Fyctia
Chapitre 6 — partie 2/3
Elle jette son mouchoir de fortune dans la cuvette et se dirige vers les robinets. Tant pis pour le mascara. Elle s’asperge le visage. Mais quand elle se relève, qu’elle affronte son reflet dans le miroir, ce n’est plus vraiment elle. C’est lui : Chris. Il la nargue avec son maquillage de panda, son stupide nez arrondi, ses pommettes saillantes.
— T’as pas fini de m’emmerder ? Pourquoi t’es encore là ? Espèce de connard !
En un battement de cœur, tout son corps n’est que chaleur, fureur. La colère a pris la place de la peur. Elle frappe son reflet — qui est tout à fait celui d’une jeune femme on ne peut plus normale. Premier craquement.
— T’es toujours là ! Crève !
Deuxième !
— Aaah !
Troisième ! Et dernier. La douleur est enfin transmise à son cerveau. Elle regarde ses jointures. Verdict : quelques éclats sont plantés, du sang coule. Elle en tremble, puis grimace.
Sa main sous l’eau glacée, elle ôte ce qu’elle peut de fragments. Elle enroule sa blessure d’une quantité importante de serviettes en papier recyclé. Rapidement rouges. Alors, elle en rajoute une couche. À la fin, de nombreuses épaisseurs recouvrent ses plaies. Elle rit nerveusement en voyant le ridicule d’un tel pansement. Si seulement Nourredine ne lui avait pas offert ce cadeau empoisonné. Sans lui, elle n’en serait pas là.
Elle cherche sur l’interface de ses USS et lance un appel. Pas de réponse. Au cinquième, elle transfère un message : « Nono, je t’en supplie, rappelle-moi. Je dois te parler, c’est urgent ! »
Pourtant, elle n’abandonne pas. Au huitième : « Je te jure, si tu ne me rappelles pas dans la minute, je te trucide ! »
Elle se laisse tomber au sol, dos contre le mur lors de la dixième tentative. « Tu veux savoir ce que t’es ! Un con ! Un putain d’égoïste ! Tu sais quoi ? Va chier ! »
Si elle n’avait pas si mal à la main, elle frapperait de toutes ses forces contre ce carrelage blanc. Car là aussi elle repère Chris — quelle idée d’avoir construit des robots qui lustrent autant le carrelage. Seulement, elle parvient même à l’observer quand ses paupières se ferment.
Soudain, la montre vibre. « Un message de Nourredine ! »
— Putain, c’est pas trop tôt !
Elle l’ouvre, sans s’attendre à ce résultat.
« Élodie Wang ! Si tu espères revoir ton ami vivant, prends le NostalgIA avec toi. Un mot à la police et je le bute. Chris ».
Sa peau perd un peu de sa couleur dorée, sauf au niveau de ses pommettes où une rougeur diffuse commence à naître. Ses narines, ses pupilles, même ses paupières s’écartent. Ce n’était donc pas une hallucination. Une personne en chair et en os, qui doit la connaître, désire son malheur.
Son mal-être brouille ses esprits. Sur son interface visuelle, un message illisible s’affiche : « ezhfuohf ». Elle ferme les yeux, serre le poing — celui qui n’est pas blessé — et inspire longuement. Est-ce l’adrénaline qui corrige le message ? Elle envoie : « T’es qui, connard ? »
Le retour est quasi instantané. « Je pense que ton Stéphane se demande ce que tu fous dans les toilettes. Ah, j’oubliais ! Ta frangine, Zoé, préfère le latte à la vanille, c’est bien ça ? Chris ».
La rougeur prend tout son visage, tandis qu’elle halète. Ses lèvres se retroussent alors que la réponse s’inscrit sur son interface : « Espèce de sale merde ! Si tu touches à ma sœur, je te retrouve et je te bute ! »
Tous ses membres sont parcourus de spasmes — au moins aussi puissants que les vibrations à son poignet. « Un mot aux médias ou sur les réseaux, et c’est elle qui meurt. Si tu n’obéis pas, je pense que tu devines la suite. Tu as l’habitude des menaces en l’air. En revanche, je ne suis plus toi. Chris ».
Une alerte d’erreur s’affiche dans son champ de vision : « Nourredine vous a placé·e dans la liste des contacts bloqués, impossible de le(la) joindre. »
Elle relit le message, une fois, deux fois, dix. Après maintes souffrances, à la main comme au cœur, elle se relève et confronte le miroir brisé. Chris est toujours là, le visage éclaté en milliers de petites Élodie. Pourtant, les larmes ne sont plus. La honte s’est tue. Il ne reste qu’une rage sourde, froide.
Élodie articule un ordre : « Zoé ». La tonalité boucle encore et encore et meurt en boîte vocale. Elle hurle plus fort : « Zoé, décroche ! »
Pendant les cinq minutes qui ont suivi, seul un bourdonnement a rempli son crâne. Zéro réponse de sa sœur.
Elle grince des dents, arrache les USS de ses oreilles et s’apprête à les balancer dans l’évier. Et pourtant, ses incisives se plantent dans sa lèvre jusqu’au sang. In extremis. Inopinément, quelqu’un toque.
— Élodie ? Tout va bien ?
Le retour à la réalité est brutal : sursaut, genoux qui flanchent. Toutefois, elle trouve la force de lui ouvrir.
— Il me faut le NostalgIA !
Stéphane est droit comme un piquet, stupéfait. Quelques clignements lents. Sa bouche s’entrebâille. Aucun mot ne s’en échappe. Puis, son regard glisse sur le mascara d’Élodie, puis vers sa main. Ses sourcils parfaits s’arquent ; elle cache ses plaies. Il remarque les éclats au sol, pince les lèvres et lui sourit.
— Je veux bien te le donner, mais pas sans explication sur tout ça.
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