu’une simple prof fasse dans l’espionnage ?
— Ce n’est vraiment pas contre toi. Vraiment…
— Accouche !
— Tu es asiatique.
Attend-il une réaction ou cherche-t-il juste ses mots ?
Bloque-t-elle en espérant une suite ou préfère-t-elle ne pas en entendre davantage ?
— Je pense que… ça serait suffisant pour l’IA centrale de penser que tu bosses pour Lings, poursuit-il après une pause gênante pour les deux. Tu vois où je souhaite en venir ? Et… en face d’un jury humain… comment dire ? Non, en fait, c’est clair : sans quelques millions pour les soudoyer, tu as perdu d’avance…
Soudain, la montre d’Élodie vibre. Zoé ? La mise à jour terminée ? Qu’importe, elle lance son interface. « Un nouveau message de Stéphane : »
Stéphane, qui était en train de continuer sur l’histoire des procès et comment ils sont devenus plus falsifiés que les élections, s’arrête net. Le visage d’Élodie parle de lui-même. Quelque chose de grave se trame.
— Que… qu’est-ce qu’il se passe ? Élodie ?
Elle inspire, expire et médite un instant.
— Je vais te demander un truc qui peut te paraître débile. Peux-tu regarder quel est le dernier message que tu m’as envoyé, s’il te plaît ?
— Euh… oui… attends… Ah ! Ça y est. Je te le lis : « Oh ! Je ne suis pas malin. J’aurais dû m’excuser avant d’essayer d’appeler. Je te demande pardon… »
Il s’interrompt, plisse les yeux.
— « … du fond de mon cœur. J’ai vraiment merdé. Accepterais-tu de me laisser m’expliquer ? »
Il fronce les sourcils, relève la tête. Et grimace.
— Pourquoi voulais-tu savoir ça ?
Les iris jaunes de Stéphane s’impriment sur les rétines d’Élodie. Elle lutte pour garder le eye contact. Elle se redresse légèrement, alors que ses phalanges frôlent la hanse d’un mug vide — depuis la dernière visite de Nourredine. Ses narines se dilatent juste avant qu’elle commence :
— J’attends toujours l’explication, argue-t-elle, la voix mi-rauque, mi-chevrotante.
Stéphane pose son coude sur la table basse — sans même effleurer la culotte —, place sa main sous le menton et plisse les lèvres. Un pull glisse au sol. Deux secondes plus tard, il lui sourit.
— J’ai eu peur, avoue-t-il. J’ai cru qu’il… que tu avais appris une mauvaise nouvelle.
Il se gratte la tête ; elle bugue.
— Je t’ai planté parce que je suis marié. Et… je n’ai pas osé te le dire. On est séparé, mais… voilà, t’as été honnête et moi pas…
Six chants d’alouettes brisent le silence qui s’est installé après cet aveu. Tous identiques. Un premier trille cristallin. Ce bourdonnement léger qui enfle et s’élève aussitôt pour composer des notes rapides, fluides. Dès que le sifflement apparaît, un roulement clair et délicat casse le rythme. Tout devient saccadé. Enfin, l’arpège final : haut, loin, insaisissable.
Stéphane observe l’horloge, puis sa montre. Deux fois. Ses traits forment une mimique indéchiffrable. Quelque part entre la honte, la gêne et le regret.
— Je… je suis vraiment désolé, je dois filer au bureau. Me laisseras-tu une chance de t’expliquer mieux ?
— Ouais, ouais. Ciao, lance-t-elle en lui tournant le dos.
Finalement, elles n’étaient pas si vides. Il restait encore quelques larmes. Dans ses glandes lacrymales.
Après un énième « désolé », sa porte se ferme. Elle la verrouille. Aussitôt un nouveau message de Stéphane :
Son cerveau ? Machine mal réglée. Il ne lui permet qu’un geste : regarder sa montre. Et il est 18 h 02. Cela fait deux minutes que les alouettes ont chanté. L’horloge est à l’heure. Drogue ou pas dans le sang, l’évidence parle d’elle-même. Quelqu’un est rentré chez elle.
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Vince Black
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Il y a 19 jours
Anthony Dabsal
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Il y a 19 jours
Vince Black
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Il y a 19 jours
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Louisa Manel
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Il y a 24 jours
Anthony Dabsal
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Anthony Dabsal
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Mary Lev
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Il y a un mois
Anthony Dabsal
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