Fyctia
Chapitre 8 — partie 1/3
La marche…
Le cortège a traîné en longueur. Une jeune femme encore sous l’emprise de stupéfiants, sa sœur cadette souriante et un bellâtre qui raclait ses semelles contre le trottoir.
Invraisemblablement long.
Élodie a refusé d’emprunter le moindre transport en commun. Alors, ils ont progressé pas après pas. Et la conversation ? À sens unique. Stéphane s’est contenté d’avancer, mutique. Élodie n’a pas réussi à articuler. Zoé, elle, a blablaté : sa journée, son travail, ses projets. Une journée sans histoire. Enfin, presque sans histoire.
Il a fallu trois reprises pour qu’Élodie parvienne à déverrouiller sa porte d’entrée — sûrement l’un des derniers appartements parisiens qui utilisent encore des clés. Clés, qu’elle pose consciencieusement sur le bar, à deux centimètres d’un vide-poche — qui porte bien son nom, tant les objets à l’intérieur sont disparates.
Depuis dix minutes ? Une éternité ? Elle se trouve plantée là. Un plot devant sa machine à espresso, la mâchoire crispée et les mains plaquées contre le mur. Une veine pulse à sa tempe. En rythme avec le cliquetis du balancier, le « tic tac » des aiguilles et le bruissement des rouages. Saleté d’horloge à l’autre bout de la pièce. Elle mange ses cheveux — pas volontairement. Zoé et Stéphane baragouinent dans leur coin. De quoi parlent-ils ? Ni la tasse qui attend son café ni le réservoir qui réclame son eau ne le lui diront.
Insidious ? Ring ? A-t-elle regardé l’un de ces vieux films ? Son ventre est tout à coup animé d’une énergie qui la ferait passer pour possédée. Un hoquet, un haut-le-cœur, suivi d’un autocroc-en-jambe. Elle galope en direction des toilettes — un spasme, comme quand Sadako Yamamura sort du puits. Une fois sa bouche rincée, elle prépare une dose de caféine.
— Vous en voulez ? demande-t-elle, le ton particulièrement sec.
— Volontiers ! Et toi, Steph ?
— Je ne veux pas m’imposer…
— Il en prendra un aussi. Ça te fera peut-être redescendre, sœurette.
Une fossette se creuse sur la joue de Zoé.
— Te bouger, tu vois ? ajoute-t-elle, l’air taquin.
Les éléments de sa cuisine sont troubles. Ses mains hésitantes s’appliquent pour servir à boire à ses invités — qui se sont eux-mêmes invités.
— Merci, souffle Stéphane en baissant les yeux.
Élodie ne dit rien.
— Bon, Élo. Là, ça va pas. Tu vas m’expliquer ce que t’as foutu ! Je peux savoir pourquoi t’as fumé ? gronde Zoé en arrachant la tasse des doigts de sa frangine.
— C’est que… je…
— C’est de ma faute, coupe Stéphane en évitant le regard d’Élodie.
— Non, c’est pas ça… Je…
— Houla ! Stop ! aboie la cadette, en balançant son index. Entre toi qui trouves pas tes mots et l’autre qui contemple ses chaussures, je vais rien piger. C’est toi qui lui as filé de l’herbe ?
Zoé braque son index danseur sur Stéphane. Il ravale sa salive — bruyamment — et secoue la tête.
— Tu vois bien que c’est pas ta faute ! C’est juste ma truffe de sœur. C’est pas comme si ça faisait un an qu’elle avait rien pris… C’est nul ! Un an clean ! Quand même !
Elle pince sa langue avec ses incisives, puis la tire vers Élodie.
— Mais bon… Élo est Élo. Elle est comme ça. Des fois j’suis obligée de lui cacher son herbe. Mais, en vrai, elle est super forte. Elle a déjà arrêté seule, comme ça ! Et pas qu’une fois !
Elle plante son regard sur son aînée.
— Alors, t’as un truc à dire pour ta défense ? Ou l’IA centrale de la République française te condamne à perpette ? ironise Zoé en faisant une très mauvaise imitation de l’automate carcéral.
— C’est… que… euh…
— T’as pris un râteau ou un truc comme ça ?
Élodie grimace. Stéphane se tait. Zoé les fixe tour à tour.
— Vous êtes pas croyables. Vous faites une belle bande de tarés. Entre toi qui m’appelles trois fois par jour pour parler de ma sœur… et qui trouves quand même un moyen de tout foirer. Et elle qui dès qu’elle se sent… j’sais pas comme dire. Visée ? Non, c’est pas ça. Bref ! Dès que quelqu’un lui tourne autour, elle agit comme une barge…
Zoé sirote une gorgée tandis que les deux quasi-tourtereaux admirent le plafond.
— Et c’est pour ça que t’as fumé ? interroge-t-elle en secouant la tête.
— C’est… pas sa faute à lui…
Élodie désigne Stéphane du menton.
— C’est… Chris, ajoute-t-elle, le visage légèrement blême.
— Chris… Chris… T’es encore là-dessus au bout de quinze piges ?
— Qua… presque quatorze, corrige Élodie.
— Ouais, bah, c’est pareil. C’est pas une raison…
— Excusez-moi, interpelle Stéphane.
Élodie triture ses ongles… et fait la moue. On pourrait croire que c’est elle, la cadette.
— Bah, quoi ? fait Zoé.
Elle écarquille ses grands yeux noirs… et grimace. Donc, fausse alerte. La plus jeune est bien Zoé.
— Je voulais euh… pardon.
Il racle sa gorge avant de reprendre :
— Je voulais simplement m’excuser. Auprès de toi, Élodie. Je n’aurais pas dû m’enfuir. Je… j’ai paniqué.
— Elle s’en remettra, t’inquiète. C’est pas ça qui va nous l’enterrer ! Pas vrai, Élo ?
Élodie s’acharne à massacrer ses cuticules. Encore.
— Eh, oh ! Élo ! Allô la Terre ? Ohé, Élodie, tu m’écoutes ?
— Hein… ?
— Bon, et bien, déso’ Steph. La navette Élo n’atterrira pas avant une heure. Ou, même deux. C’est long de descendre de là-haut. Mais… si vous voulez, je peux vous laisser discuter.
Zoé lui adresse un clin d’œil. Stéphane sourit. Il hausse les épaules. Elle l’imite.
— Zozo… au lieu de dire des conneries, sers-m’en un autre, lance Élodie en tendant sa tasse à Zoé.
— Pff… t’écoutais même pas. Et puis on dit « s’il te plaît » quand on est poli !
Zoé poursuit son sermon sur toute la durée qu’il faut à la machine pour cracher un café.
— Merci. Déjà, je t’écoutais ! Et puis je préférerais que vous partiez… tous les deux.
— Élodie, est-ce que je pourrais te parler en tête à tête avant de partir ? supplie presque Stéphane.
— Sans façon. T’inquiète, on est cool. Je… j’ai bien compris le message. Pas besoin de… d’en parler plus.
— Haha ! T’es trop bête Élo. Tu vas pas remplacer Nono, s’esclaffe Zoé.
Les deux autres sursautent.
— Qu’est-ce que… quoi ? Zoé ?
La cadette ricane comme une mouette.
— Ah, donc en plus de fumer, tu m’envoies des messages avec des blagues nulles ?
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Vince Black
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Anthony Dabsal
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