Fyctia
Chapitre 5 — partie 1/4
Un regard sur la montre : « 8 h 47 ». L’alouette doit chanter neuf fois à cette heure-ci.
— Encore une grasse matinée de perdue, souffle Élodie entre ses dents.
Elle est sortie de ses cauchemars en milieu de nuit, en sueur, en colère. Levée du pied gauche, ses jambes l’ont menée vers le coin cuisine. La machine à café a craché beaucoup de liquide sombre. Beaucoup trop. La douche n’a pas aidé à redresser ni son dos ni ses épaules. Ni ce fond de mal-être ambiant. D’où les vêtements sobres comme son maquillage.
À contrario les locaux de CelestAIl ne le sont pas. Tout l’inverse de la discrétion. Chaque vitre est un écran, un reflet du monde, un produit de leurs marques ou encore une interface publicitaire criarde — moyennant finance, bien sûr. Même les vieux bâtiments haussmanniens, de l’autre côté du trottoir — où se trouve la jeune femme —, semblent ternes, dépouillés et minuscules face à ce fatras de LED.
À chaque fois qu’elle va pour traverser la rue, son pouls s’accélère, ses mains tremblent, ses nerfs s’affolent. Est-ce à cause de Zoé ? Elle n’a pas répondu à ses appels matinaux. Non, illogique. Ou bien la colère ? Elle est passée depuis quelques heures. Le mug cassée à l’aube ? Juste un mauvais souvenir de la veille.
Alors Élodie tourne en rond en rongeant ses ongles. Elle paraît transie. Par le froid ? Par la peur ? Un cocktail stress-hiver doit s’avérer davantage… recevable. Si seulement Nourredine l’avait recontactée et avait rapporté ses LingPods ; revenir aurait été inutile. Stéphane ? Elle ne lui en veut pas. Au fond, ils ne se connaissent pas. De plus, qui souhaiterait rappeler la folle qui tente de le joindre à deux heures du matin ?
Elle a beau passer au peigne fin sa matinée : rien n’y fait. L’Univers désire qu’elle gâche une journée de vacances supplémentaire.
— Allez ! Élo, tu peux le faire, murmure-t-elle.
L’auto-encouragement ne fonctionne pas. Ses cuisses s’avèrent ankylosées. Du moins, jusqu’à la réaction de l’agent de sécurité. Depuis dix bonnes minutes, il la reluque de pied en cap. Même si son regard semble particulièrement attiré par la poitrine d’Élodie — sans doute le badge visiteur qui pend.
— Madame, veuillez entrer, ou bien circulez ! Sinon, je contacte l’IA d’intervention !
Elle prend son courage à deux mains, expire et affronte le contrôle d’identité — une larme à l’œil, il va sans dire. Sans surprise, l’homme s’éternise. Il n’a toutefois pas l’affront de la cuisiner sur sa transition.
À l’intérieur, le hall est bondé. Tout le monde se bouscule, se presse. Certains s’échangent un signe rapide de tête, d’autres livrent des cartons. Des employés, des visiteurs et une interminable file d’attente de « sans badge ».
Elle s’engouffre au fond de la queue. Quelques personnes sont ici pour des entretiens d’embauche, des rendez-vous bancaires ou même pour organiser leur prochain voyage. Eux ne feront pas craquer les phalanges d’Élodie. Plutôt une mère et son bambin… La mère, surtout.
Juste avant d’arriver à leur tour, l’enfant lève l’index vers Élodie.
— Maman, pourquoi la dame, elle a les yeux froissés ?
La femme se retourne, la jauge, puis se renfrogne.
— On dit bridés, poussin. Pas froissés. Pff ! Elle est pas française, c’est tout.
Crac !
Élodie sourit au garçon. Tout le monde, en revanche, a perçu son poing se refermer.
— Quel est le motif de votre visite ? demande l’hôtesse d’une voix monocorde.
— Nous avons rendez-vous pour l’implant des premières lentilles de mon petit Alfred.
— A-t-il plus de trois ans ?
— Trois ans et un jour ! se pâme la mère.
Élodie secoue la tête et lève les yeux au ciel.
— 1128B. Ascenseur, onzième étage, à gauche, huitième porte à droite. Patientez bien le temps que le portique ait fini de vous scanner avant de sonner. Suivant !
Élodie s’avance lentement. La secrétaire de Nourredine — et visiblement hôtesse d’accueil — la fusille derrière son plexiglas.
— Euh…
— Les badges, ce n’est pas ici. Sui…
— Attendez ! Élisa, s’il vous plaît.
La fausse blonde au carré strict passe Élodie aux rayons X avec ses iris d’aigle.
— Vous êtes madame Wang ?
— Oui…
— À ce moment-là, autorisez-moi à vous corriger. Je me prénomme Elsa, pas Élisa.
— Pardonnez-moi pour la confusion. Mon ami Nourredine vous a appelée comme cela. Donc, j’ai pensé…
— Eh bien, vous avez mal pensé, madame. Nourredine Benamar peut me baptiser Brigitte ou Corinne s’il lui chante. Alors, Brigitte ou Corinne j’incarnerai.
— Je vous prie de m’excuser.
— Que vouliez-vous, s’il vous plaît ? s’enquiert-elle, le ton trop courtois pour être crédible. Des gens attendent !
— Nourredine Benamar est-il présent ?
— Pas aujourd’hui, affirme-t-elle sans vérifier. Il est tenu de gérer une urgence pour ce samedi.
— Et… euh… puis-je me rendre dans son bureau ?
— Tout dépendra du portique de sécurité. Si vous avez pu y arriver avec votre badge hier…
— Avant-hier, corrige Élodie avant de mettre ses mains devant sa bouche.
Elsa la fusille du regard, mais poursuit sans faire varier son timbre :
— Peu importe. Je disais que si vous y êtes déjà allée, alors peut-être que vous serez de nouveau en mesure… Simplement, je ne vous ai rien dit.
— Motus et bouche cousue. Merci !
Une métamorphose surgit de nulle part. À l’instar des pop-ups qui s’affichent sur les écrans, une courbe fine se dessine sur les lèvres de la secrétaire.
— Oh ! Et si c’est pour saccager son bureau, n’hésitez pas à demander de l’aide à l’IA centrale du bâtiment. Je pense qu’elle le déteste autant que moi.
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CallistoDione
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Anthony Dabsal
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Gottesmann Pascal
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