Fyctia
Chapitre 6 — partie 1/3
Le sol est froid, dur — plus dur que froid, il va sans dire. Tout est obscur dans le champ de vision d’Élodie. Les lumières multicolores, les éclats sonores, les applaudissements se sont tus. Un énième bug a encore ruiné l’expérience du NostalgIA. Tout semblait pourtant si parfait, si romantique. Comment cela a-t-il pu virer au cauchemar ? Toujours est-il qu’elle s’est tournée, qu’elle souhaitait voir Stéphane, qu’elle envisageait de l’embrasser. Et ce n’était plus son visage. Elle tenait sa propre main ou plutôt celle de Chris et son sourire carnassier. Que peut lui vouloir CelestAIl ? Est-ce encore l’Univers qui s’acharne ?
Elle réalise qu’elle a dû faire un malaise. Bien qu’elle pense être consciente, ses paupières refusent de s’ouvrir. Et ses doigts de bouger. Par contre, ses oreilles fonctionnent. En tout cas, elles perçoivent Stéphane hurler :
— Putain ! Je te dis qu’elle fait pas la comédie, merde !
Puis, à peine deux secondes s’écoulent :
— Tu m’écoutes, ou t’as de la merde dans les oreilles ?! Bordel ! Je fais quoi avec elle, maintenant ?
Et pour finir :
— Tu sais quoi ? Va te faire foutre !
Presque aussitôt ou une éternité plus tard, elle sent une main chaude contre sa joue. Le sourire d’Élodie est évocateur, à un iota de parler pour elle. « Quel drôle de rêve ! Stéphane se souciait de moi ? » Son cœur, comme après un sprint, souhaite que le moment dure un peu plus. Une seconde. Un soupir. Mais la lumière s’immisce au fond de sa rétine. Elle cligne frénétiquement des yeux, qui peinent à discerner le visage de Stéphane.
L’homme, déjà beau, l’est encore plus. La ride qui barre son front accentue son charme. Même ses lèvres pincées ou son essoufflement sont à tomber par terre — sans mauvais jeu de mots. Élodie tend les doigts vers sa pommette et la lui caresse avec le pouce. Elle sourit. Il déglutit.
— Tu… tu vas bien ? s’enquiert-il d’une voix chevrotante.
— Je pourrais rester des heures comme ça, affirme-t-elle, béate.
Les épaules de Stéphane se détendent, sa mâchoire se relâche. Élodie devine aussi le « ouf » qu’il murmure. Elle tente maladroitement de se relever. Il ne la laisse pas faire et l’aide à s’asseoir. Une fois installée, Élodie paraît ailleurs, dans un état second.
— C’était beau ces feux d’artifice ! s’extasie-t-elle.
— Tu… tu ne te rappelles… de… rien ? Du tout ?
Le retour à la réalité est violent. Alors qu’un sourire est encore gravé sur le visage d’Élodie, des larmes dévalent la pente de ses pommettes. Une grimace la déforme. Elle tente de se cacher.
— Tu l’as revu ? amorce Stéphane.
— Oui… t’étais… moi… t’étais… lui, gémit-elle en hoquetant.
Un réflexe, sans doute, la pousse à tendre ses bras vers lui. Il paraît hésitant, il se retourne. Évidemment, il n’y a personne d’autre dans la pièce. Il s’approche et l’enlace. Toutefois, pour elle « enlacer » est une action trop faible, elle lui broie les côtes — vraisemblablement le stress, la peur et un peu de désir. Très vite, la chemise en lin de Stéphane — véritable luxe en 2086 — se voit trempée. Les larmes n’empêchent pas Élodie de savourer la chaleur de ses pectoraux et surtout le parfum familier de l’homme — identique à celui de son premier petit ami. Son cœur lui ordonne de rester là, jusqu’à la fin de la journée, de la nuit, de la vie. Son estomac, par contre, désire rejeter les nombreux cafés de la matinée.
— Ça va mieux ? demande-t-il, la main dans la jungle des cheveux d’Élodie.
Cinq ? Dix minutes d’étreinte ? C’est plus qu’agréable. C’est thérapeutique. Pourtant, elle ne répond pas. Elle hausse les épaules.
— Tu veux peut-être boire un peu d’eau ?
— Je… euh… plutôt un café, s’il te plaît.
Il hoche la tête et s’en va sans un mot. Élodie, elle, se tourne vers le « N » du cube qui clignote. Elle arbore une moue mi-figue mi-raisin. Probablement un mélange entre l’hypnose et une furieuse envie de réduire en cendres la machine de ses tourments. Finalement, elle aura observé l’icône jusqu’au retour de Stéphane.
Lui, qui était débraillé, décoiffé, a mis à profit son temps. Son allure — si l’on fait exception de son visage encore tiré — est de nouveau impeccable lorsqu’il tend le café à Élodie. Elle le remercie et encercle la tasse fumante.
— Tu… n’aurais pas d’autres détails sur… sur le bug, bafouille-t-il sans croiser son regard.
Elle secoue la tête et lui raconte, plus ou moins bien, ses souvenirs. Stéphane ne quitte pas son mug des yeux. Son front se plisse parfois. Tantôt, ce sont ses lèvres qui gesticulent, comme si un texte appris par cœur défilait au fond de sa cervelle. Elle l’observe se draper dans cette sorte de récital mécanique. On est si loin de sa spontanéité habituelle, de sa jovialité. Le réflexe d’Élodie est immédiat. Sa respiration se bloque, sa bouche se tord, son regard fuit. Elle craint de le voir si inquiet à cause d’elle. Alors, la tasse de café, le cube clignotant, le visage de Chris, forment une masse nauséeuse — sans oublier tout ce café. Elle s’entend murmurer :
— Excuse-moi…
Le vertige la gagne. Elle fait tout pour rester digne, en vain.
— Où… sont les toilettes ?
Il sursaute.
— Pardon, au fond à gauche.
Elle détale, comme un chien derrière une balle. Pas le temps de réfléchir. Ses jambes ont couru et son estomac a rendu l’intégralité de son contenu : du café noir — et un chouia d’angoisse liquéfiée.
Elle bloque sur le spectacle de la chasse d’eau au fond du siphon. Ses narines sont encore irritées par le geyser brunâtre — et encombrées par toutes ces larmes. Elle mouche cette fontaine à misère avec le papier toilette bon marché. Une chance qu’il ne se désintègre pas sous ses doigts.
— Putain, j’dois faire peur à voir.
Elle jette son mouchoir de fortune dans la cuvette et se dirige vers les robinets. Tant pis pour le mascara. Elle s’asperge le visage. Mais quand elle se relève, qu’elle affronte son reflet dans le miroir, ce n’est plus vraiment elle. C’est lui : Chris. Il la nargue avec son maquillage de panda, son stupide nez arrondi, ses pommettes saillantes.
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