Fyctia
Chapitre 4 — partie 1/4
Élodie ouvre les yeux. Du moins, elle essaie. La lumière l’agresse, trop crue, trop blanche. Sous elle, le sol glacé. Au-dessus, le visage livide de Stéphane. Une goutte de sueur perle à sa tempe. Il prononce son prénom, mais aucun son ne parvient à réellement percer la brume de ses pensées. Elle sent sa gorge sèche, son dos engourdi, son cœur qui tambourine. Puis les images reviennent : la foule furieuse, les coups, le sang. Et surtout ce rictus atroce. Le sien, jadis. Celui de Chris. Son ancien visage.
Stéphane expire longuement. Le poids du monde semble s’envoler de ses omoplates. Il pince délicatement sa langue avec ses incisives, tandis qu’il se penche sur elle. Le front plissé, la chemise aussi, il glisse un bras sous l’épaule d’une Élodie tremblante. Il la soulève avec une tendre prudence. Il l’aide à s’installer sur la chaise, lui offre un signe de tête. Elle y répond par le même geste.
— Ouf !
Les traits du jeune homme s’adoucissent davantage. Il sourit — un mélange de rire jaune et de décontraction. Il plie un genou et faufile ses doigts sous la table — pas évident d’atteindre les USS. Leur voyant fluo clignote, violet, discret. D’un geste lent, il les éteint, les fait tourner dans ses mains, les dirige enfin vers Élodie. Elle ouvre la paume, fixe un instant la paire de transmetteurs. Elle les abandonne à côté de la mallette noire. Sa mâchoire se tord.
— Je ne touche plus jamais à ces merdes, promet-elle.
— Je te comprends. Tu as l’air terrorisé…
— Terrorisé ? Non !! Je suis en colère contre Nourredine et ses plans foireux ! T’as vu ce que j’ai vu ?
Il hausse les épaules et grimace.
— De simples badauds et des marchands qui tentent de profiter de l’événement… rien de plus.
Son chef vacille, son souffle siffle. Et ses mâchoires ? Prêtes à croquer de l’acier !
— Tu vas m’affirmer que t’as pas vu un mec frapper un gosse à mort !
Le regard de Stéphane s’écarquille, plus surpris qu’une chouette en plein jour. Perplexe. Sinon, incrédule.
— Non. Quelques bousculades, mais rien de bien méchant.
Elle disparaît entre ses paumes. Un interstice maladroit s’ouvre alors entre ses doigts.
— Putain ! Ne me dis pas ça !
— Je suis désolé. Je ne sais pas quoi dire, souffle-t-il.
— Et t’as même pas aperçu quelqu’un qui avait à peu près une tête similaire à la mienne, mais en homme ?
— Non… je n’ai pas vu d’homme qui te ressemble… ni d’Asiatiques.
— Chier ! Qu’est-ce qu’il se passe ? Ça vient de moi, c’est ça ?
— Je ne sais pas. Je ne pense pas.
— J’ai envie de hurler…
— Attends, je vais te laisser quelques minutes. Si ça te fait du bien, n’hésite pas. Pendant ce temps, je vais aller nous chercher des cafés.
— Tu parles d’un rendez-vous raté.
— Moi qui essayais de le sauver coûte que coûte, blague-t-il en souriant.
La chaise frémit sous ses fesses. Un ersatz d’ondulation, comme un ver mourant. Dur de planter son regard dans celui de Stéphane.
— Merci.
Il clôt ses paupières.
— Je reviens vite.
Il sort sans ajouter un mot.
Aussitôt, la frénésie la prend. Sa pogne plonge dans son sac, en ressort des mouchoirs usagers, un stylo abîmé, d’antiques baumes à lèvres — vides pour la plupart. Ses épaules s’affaissent. Ce qu’elle cherche ne s’y trouve pas.
— Mais quelle conne ! jure-t-elle en se pinçant l’arête du nez.
Les USS gisent là, sur la table. Elle les fixe. Encore et encore.
— Non, non, non… murmure-t-elle en secouant la tête.
Clac ! Elle sursaute, se retourne et place sa main sur sa poitrine. Il ne s’agit que de Stéphane, qui la rejoint avec deux gobelets en carton. Il s’assoit et lui offre l’un d’eux.
Leurs grimaces en disent long : une soupe insipide. Tout juste meilleure qu’un instantané.
— Il est vraiment horrible, confie-t-il en désignant son café.
— J’t’le fais pas dire.
Et pourtant, ce jus de chaussette accomplit des miracles : Élodie sourit.
— Merci encore. C’est trop gentil.
Il hoche la tête.
— Comment tu t’es retrouvé à bosser pour Nourredine ?
— C’est un simple choix de la direction. Je travaillais pour CelestAIl avant que monsieur Benamar ne nous rejoigne.
— Et ils ont confié un poste plus élevé à ce crétin ?
— Je pense que vous… tu te méprends un peu sur lui. C’est un génie. Il manipule les algorithmes comme personne.
— Mouais. Peut-être.
— Si ce n’est pas indiscret… comment l’as-tu connu ?
— Nourredine ?
— Hum, confirme-t-il en pinçant les lèvres.
— On s’est toujours plus ou moins connus. Enfants, on était voisins.
— C’est beau ! Votre amitié qui dure.
— J’te mentirais si j’te disais que je n’avais pas rêvé d’un plus large groupe d’amis. Seulement… mon état a souvent fait fuir les gens.
Il arque un sourcil.
— Tu sais comment le monde tourne. On m’a collé une étiquette, qui ne me correspond pas. Et ça… bien trop longtemps.
— Je ne suis pas certain de comprendre, avoue-t-il en grimaçant.
— Ça te dérange si je fais la version longue ? Je suis assez nulle pour les résumés.
— Je t’en prie. C’est un vrai plaisir de t’écouter.
Une fossette se dessine sur la joue de Stéphane.
— J’ai vu ce que tu as marqué sur « profession », tout à l’heure. Et je préfère être claire. C’est réciproque. Alors, autant éviter encore une fois les mauvaises surprises.
Son sourire de vendeur de dentifrice s’élargit. Plus radieux qu’un soleil. Plus blanc que neige.
56 commentaires
Pazuzu
-
Il y a un mois
Anthony Dabsal
-
Il y a un mois
Anthony Dabsal
-
Il y a un mois
Flopinette
-
Il y a un mois
CallistoDione
-
Il y a un mois
mima77
-
Il y a 2 mois
Anthony Dabsal
-
Il y a 2 mois
Gottesmann Pascal
-
Il y a 2 mois
Anthony Dabsal
-
Il y a 2 mois
Manonst
-
Il y a 2 mois