Fyctia
Chapitre 5 — partie 3/4
Élodie déglutit. Stéphane s’assoit et touche sa montre. Celle de la jeune femme vibre. « Stéphane Duroy » apparaît sur sa lentille.
Aussi recroquevillée qu’une tortue boîte, Élodie se présente à la porte. Il ne semble pas décontenancé. Au contraire, il se force à rire.
— J’suis désolée. J’ai tout entendu, souffle-t-elle.
— Je ne t’en veux pas. Désires-tu un café ? Il y a de vraies machines ici, pas comme au musée.
Elle hoche la tête timidement. Elle joue avec ses doigts pour ne pas ronger ses ongles jusqu’au sang. Par chance, il revient vite avec les deux boissons.
— Tu verras, il est pas mal, lui affirme Stéphane avec un sourire charmeur.
Mais son masque s’efface face à la mine blême de la jeune femme.
— Je suis désolé. Je ne peux pas garder ça pour moi. Ça me gêne un peu, mais ton ami reste mon supérieur. Et… il m’a appelé pour m’expliquer qu’il n’a trouvé aucun problème avec NostalgIA. Toute la nuit il a effectué des tests avec des volontaires et… il semblerait que tout se soit passé sans encombre. Et il m’a demandé de te…
— Je préfère te couper maintenant. Plus jamais je n’utiliserai ce produit. Je… j’peux pas, c’est tout.
Il grimace.
— Aïe ! C’est bien ma veine, blague-t-il, un brin amusé. Le plus important pour moi est de savoir si tu accepterais de revoir un mec sans emploi ?
La pression retombe aussitôt. Elle sourit.
— Oui ! Je m’en moque si t’as pas de boulot.
Le visage de Stéphane se déforme. Presque un carlin.
— Je ne suis qu’une merde ! Mes parents vont encore se foutre de moi.
— Pour… pourquoi tu dis ça ? s’inquiète-t-elle face à cet homme dévasté.
— J’ai jamais tenu un job plus de deux mois. Et la malédiction a encore frappé. C’est comme si l’Univers m’en voulait personnellement.
— J’aurais aimé être assez forte pour t’aider… Surtout que je connais bien ce sentiment. Mais c’est… vraiment au-dessus de moi.
— Oh, ne t’en fais pas. C’est déjà gentil de te préoccuper de moi. Si tu avais accepté, j’aurais enclenché le mode duo sur le NostalgIA. Tu aurais été avec moi tout le long de la séance, déclame-t-il, une pointe d’espoir au fond de la voix.
Elle regarde ses yeux jaunes, si beaux, si humides. Sa respiration se coupe. Sa main droite enchaîne des mouvements erratiques. Elle finit par secouer la tête en pinçant ses lèvres. En refusant, elle enterre toute possibilité de relation avec lui. Elle le sait. Un homme vaut-il la tranquillité d’esprit ?
— Non… non… j’peux vraiment pas, entend-il en provenance d’une Élodie tétanisée ou hantée.
— Je me doute…
Il fixe son café sans le boire, comme un robot. Élodie rompt le silence :
— Par contre, je… j’essaierai d’en parler avec Nourredine. Nono, c’est comme un frère pour moi, il peut pas te renvoyer. Pas… pas à cause de…
— Rassure-toi, tu n’es en rien en faute. Si le produit ne marche pas, CelestAIl n’a plus besoin de mes services. Tout simplement. En vérité, c’est certainement le cas pour toute l’équipe. Une équipe de gros cons, si tu souhaites mon avis.
Elle hésite un instant, puis esquisse une moue enfantine.
— Je te confirme, avoue-t-elle en opinant lentement.
— Tu sais. Au fond, je pense que l’Univers n’est pas aussi vache que ça…
— Pourquoi ?
Le visage d’Élodie se déride, une fossette creuse sa joue, et un sourire bourgeonne. Celui de Stéphane se veut plus sérieux, davantage déterminé.
— CelestAIl, grâce à leur merde de NostalgIA, m’a permis de réaliser deux rêves. Voir la Terre depuis l’espace et… te rencontrer, dit-il en lui adressant un clin d’œil enjôleur.
Elle rougit et recule d’un pas.
— Navré. Je suis trop rentre-dedans. Je vais prendre mon temps.
— Oui… euh… c’est… que… voilà.
Elle expire lentement en fermant les paupières.
— C’était comment ? l’interroge-t-elle sans le regarder.
— J’espère ne pas me tromper d’événements.
Il s’esclaffe.
— La rencontre avec toi, c’était devant les locaux… je blague.
Elle rit à son tour.
— J’ai demandé à être dans l’ISS lors de son dernier ravitaillement. Et waouh, je ne trouve pas les mots ! Donc, j’ai aussi participé au premier alunissage. Je suis incapable de décrire l’émotion. Et la Terre ! Vue de là-haut. Crois-moi, je comprends pourquoi les enfants désirent devenir astronautes.
— Quand j’étais petite, avec Nono, on rêvait de devenir pyrotechniciens, confie-t-elle, amusée. Je me souviens d’un Nouvel An chinois. On avait assisté à un feu d’artifice clandestin. C’était magique.
— J’en suis presque jaloux, confesse-t-il en mordant sa lèvre. Les sons, les lumières… Mais pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt ?
— Il est toujours possible d’en voir, mais c’est pas évident d’avoir le passeport.
— Pour aller en Éthiopie ? Ils sont trop renfermés sur eux-mêmes. Et l’administration n’est déjà pas rapide chez nous, alors chez eux. Une vraie bureaucratie chinoise du septième siècle.
— Le peuple est quand même plus libre que chez nous.
— Oui, le peuple éthiopien. Pas nous, pas les Français.
— Ça me fait plaisir, avoue-t-elle en affrontant son regard.
Il lève un sourcil.
— C’est que… tu ne m’as pas cataloguée comme chinoise.
— Je ne souhaite pas paraître xénophobe. Mais je ne connais aucune chinoise prénommée Élodie.
Elle mime un buzzer.
— Mauvaise réponse. Mais je ne t’en veux pas. Tu ne me juges pas malgré tout. C’est déjà mieux que beaucoup. Bref, je préfère changer de sujet. Il y a un truc que tu aurais aimé voir dans le bon vieux temps ?
— Oui… la cérémonie d’ouverture des JO de Paris de 2024.
Il se gratte la tempe.
— Je pense que si j’avais qu’un seul choix. Ça serait ça, confirme-t-il, visiblement déjà dans le passé. Ou alors ? Celle de fermeture, avec les feux d’artifice au-dessus du Stade de France.
— Oh… ça devait être magnifique !
Des étoiles brillent dans les yeux noirs d’Élodie. Ses constellations ne manquent pas l’infime tressautement le long des lèvres de Stéphane. Cela n’a duré qu’un instant, un souffle, un rien. Un franc sourire, séducteur, enjôleur, l’a aussitôt remplacé.
Enfin, il secoue la tête.
— Quand je le dis que je ne suis qu’une merde…
— Tu allais me proposer de le voir avec NostalgIA, c’est ça ?
— Oui, avoue-t-il. J’ai honte.
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