Fyctia
Chapitre 7 — partie 2/5
La fumée inonde ses poumons, ses pensées, ses angoisses. Bien que rien ne semble en mesure de l’expliquer, une étincelle s’excite au fond de ses prunelles. L’obscurité de ses iris, l’amande de ses paupières ; tout se ranime. Elle expulse le courant de fumée en direction de la hotte aspirante qui boit ses soucis. Élodie parle. Tout du moins, se parle.
— Putain, t’es qu’une loque… J’sais pas… mais habille-toi. Ça fera illusion…
D’une main — la blessée —, elle écrase le mégot dans l’évier, de l’autre, elle serre les doigts à s’en faire pâlir les jointures. Elle enfile les premiers vêtements qui jonchent le carrelage : un sweat-shirt à capuche et un jogging délavé. Gris. Comme sa mine.
— La flemme de me maquiller… et puis merde ! J’emmerde celui qui osera me faire chier !
Elle secoue la tête.
— C’est de la bonne… merde, je parle même toute seule…
Sa montre vibre.
— Qu’est-ce que tu me veux encore ? C’est trop sale chez moi ? J’ai utilisé trop d’électricité ? Putain !
Par acquit de conscience — si c’était Zoé —, elle affiche l’interface visuelle.
« Appel entrant : Stéphane Duroy »
Elle rejette aussitôt.
— S’il croit que je vais lui répondre. Même pas trois heures après le râteau du siècle ! Il peut crever la bouche ouverte.
Elle ne se blesse pas la main. Non, pas cette fois-ci. Elle se dirige vers la peluche en vue de calmer un peu plus ses nerfs. Pourtant, ses doigts frémissent encore lorsqu’elle roule son deuxième joint. L’herbe s’en effrite trop. Et le briquet ? Il claque. Une, deux, trois fois. Rien. Elle peste. À la quatrième, la flamme surgit enfin. Survient le deuxième déluge de bonheur à l’intérieur de son organisme — sans omettre la touche de cancer.
Nouvelle vibration. Autre bouffée. Il aurait sans doute mieux valu décrocher. Elle transmet un motif au refus : « Je suis sous la douche. »
Le retour de « Stéphane » est immédiat. Immédiat, oui, mais glaçant. « Alors, comme ça, on ment à son étalon ? La douche est finie depuis un petit moment déjà, non ? J’aimerais à l’avenir que tu lui répondes. Chris. »
Elle cligne frénétiquement des paupières. Elle relit. Et relit encore. Le sol devient-il mou ? Sont-ce ses genoux ? Elle sursaute. Un bruit a-t-il surgi dehors ? Elle jette un œil à la fenêtre, puis à sa porte. Elle ne perçoit aucun mouvement suspect. Personne. Elle repose son regard sur l’interface. Impossible de nier l’évidence : Chris la voit, la juge, la traque. Elle serre les dents, ravale un sanglot. Pas de répit. Pas de protection. Pas de mensonge envisageable. Les tremblements de ses doigts cessent. L’effet de l’herbe aussi. Elle sélectionne « Stéphane », le dos et le menton droits. Insulte à l’agresseur, il y aura.
« Qu’est-ce que tu me veux, Ducon ? »
Stéphane, certainement surpris, se permet de ricocher : « Oh ! Je ne suis pas malin. J’aurais dû m’excuser avant d’essayer d’appeler. Je te demande pardon, du fond de mon cœur. J’ai vraiment merdé. Accepterais-tu de me laisser m’expliquer ? »
Dans la foulée, une seconde réponse parvient à Élodie : « Lol ! Tu croyais ne répondre qu’à moi ? Laisse-moi rire ! Que t’es crédule, putain ! C’est ouf, t’as pas changé depuis l’adolescence XD ! Je me marre ! »
Les incisives d’Élodie trouent sa lèvre. Néanmoins Chris ne lui offre pas davantage de répit.
« Au fait, tu viens de recevoir un virement de 1 534 € sur ton compte. T’en auras besoin. Ne te déco pas, on se capte en début de nuit. Chris. »
— Fils de…
Elle se ravise. S’il était elle, ce sont ses parents qu’elle risquerait de viser. Malgré le fond de peine qu’elle ressent pour Stéphane — le vrai —, elle ne lui répond pas. Elle ne souhaite pas alimenter Chris. Tant pis pour Stéphane — et pour Élodie, elle le trouvait particulièrement à son goût.
Le grand ménage de printemps — en plein hiver — est sonné. La restructuration de la décoration serait plus juste. En effet, la jeune femme a sondé chaque pièce, chaque fibre de tissu, chaque bibelot dans le but de dénicher un micro, une caméra. Photos, cadre, figurines, peluches, vêtements, tout a volé au sol. Tout y est passé. S’inquiéterait-elle de ne rien trouver ? Tremblerait-elle pour Zoé ? Élodie a tout de même tenté de la contacter durant sa recherche. Néant.
Alors qu’elle démolit la dernière étagère de sa chambre à coucher, un sac en papier, à l’effigie d’un ours blanc « EthicDelivery », est libéré de sa prison — ainsi qu’un cendrier vide et un flacon de parfum bon marché. Elle l’ouvre. De l’air, de la poussière et peut-être une araignée. Elle s’en débarrasse en même temps que le cendrier. Puis ça fait tilt !
Elle se connecte au site du leader mondial de la vente éthique — si l’éthique est définie comme un travail mal payé, voire forcé. Eux seuls sont capables de la livrer en moins de 24 h. Alors, résignée, grimaçante, elle passe commande. Elle recevra dans un colis sécurisé — via son empreinte LingPods ou USS —, un code de téléchargement d’un programme de détection d’appareils-espions.
— Dire qu’on nous parle d’écologie, comme s’il y avait tant de fraudeurs… pourquoi tout n’est pas en démat’ ? maugrée-t-elle en validant.
Avant d’éteindre l’interface, elle opte pour une dernière tentative. Zoé ne décroche pas. Toutefois, un message apparaît dès que sa montre vibre et que trois alouettes chantent. « 14 h 47 Zoé Wang : Je t’ai dit que je te recontacterais en début de nuit ! Qu’est-ce que tu ne comprends pas ? Chris. »
— Qu’est-ce que…
Ses pieds, ses émotions, un réflexe la conduisent vers le robinet. Elle se mouille le visage, boit un grand verre d’eau et ferme le store de la cuisine. La fenêtre ne donne pourtant sur rien de plus qu’un trottoir quelques mètres plus bas. En face, le bâtiment semble inhabité depuis dix ans. Tandis qu’elle se tourne, elle réalise soudain l’état dans lequel se trouve son appartement. Tout est sens dessus dessous. Ses lèvres se déforment. Sa main caresse machinalement la tête de Croupy. L’intérieur de sa rétine se teinte de rouge. Sa montre s’emballe. Son cœur aussi. « Mode prison activé. Il est 14 h 52. » Elle veut intervenir. Trop tard. L’arc électrique suit son nerf optique. À nouveau, le néant.
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Vince Black
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Il y a 23 jours
Anthony Dabsal
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Il y a 23 jours
Ode 30
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Anthony Dabsal
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Mary Lev
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Anthony Dabsal
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Gaëlle K. Kempeneers
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Gottesmann Pascal
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Anthony Dabsal
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